›› Chronique
La discrétion du Président chinois est légendaire. Une fois l’épidémie de SRAS calmée à Pékin, on s’attendait à ce qu’il annonce le grand chantier des réformes politiques. Or pas un mot n’a été prononcé sur ce sujet lors de son discours du 1er juillet, à l’occasion du 82e anniversaire du Parti communiste chinois. Pour autant, Hu Jintao n’a pas sombré dans l’immobilisme 100 jours après son accession au pouvoir suprême de l’Etat, au contraire.
Les réformes se font parfois à l’abri des regards et sans attirer l’attention des observateurs. L’une d’entre elles, qui risque de bouleverser la physionomie du pays, n’a occupé que l’espace d’un entrefilet dans la presse officielle. En l’occurrence, il s’agit d’une directive de la banque centrale (Banque populaire de Chine) qui a pour objectif d’encadrer le marché très florissant des crédits immobiliers. Le « document n°121 du 13 juin 2003 » a pourtant suscité quelques grincements de dents et pas uniquement dans le secteur du bâtiment. Essayons d’en décrypter le message.
D’aspect banal, cette réglementation bancaire fixe quatre conditions indispensables à l’octroi de crédits à tout promoteur immobilier : une mise de fonds propres supérieure à 30% du coût total d’investissement en cash, l’acquittement de la redevance d’utilisation du sol (en Chine, la vente de terre est officiellement interdite et toute terre appartient à l’Etat), l’interdiction aux fournisseurs des matériaux de construction de prendre part aux projets immobiliers et last but not least, l’achèvement des travaux de toitures au moment de la demande de crédit bancaire. Si la directive conserve une apparence technique, les conséquences de son application déborderont largement le domaine financier.
Un coup d’arrêt brutal est prévisible dans le secteur de la construction immobilière. Jusqu’à présent, le secteur est l’un des plus florissants dans le paysage économique chinois. Le prix du mètre carré dans les grandes agglomérations a grimpé en flèche ces dernières années et les spéculateurs sont légions. Après l’éclatement de la bulle boursière, suite à la crise asiatique de 1997-1998, l’immobilier est devenu le nouvel eldorado des investisseurs et aventuriers chinois. La restriction financière fera apparaître des risques sérieux de faillites en chaîne et pourrait entraîner par ricochet un ralentissement général de l’activité dans ce secteur.
Cette nouvelle politique de crédits tranche clairement avec la précédente, qui visait à juguler la tendance déflationniste. Le cœur du problème semble se situer dans l’accroissement excessif de la masse monétaire en circulation et l’accumulation de mauvaises créances dans les actifs de bilans bancaires. Récemment, la Commission d’Etat d’audits (l’équivalent chinois de la Cour des comptes) a révélé des pratiques douteuses dans toutes les quatre banques commerciales d’Etat. Les purges dans les rangs des grands banquiers ne font que commencer.
Tout cela n’est évidemment pas exempt d’arrière-pensées politiques. Quelques scandales retentissants ont été découverts ces derniers mois, impliquant notamment la municipalité de Shanghai. Les habitants de vieux quartiers étaient priés de quitter les lieux contre de maigres indemnités pour laisser le terrain aux promoteurs qui l’avaient acquis auprès de la collectivité locale. Le prix des concessions foncières semblait défier toute concurrence et les plus-values réalisées pouvaient se monter à des milliards de yuan en quelques jours. En mettant un pied dans la fourmilière, Hu Jintao s’attaquerait à la base du pouvoir à Shanghai, ville modèle de son illustre prédécesseur à la tête de l’Etat.
L’art de gouverner un grand pays se compare à celui de mijoter les petits mets, selon une vieille maxime taoïste. Rien n’indique que le Président chinois soit un adepte de la Voie de sagesse, mais une chose dont on peut être sûr, est qu’il est en train d’opérer le grand virage, par une petite mesure bancaire.