›› Chronique
Il ne venait à l’esprit de personne que la crise nucléaire nord-coréenne, l’une des plus graves que l’on rencontre dans l’histoire de la région, puisse trouver une issue rapide au terme des trois jours de négociations à six (les deux Corée, les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Chine), qui viennent de se clore à Pékin. La seule avancée, si l’on peut l’appeler ainsi, est qu’une autre rencontre du même genre aura lieu dans moins de deux mois. Le fil du dialogue n’est donc pas encore rompu mais l’avenir reste toujours aussi incertain. En qualité d’hôte et de principal initiateur du dialogue à six, la Chine est-elle affectée par ce demi-échec ? Cela n’est pas notre avis. Au contraire, le gouvernement de Pékin en a tiré de grands bénéfices.
Il est évident pour la Chine que le problème coréen n’est qu’une pièce (quoique importante) sur l’échiquier de sa politique régionale. Contre son rôle de médiateurs dans les négociations entre Pyongyang et Washington, elle a obtenu d’importantes concessions de la part des Américains sur la question de Taiwan, tels que les restrictions de ventes d’armes à l’île nationaliste, en quantité et en qualité et les déclarations réitérées de Bush et de Powell sur le thème de « une seule Chine » de part et d’autre du détroit de Formose, s’opposant ainsi à toute velléité d’indépendance dans un avenir proche.
Au-delà de Taiwan, les relations sino-américaines se sont sensiblement améliorées à travers cette crise. Après une période difficile au début de l’Administration Bush avec l’incident de l’avion espion, les Américains ont changé radicalement leur politique chinoise à la suite des événements tragiques du 11 septembre 2001. La Chine est non seulement un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme international, elle est aussi devenue aux yeux des Américains l’interlocuteur incontournable en matière de sécurité dans la région d’Asie-Pacifique.
Au fond, le message que les Chinois ont envoyé à l’équipe Bush peut être le suivant : la crise ne se réduit pas à un conflit entre « le monde libre » et un « Etat voyou » mais révèle une mutation plus profonde des rapports de forces dans la région. Les Américains ne sont plus en mesure d’assurer seuls l’ordre établi et il leur faut désormais compter sur des partenaires qui n’ont pas nécessairement la même vision du monde. C’est dans une perspective multipolaire de l’ordre mondial que la Chine entend assumer son rôle d’une puissance responsable.