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Le « Taïwan Relations Act » et les illusions du statu-quo

Taïwan et le rêve de renaissance de Xi Jinping.

Articulé à l’échéance de 2049, centenaire de la prise du pouvoir par le Parti, elle-même rapportée au centenaire des premières humiliations des traités inégaux, le discours de la restauration porte aussi une ambition nationaliste de réparation.

A ce titre il intègre tout naturellement le projet à la fois historique et patriotique de la réunification avec Taïwan, partie intégrante du pays depuis le milieu du XVIIe siècle arraché à la Chine par la défaite contre le Japon en 1895. Selon le Parti, l’Île est restée à l’écart de la mère partie par l’accident d’une guerre civile inachevée et l’intrusion intempestive de Washington symbolisée par le Taïwan Relations Act dans un affaire intérieure chinoise.

En 2005, ripostant à Washington un quart de siècle plus tard par un argument légal homothétique, Pékin promulguait une « Loi anti-sécession » (lire : Loi Anti-Sécession et “Taiwan Relations Act”.) qui enfermait définitivement l’Île dans un jeu où son initiative stratégique était réduite à néant, à la fois par Washington et Pékin qui tous deux interdisent toute déclaration d’indépendance.

Plus encore, son avenir en cas d’attaque non provoquées de Pékin, dépend uniquement de la bonne volonté de ses soutiens américains, que Tsai Ing-wen, tente aujourd’hui d’élargir à la conscience démocratique de la planète, non sans succès, si on en juge à la récente prise de position allemande,

Il reste qu’aujourd’hui le « rêve chinois » de Xi Jinping qui se réfère à d’autres valeurs et à la longue histoire, considère l’affirmation démocratique de l’Île comme quantité négligeable.

A ses appels à la solidarité de culture de part et d’autre du Détroit et aux avantages économiques du rapprochement, prélude à la réunification, le n°1 chinois mêle les mises en garde martiales affirmées par une recrudescence de démonstrations de forces de chasseurs de combat au-dessus du Détroit.

Ayant déclenché l’angoissant compte à rebours de 2049, créant dans l’Île une alarme et un sentiment d’urgence, le Président chinois réaffirme à la fois le caractère inéluctable de la réunification contre les convictions de Tsai Ing-wen et de ses amis et la détermination chinoise d’empêcher par la menace militaire toute déclaration d’indépendance.

Au-dessus de ces affirmations inflexibles dédaignant l’évolution politique de l’Île que le Parti voudrait « réunifier » à la manière des « deux systèmes » de Hong-Kong dont les Taïwanais ne veulent pas, subsistent cependant quelques incertitudes, plus liées aux émotions nationalistes qu’à la raison.

Perspectives incertaines et angoisses taïwanaises.

La première, la plus immédiate plonge dans la situation politique à Taïwan et les hypothèses sur le résultat des prochaines élections présidentielles en 2020.

Une défaite de Tsai comme semblent le prévoir les sondages, éloignerait la mouvance indépendantiste du pouvoir à Taipei et aurait une vertu apaisante pour Pékin. (Selon une enquête de mars, à 9 mois du scrutin, Eric Chu triompherait de Tsai avec 50% des voix contre 34,90% – Han Kuo-yu, nouveau maire de Kaohsiung, autre candidat potentiel ferait mieux avec 54,90% des voix contre seulement 31,60% pour Tsai).

Pour autant une présidence KMT n’aurait qu’un soutien mitigé. En mars 2019, le vieux parti nationaliste ne recueillait que 28% d’opinions favorables, tandis que 48% de Taïwanais ne se reconnaissent dans aucun parti. Plus encore, quand, hors KMT, on interroge les Taïwanais sur le meilleur candidat possible face Tsai, c’est la personnalité de Ko Wen-je, sans étiquette, chirurgien et maire de Taipei depuis 2014, qui obtient les faveurs de l’opinion (38,7%), alors qu’Eric Chu n’est crédité que de 21,5% des voix.

Une autre inconnue ayant une influence directe sur l’état de l’opinion dans l’Île est l’attitude de Pékin. Une aggravation des menaces militaires et/ou de nouvelles humiliations diplomatiques infligées à l’Île, auraient pour effet d’augmenter la proportion des adeptes du statu-quo craignant un conflit militaire.

En même temps, elles exacerberaient les sentiments anti-chinois de rupture courant dans l’aile indépendantiste radicale, dans un contexte général où, quoi qu’il en soit, l’idée de réunification à court terme est rejetée par plus de 90% des Taïwanais, tandis que 70% estiment qu’il n’est pas nécessaire de déclarer formellement l’indépendance, puisque l’Île bénéficie déjà d’une indépendance de fait.

Au passage notons que le rapport de l’opinion à cette question est ambigu puisqu’une majorité estime que la réunification est, à terme, le destin de l’Île.

