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›› Politique intérieure

Les embarras politiques de la liaison adultère entre Peng Shuai, championne de tennis et Zhang Gaoli, ancien membre de l’élite

L’actualité sociale de la classe moyenne, celle qui fréquente assidument les réseaux sociaux, est, ces jours-ci, en partie dominée par une effervescence toute occidentale.

Peng Shuai, 彭帅, 35 ans, une joueuse de tennis connue pour jouer tous ses coups en droit et en revers à deux mains, ancienne n°1 mondial en double en 2014, accuse Zhang Gaoli, qui fut vice-premier ministre et ancien membre du Comité permanent jusqu’en 2017, de l’avoir violée avant de devenir son amant attitré, mais épisodique, pendant une dizaine d’années.

Dans un long message elle affirme que Zhang - 75 ans cette année - et sa femme l’avaient invitée à dîner et que l’ancienne figure économique du régime qui fut chargé du développement du Shandong et de la Région économique Spéciale de Shenzhen, l’avait forcée à une relation sexuelle « pendant que sa femme observait à la porte ».

Il y a cependant une différence avec l’Occident. Le message de dénonciation qu’elle avait diffusé sur Weibo, le 2 novembre, a aussitôt été effacé par la censure. Alors que, pour la première fois, une accusation de harcèlement sexuel touche un membre de la haute direction politique, la chape de silence est impressionnante.

Une censure sans nuance.

Alors que Peng avait été une figure adulée des médias officiels (voir ce n° du China Daily du 5 septembre 2014, alors qu’elle était n°1 mondial en double féminin), aujourd’hui, son nom et ses photos ont disparu du net chinois. Le moins qu’on puisse dire est que la censure « ratisse large. »

Non seulement les recherches sur Zhang Gaoli et Peng Shuai butent sur le cul-de-sac d’excuses habituelles évoquant un contenu illégal du message « 内容中存在 违法 相关法律 », mais en plus, toutes celles contenant les syllabes Wang 网 (tennis), Peng 彭, Shuai 帅, Zhang 张 ou Gao 高, sont également rejetées.

Ainsi, est-il impossible rechercher 网球 - tennis - ou même 彭德懷 - Peng DeHuai, qui fut l’un des chefs de l’Armée rouge, commandant des volontaires chinois de la guerre de Corée, puis ministre de la défense, avant d’être purgé et cruellement éliminé par Mao.

*

Officiellement, alors que Peng elle-même déclare dans son message qu’elle ne pouvait fournir des preuves de ses allégations, l’affaire n’existe pas.

Aucune instance publique n’en parle. Quand les responsables sont interrogés, ils affirment ne rien savoir. Interpelé lors du point de presse quotidien, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a déclaré qu’il n’était pas au courant. L’affaire, dit-il, ne dépendait pas de son ministère.

Il reste que « la grande muraille internet » ayant des failles, l’information supprimée de la surface, a continué à circuler sous le manteau et à alimenter la polémique. Des témoignages de Shanghai, Pékin, du Guangxi et de Hangzhou indiquent que le sujet est toujours l’objet de discussions passionnées dans le pays.

Il faut cependant préciser qu’en creusant plus loin l’affaire dont les médias hors de Chine parlent seulement sous l’angle du « harcèlement sexuel » où la mouvance « me too » occupe tout le paysage, on perçoit des nuances révélant d’autres aspects du scandale.

Les effets psychologiques d’un puissant patriarcat.

Dans le message très émotionnel par lequel elle a jeté sa vie privée sur la place publique, Peng décrivait sa relation avec Zhang comme « compliquée », expliquant même qu’elle se sentait « attirée par lui » et qu’elle en était « amoureuse ».

Mais elle ajoutait aussitôt qu’elle avait « honte » de ses sentiments. Du coup dans les commentaires a surgi une autre version. Il n’y aurait pas eu « d’abus sexuel ». Il s’agirait plutôt d’une relation extra-conjugale ayant mal tourné.

Interrogée par « SupChina », Lü Pin 吕频, 49 ans, journaliste et activiste de la cause féministe chinoise, résidant aujourd’hui à New-York, fondatrice en 2009 de « 女权之声 – La voix des femmes » définitivement censurée en 2018, explore l’aspect psychologique de l’affaire qui, malgré la censure, échauffe la classe moyenne.

Elle évoque notamment la puissance irrépressible du pouvoir politique, à laquelle une Chinoise moyenne, même célèbre et adulée ne peut pas se soustraire.

Quand elle fait référence à ses sentiments « amoureux » dit-elle, « Peng révèle son désir d’être traitée avec bienveillance. Pour échapper au sentiment d’humiliation qu’elle exprime dans son message, elle tente de se persuader elle-même qu’elle n’aurait pas été agressée. Désespérément, elle s’efforce de rationaliser la relation, pour nier avoir été une victime » (…)

La tyrannie des puissants.

