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›› Editorial

Les convulsions de la croissance

Conflits du travail et fin des bas salaires.

Sans lien apparent, d’autres incidents liés aux conditions de travail se sont développés simultanément dans cette même région, symbole du développement de la Chine, « usine du monde ». A la mi mai, à seulement une centaine de kilomètres au nord-ouest de l’usine Foxconn de Shenzhen, a éclaté, au sein de l’usine Honda de Foshan, située dans le vaste réservoir de main d’œuvre de la Rivière des Perles, une des plus grandes grèves jamais enregistrées au sein d’une multinationale en Chine.

Là aussi, le pouvoir, en l’absence d’un syndicat autonome représentant les ouvriers, s’est trouvé démuni et hésitant. Après une remarquable période de transparence initiale, les médias officiels ont cessé de rendre compte de la situation. « La négociation est impossible » a constaté le responsable du syndicat officiel du district de Hainan où est située l’usine, tandis que les ouvriers en grève s’insurgeaient contre le parti-pris pro-patronat du syndicat : « comment se fait-il que des syndicalistes chinois battent des ouvriers chinois ? ».

Les conflits du travail ne sont pas nouveaux en Chine. Cette fois pourtant, la grève, que le pouvoir a laissé se développer, semble marquer un tournant. La nature des revendications, centrées non pas sur une faute ou une violation légale de la direction qui fondent la plupart des conflits sociaux, mais sur les salaires et l’amélioration des conditions de travail, de même que la dimension de la crise - les 4 autres usines Honda en Chine ont été stoppées après l’arrêt de la fabrication des boîtes de vitesse et de pièces moteur essentielles -, indiquent que le rapport de forces, jadis en faveur des entreprises appuyées par les cadres locaux, est peut-être en train de glisser du côté de la main d’œuvre, devenue plus rare et plus rétive.

« Les ouvriers semblent bien organisés et savent ce qu’ils font », rapporte le South China Morning Post. « Ils se coordonnent par SMS, ou par internet et réclament une augmentation de 50% de leur salaire, de 1500 à 2300 Yuan mensuels (280 Euros) et exigent que le représentant du syndicat officiel, traditionnellement proche de la direction et du Parti, soit élu par les ouvriers ».

Le 1er Juin, l’International Herald Tribune, citait Tomoo Marukawa, spécialiste de d’économie chinoise à l’université de Tokyo : « le Japon commence à prendre conscience que la période des bas salaires tire à sa fin en Chine. Les sociétés qui envisageaient l’implantation en Chine dans le seul but d’abaisser leurs coûts devront réviser leur stratégie ».

Ces réflexions hantent aujourd’hui la plupart des responsables des entreprises chinoises et étrangères, dans un contexte où les augmentations (entre 20 et 30%) accordées dans l’urgence et sous la pression aux ouvriers de Foxconn et Honda feront tâche d’huile.

Correction de l’écart des richesses.

Quant au Bureau Politique, il devra s’ajuster très vite au nouveau rapport de forces qui confère à la main d’œuvre un pouvoir de pression sans précédent. La grève des migrants, l’hiver dernier, avait sonné la première charge de cette nouvelle bataille, dont l’enjeu est aussi politique -. Li Qiang, déjà cité, explique que « Les ouvriers de Honda protestent contre une distribution des richesses très inégale et exigent que le pouvoir leur accorde plus d’attention ».

Toutes les enquêtes montrent en effet que l’écart des richesses a atteint un niveau alarmant. En 20 ans, la part des salaires dans le PIB est passée de 57% à 30% tandis que, dans le même temps, la part du retour sur investissement qui mesure les gains des entreprises a augmenté de 20%. Le pouvoir connaît les risques de cette dérive.

Le 10 mai dernier, l’agence officielle Xinhua, téléguidée par le Bureau Politique, publiait une dépêche alarmante, soulignant que « l’écart de richesses en Chine avait atteint les limites de la tolérance sociale ». La mise en garde faisait suite à un rapport de l’Académie des Sciences Sociales dont des extraits ont été publiés par le China Daily, le 9 janvier 2010 : « les écarts de revenus entre les différents secteurs de la société sont les principales menaces contre la stabilité sociale. »

Ainsi, les secousses sociales du delta de la Rivière des Perles, marquent-elles peut-être la fin d’une période où la croissance de la Chine s’alimentait des faibles coûts de la main d’œuvre émigrée des zones rurales. Elles interpellent le Parti sur le terrain de « l’harmonie sociale », dont il a lui-même fait une priorité et prennent à contrepied les connivences entre le pouvoir et les entreprises, principales sources de revenus de l’administration locale.

Aujourd’hui c’est sous la pression de « la base », amplifiée par une très dense couverture médiatique internationale et l’effervescence des échanges Internet, que le Bureau Politique sera contraint d’ajuster ses anciens schémas de développement pour accompagner la transition socio-économique du pays. En priorité, il devra se pencher en urgence sur la question de la répartition des richesses et accorder une attention plus grande au statut des 145 millions de migrants.


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