L’incertitude en même temps que de profonds malentendus entourent aussi la manière de moins en moins consensuelle dont est interprété à Taïwan et à Washington le Taïwan Relations Act, dans un contexte où un Taïwanais sur deux (en hausse de 9 points depuis 2017) est désormais persuadé qu’une déclaration d’indépendance entraînerait un conflit dans le Détroit.

Alors que 70% savent que Taïwan ne peut plus gagner une guerre contre la Chine, 48,5% croient (la proportion est en hausse de 5% par rapport à 2017), que Washington volerait au secours de l’Île même si elle déclarait l’indépendance, contre seulement 35,3% qui n’y croient pas. En revanche 60% des Taïwanais sont persuadés que les États-Unis interviendraient si la Chine attaquait l’Île sans être provoquée.

Aux États-Unis aux prises avec une montée en puissance du lobby taïwanais en phase avec une exacerbation des sentiments anti-chinois développés tous partis confondus dans le sillage de la guerre commerciale dilatée en une rivalité globale, l’administration américaine restent prudente.

Craignant que les pressions de Trump sur Pékin et les signes d’encouragement à l’Île inscrites dans une tactique de marchandage n’exacerbent les tensions et créent un dangereux malentendu stratégique, elle continue à rappeler les fondements de la relation sino-américaine inscrits à la fois dans les Trois Communiqués reconnaissant la politique d’une seule Chine et le Taïwan Relations Act qui exclut le soutien américain en cas de déclaration unilatérale d’indépendance.

Au demeurant, un récent sondage du « Chicago Council on Global Affairs » révèle que, même en cas d’attaque chinoise non provoquée contre l’Île, plus de 60% de l’opinion américaine ne soutiendrait pas une riposte militaire contre la Chine.

Autant dire que la force rassurante et stabilisatrice du Taïwan Relations Act que Tsai Ing-wen met en exergue dans ses discours, pourrait bien être un leurre. C’est en tous cas ce qu’exprime une récente confession d’un ancien du Département d’État « la capacité de l’Amérique à défendre Taïwan avec succès décline à mesure qu’augmentent les capacités militaires de la Chine ».

Quel destin pour la démocratie taïwanaise ?

40 années se sont écoulées depuis l’adoption par le Congrès américain du Taïwan Relations Act, au cours desquelles de très profonds changements eurent lieu contredisant l’utopie du statu-quo.

l’Amérique est saisie par l’angoisse du déclin. Ayant perdu son élan prosélyte, elle retrouve ses vieilles tendances isolationnistes et, pesant les risques d’un conflit avec la Chine, elle hésite. Pékin exprime désormais sa puissance et ses « caractéristiques » avec une force inédite ne laissant plus de doute sur sa volonté de réunification.

A Taïwan le surgissement identitaire exprimé à la faveur de la démocratie éloigne l’Île du Continent, tandis que Tsai Ing-wen consciente du déséquilibre des forces avec la Chine, tente d’échapper au face à face avec Pékin dans le Détroit en réveillant la conscience démocratique de l’Occident dont, au même moment, l’assurance universelle mise à mal par les crises décline sérieusement.

Dans un contexte où le Taïwan Relations Act n’est plus une assurance tout temps, seulement et au mieux – mais ce n’est déjà pas si mal -, une incertitude stratégique pesant sur les velléités militaires de Pékin, le paysage stratégique actuel exprime au moins, vérifié par les sondages à Taïwan et aux États-Unis, une prudence face aux risques d’engrenage militaire.

Quant à la Chine où on ne « sonde » jamais les opinions et où l’exploration des sentiments du peuple recouverts par la propagande est impossible, tandis que l’immuable « roman national » de la réunification est débarrassé de toutes les aspérités critiques, chacun s’interroge sur ses intentions d’ici l’échéance de 2049.

Pour accomplir le « rêve chinois » qui, sans la réunification resterait selon lui infirme, le parti usera t-il de la force ou de tout autre moyen de coercition tel qu’un blocus naval, au risque de réveiller les velléités protectrices du Taïwan Relations Act ?

Alors que même pour le parti, la carte d’une agression directe par un attaque militaire ou par un blocus est lourde d’incertitudes, l’interrogation dépasse le cadre du Détroit, tant il est vrai que, dans le jeu planétaire des rivalités de « valeurs » exacerbées sous nos yeux, la question de Taïwan est en train de prendre la dimension nouvelle de la défense de la démocratie, dépassant le face-à-face de l’Île avec Pékin.

En attendant, Washington maintiendra une veille stratégique de principe en continuant à vendre des armes à l’Île. Alors que chacun sait, à Taipei comme à Washington, qu’elles n’ont plus la capacité de rééquilibrer le rapport de forces militaires, elles recèlent encore la vertu d’une profession de foi américaine de soutien à l’Île.


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