« Il faut cependant garder à l’esprit la très puissante inégalité créée par l’implacable dynamique du pouvoir dont parlait Lu Xun 鲁迅 quand il rappelait que “la tyrannie rendait les hommes cyniques “ ». (…) « Vu sous cet angle, dit Lü Pin, l’affaire Peng Shuai, n’est pas un scandale sexuel tout juste bon à nourrir les conversations salaces. ».

« Elle rend compte de la douloureuse expérience d’une femme à succès, arrivée au sommet du tennis mondial grâce à un entraînement dur et assidu. »

Pour cette raison, dit Lü Ping en substance, il est triste et très déprimant pour Peng, non seulement de n’avoir pas échappé à l’emprise de Zhang quand il s’est intéressé à elle, mais aussi que des commentaires réduisent son histoire à un divertissement égrillard et impudique.

*

Soudain le commentaire féministe devenu politique prend une dimension plus universelle : « Quand les gens se sentent impuissants, ils deviennent timides. En banalisant le récit de Peng, les commentateurs tentent de se convaincre eux-mêmes que la tyrannie n’est pas si mauvaise. »

Pour Lü Pin en tous cas, l’affaire ne sera pas oubliée. Certes les révélations de Peng la mettent en danger, mais « la censure, ne parviendra pas à éradiquer les conversations en sous-main évoquant son histoire. » De son point de vue qui reste à vérifier, la large diffusion de l’affaire sous le manteau protègerait Peng d’une séquestration punitive.

Elle ajoute que la brutale censure éradiquant une nouvelle fois et pour solde de tout compte l’implication et la responsabilité d’un membre éminent de la classe politique, contribuera à saper la confiance dans les pouvoirs publics.

Il reste que Peng a pris de gros risques. Alors qu’aucun média officiel n’a mentionné l’affaire et que Zhang Gaoli est de loin le plus haut responsable chinois de l’histoire du Parti publiquement accusé de harcèlement sexuel, dans un environnement toujours très patriarcal où les activistes du droit des femmes sont harcelées ou, comme Lü Pin, contraintes de quitter le pays, elle risque sa carrière.

Mise à jour le 19 novembre.

Fidèle à sa stratégie d’éradiquer par l’enlèvement arbitraire pur et simple les voix dissidentes ou gênantes pour sa réputation, le Parti a fait disparaître Pung Shuai. Depuis deux semaines, elle ne donne plus signe de vie.

Le 14 novembre, après dix jours sans nouvelles, l’association mondiale de tennis féminin a, par la voix de Steven Simon, son directeur menacé de cesser ses activités en Chine si la lumière n’était pas faite sur le sort de Peng.

Le jeudi 18 novembre, il a ouvertement douté de l’authenticité du mail adressé la veille à l’association par lequel Peng déclarait « fausses » ses accusations contre Zhang Gaoli. « Nous ne savons pas si elle a été contrainte de l’écrire ou si quelqu’un l’a écrit pour elle, mais tant que nous ne lui aurons pas parlé en personne, nous ne serons pas rassurés ».

L’ONU s’en est mêlé. Le 19 novembre, son bureau des droits de l’homme à Genève a demandé des informations sur le lieu où elle se trouve et sa situation, avant d’exiger qu’une enquête soit menée « en toute transparence » sur ses allégation d’agression sexuelle.

Plusieurs joueuses du circuit mondial du tennis féminin comme Chris Evert ou la Française Alizé Cornet se sont inquiétées de sa situation. Bloquées par la censure aucun de ces développements n’arrive aux oreilles du public chinois. Interrogé, le porte parole du MAE dit ne pas connaître l’affaire.

Tout le monde n’est pas sur cette ligne vertueuse. Les sponsors des « masters » du tennis féminin (Women Tennis Association - WTA -) comme Porsche qui prévoit d’ouvrir un centre de R&D en Chine, SAP, logiciel de gestion d’entreprise qui a signé un partenariat avec WTA en 2013, ou encore Whoop qui produit des moniteurs d’activité physique, craignent pour leurs affaires en Chine et sont restés discrets.

Toujours le vendredi 19 novembre, sur Twitter, censuré en Chine mais utilisé par l’appareil pour adresser des messages à l’étranger, Shen Shiwei, journaliste d’État mettait en ligne quatre photos de Peng Shuai, en famille.

Le 23 novembre.

Selon le journal Le Temps du 20 novembre, « l’AFP n’a pas été en mesure d’établir de manière indépendante à quel moment ces photos ont été prises et les demandes d’explication auprès de l’auteur du compte sont restées sans réponse. »

Dans la soirée du 20 au 21 novembre, Hu Xijin, rédacteur en chef du Global Times publiait deux vidéos de la joueuse dînant avec son entraîneur et des amies dans un restaurant à Pékin, sans que le l’endroit ait été identifié.

L’évidente mise en scène n’a pas convaincu. Le 20 novembre, Steve Simon président de la WTA jugeait que les photos et les vidéos n’étaient pas suffisantes pour prouver la bonne santé et la sécurité de la championne. Cité par Le Temps, il a martelé « J’ai été très clair sur ce qui doit se passer, et notre relation avec la Chine est à un tournant ».

