›› Editorial
Le contraste est grand entre ce rêve idéaliste d’une relation spéciale entre une Chine en devenir, grand pays émergeant, placé sur la trajectoire de la prochaine première puissance mondiale, et la France phare de la civilisation occidentale, capable de servir de pont et d’aider à l’intégration de la Chine dans le monde. La vérité des contradictions et des fragilités chinoises, comme la réalité de notre puissance et de notre influence en déclin, sont probablement à la racine des déceptions franco-chinoises.
Mais il y a pire. Derrière les belles phrases, subsistent de profondes méfiances réciproques. D’abord de la part de la France envers le pouvoir chinois toujours mis sur la sellette pour diverses controverses touchant aux difficultés du commerce, aux produits contrefaits, aux maquillages de la propagande et surtout aux droits de l’homme, qu’en Occident on ne peut plus éluder face aux opinions publiques de plus en plus averties des réalités brutales du pouvoir autocratique chinois. Mais les méfiances sont aussi chinoises. Il est en effet certain que bon nombre de bureaucrates et pas des moindres, qui n’ont pas la mémoire courte, éprouvent envers la France, qu’ils jugent versatile et imprévisible, de profondes suspicions.
Ceux-là n’ont en effet pas oublié, qu’après Tian An Men, Paris avait, en Europe, pris la tête du mouvement qui devait placer Pékin sous embargo, lui fermant pour longtemps l’accès aux hautes technologies de défense ; ils se souviennent aussi que nous avions été le seul pays occidental avec les Etats-Unis à vendre ouvertement des équipements militaires à Taiwan, puis, à peine une dizaine d’années plus tard, un satellite d’observation de haute résolution. Enfin ils n’ont pas manqué d’exprimer leurs rancoeurs quand, en 2005, le projet, que nous avions imprudemment mis en avant d’aider Pékin à faire lever l’embargo militaire, se heurtait aux blocages de Washington.
Il ne s’agit pas ici de remettre en question ces choix qui, en leur temps, n’étaient pas plus déraisonnables que d’autres. Mais il faut dire haut et fort que les décisions ont des conséquences et qu’il est dangereux de croire qu’avec la Chine il suffit de belles paroles et de bons sentiments pour que s’effacent les acrimonies sur des sujets aussi sensibles. Le moment est venu de se souvenir de la formule du Général De Gaulle : « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».
En Chine les questions sensibles qui touchent à la survie même du régime sont légion. Depuis la difficile équation population - ressources, qui taraude les dirigeants, jusqu’aux questions de souveraineté et d’unité du pays, en passant par la stabilité sociale, les difficiles choix entre ouverture et répression, les contradictions entre la tentation démocratique et la peur de perdre le pouvoir, ou encore la quête globale d’énergie et de matières premières, y compris dans des Etats mis au ban de la communauté internationale, les défis qui s’accumulent dans le ciel chinois, sont autant de sujets dont l’importance est pour les dirigeants communistes sans commune mesure avec la qualité des relations franco-chinoises.