›› Editorial

Voilà plusieurs années que les réformistes chinois, politiques, journalistes et intellectuels le répètent, y compris depuis l’intérieur du sérail par des déclarations que le Parti laisse régulièrement filtrer, sans réforme du système politique chinois, le réajustement de l’économie vers plus d’efficacité, moins de gaspillages, un meilleur esprit d’innovation, et une plus haute sophistication technologique, articulé autour du moteur de la consommation interne, ne sera pas possible.
Seule une ouverture politique permettrait d’éradiquer la corruption endémique de la haute direction du régime et d’abattre les prébendes qui emprisonnent l’économie et l’industrie dans l’ancien schéma gaspilleur de capitaux et de ressources humaines qui fut une des épines dorsales de la croissance chinoise depuis la fin des années 70.
Il s’agirait d’abandonner l’obsession la stabilité sociale, devenue l’objectif prioritaire de nombreux cadres du Parti, à la racine des censures, suppressions, mensonges et camouflages, de réformer le système judiciaire vers plus d’indépendance, et d’autoriser les assemblées locales et nationales à contester les politiques publiques.
Certaines figures du Parti qui donnèrent de la voix en 2009 et 2010, mais sont aujourd’hui plus discrètes, reconnaissent à la fois la nécessité et l’urgence de ces réformes. Intronisé entre l’automne 2012 et le printemps 2013, le nouveau pouvoir a certes procédé à une série de réajustements de l’administration, du système fiscal et financier ainsi que des taxes à la propriété ; il a lancé des offensives contre la corruption dans les hautes sphères de la machine politique et commencé à assiéger les forteresses industrielles où se retranchent les avantages acquis qui fondent le combat retardateur des tenants de l’immobilisme politique.
Les conservateurs ne nient pas non plus la nécessité d’une bascule qualitative du schéma de développement vers plus d’efficacité et une meilleure rentabilité du capital et de la main d’œuvre. Ils voient bien que le contexte est sous le coup d’une profonde mutation, avec l’urbanisation rapide du pays, une société, plus réactive, devenue critique des abus, de l’arbitraire, de la corruption et des dérapages de la pollution.
Tous au Bureau Politique savent que les charges sociales et de santé augmentent, que les nouveaux équipements urbains et les logements sociaux devront d’abord être financés par l’État et que la masse des capitaux disponibles pour les anciens modes de relance se contracte, tandis que la compétitivité de l’usine du monde faiblit inexorablement, plombée par la hausse des salaires.
Mais, ils récusent la réforme politique, clé de la modernisation sociale, administrative, financière et industrielle, non seulement du fait de la rémanence des intérêts acquis où s’enchevêtrent les affaires et la politique, mais également parce qu’ils anticipent qu’une ouverture (indépendance de la justice, liberté d’expression des médias et de la société civile, pouvoir de contestation des assemblées) menacerait la survie du Parti.
Ce grand écart qui, dans un environnement national et international bouleversé, récuse toute évolution politique et fonde les attitudes fermées et parfois brutalement répressives, est, entre autres, à la racine de la persistance des tumultes ethniques au Tibet et au Xinjiang. Beaucoup considèrent qu’il porte de graves risques systémiques pour le régime lui-même.