Rien ne dit que la fermeté de Steve Simon soutenue par la solidarité de nombreuses figures mondiales du tennis comme Serena Williams parviendra à subjuguer les intérêts d’affaires des sponsors de la WTA.

Le 22 novembre, Jeremy Goldkorn écrivait dans Supchina « L’affaire Peng Shuai mérite d’être suivie pour quiconque cherche à comprendre comment une Chine devenue puissante interagit avec le reste du monde. »

Le 2 décembre.

Alors que les médias officiels chinois et le Comité International Olympique (CIO) qui organise les JO d’hiver 2022 semblaient être parvenus à un consensus, autour de la situation de Peng Shuai dont Stephan Bach, le Président du CIO a garanti qu’elle était en sécurité après des échanges vidéos avec elle, l’association mondiale de tennis féminin a durci le ton.

Le 1er décembre son Directeur Steve Simmons qui réclamait une enquête transparente, annonçait l’annulation de toutes les rencontres prévues en Chine. « J’ai de sérieux doutes que Peng Shuai serait vraiment libre et à l’abri des pressions. (...) La WTA a été claire sur ce qui est nécessaire et nous réitérons notre appel pour une enquête complète et transparente - sans censure - sur l’accusation d’agression sexuelle contre Peng Shuai. »

Le 21 décembre

Le 13 décembre, lors d’une interview à Shanghai au Lianhe Zaobao 联合 早报, journal chinois basé à Singapour connu pour ses liens avec Pékin, a déclaré que l’affaire de viol par Zhang Gaoli qu’elle avait pourtant elle-même initiée par un long message sur son compte Weibo le 2 novembre dernier, n’était qu’un malentendu.

Une vidéo https://www.zaobao.com.sg/realtime/china/story20211219-1224709 publiée par le journal sur son site Web et sur Youtube (en chinois) montre Peng regardant une compétition de ski aux côtés de l’ancienne star de basket Yáo Míng 姚明 et du joueur de tennis de table à la retraite Wáng Lìqín 王励勤, au milieu d’autres personnalités sportives chinoises.

On y voit un journaliste approcher Peng qui, avant même la première question annonce sans préambule « Tout d’abord, je dois souligner que je n’ai jamais dit ou écrit à propos de quelqu’un qui m’a agressé sexuellement. C’est quelque chose que je veux souligner et clarifier. »

Quand le journaliste l’a Interrogée sur son message Weibo du 2 novembre, dans lequel elle affirmait que Zhang l’avait forcée à avoir des relations sexuelles il y a plusieurs années, puis avait eu une liaison extraconjugale avec elle, Peng a affirmé qu’il s’agissait d’une affaire privée et que nombre de commentaires avaient été faits à la suite d’un malentendu.

Elle a aussi nié avoir été séquestrée.

La WTA qui, le 1er décembre, avait annoncé l’annulation des rencontres prévues en Chine n’est pas convaincue. « Nous réclamons toujours une enquête complète, équitable et transparente, sans censure, sur l’allégation d’agression sexuelle, seule question ayant suscité notre préoccupation initiale ».

La carte est lourde, la WTA, qui dit vouloir interviewer Peng hors de Chine, affirme qu’elle place le principe au-dessus du profit dans un pays où une centaine de millions de Dollars sont en jeu autour des rencontres de tennis supprimées. Le sacrifice serait cependant très loin de celui que la NBA n’avait pas accepté de faire.

Après le boycott chinois qui suivit le tweet début octobre 2019 du Directeur Général de l’association Daryl Morey exprimant son soutien à « la liberté de Hong Kong », l’association submergée par les enjeux financiers du boycott évalués à 5 Milliards de $, dut présenter ses excuses, pour que ses rencontres en Chine puissent reprendre.

*

Objectivement, la mise sur le boisseau de Peng par le Parti qui n’a pas l’intention de diligenter une enquête publique contre un de ses anciens hauts dirigeants, complique la manœuvre de la WTA. Il reste qu’elle est la première grande organisation sportive à abandonner la Chine pour des questions de droits de l’homme.

Certains affirment qu’Il n’est pas impossible que l’obstination de son Directeur Steve Simmons ayant déjà rallié le soutien de stars mondiales du tennis comme Serena Williams et Novak Djoković, déclenche un élan international des démocraties occidentales pour le boycott des JO d’hiver qui doivent débuter le 4 février en Chine et déjà sur la sellette sur la question du traitement des Ouïghour au Xinjiang.

Certes, il ne fait pas de doute qu’un boycott de la plus grande économie du monde – et toujours n°1 au palmarès des médailles aux JO - porterait un coup au prestige de la Chine. Pour autant, le nombre de pays qui suivraient le mouvement reste très incertain. Beaucoup, en particulier les plus petits, mais pas seulement, qui craignent la colère de Pékin et ses représailles sur leur affaires en Chine, ne suivront pas.

Dès lors se pose la question de l’image catastrophique diffusée par Washington qui s’affirme toujours « parrain des démocraties de la planète », mais derrière lequel peu de pays accepteraient de se ranger, les uns par souci de marquer leur indépendance par rapport au mentor américain, les autres par intérêt commercial et économique.


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