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Shinzo Abe à Pékin. Au-delà des apparences

Les hauts et les bas de la relation.

Depuis la visite au Japon de Deng Xiaoping, le 23 octobre 1978, date de la signature du traité de paix et d’amitié, les hauts et les bas de la relation furent incessants. Pour ne citer que les derniers en date, en 2004 - 2005 les accès de fureur chinoise contre les ressortissants japonais attisée à jets continus par la télévision d’État avaient atteint un niveau de rancœur exceptionnel s’exprimant en riposte aux visites des autorités japonaises au temple Yasukuni.

Trois ans plus tard, alors que le très nationaliste Koizumi adepte des visites répétées au temple où sont conservées les cendres de plusieurs criminels de guerre avait quitté le pouvoir, la visite de Hu Jintao à Tokyo fut une extraordinaire éclaircie de la relation.

A cette époque, déjà interprétée par les observateurs comme « un tournant » de la relation, Shinzo Abe, dont c’était le premier mandat avait fait le voyage à Pékin (octobre 2006). La première réciproque eut lieu en avril 2007 avec le voyage de Wen Jiabao au Japon suivi 4 mois plus tard par celui du ministre de la défense Cao Guangchuan.

Plus encore, le déplacement à Tokyo du Président Hu Jintao du 6 au 10 mai 2008, 3 mois avant les JO de Pékin fut un remarquable exercice d’apaisement de la Chine.

Pour la première fois dans l’histoire récente des deux pays, un président chinois abandonnant la rhétorique exigeant les excuses de Tokyo, avait dans un discours à l’Université Waseda, placé sur le même plan les souffrances des Chinois et des Japonais « Cette histoire malheureuse n’a pas seulement causé des souffrances extraordinaires au peuple chinois, elle a aussi gravement blessé le peuple japonais »... « S’il est vrai qu’il est important de commémorer l’histoire, nous ne devons pas en nourrir des rancœurs ».

Dans la foulée les deux signèrent l’accord historique de l’exploitation conjointe du gaz en mer de Chine de l’Est.

A cette époque chacun avait en mémoire que l’indéniable succès de la visite de Hu jintao venait 10 ans après les aigreurs du voyage officiel de Jiang Zemin où les deux parties, à couteaux tirés, n’avaient pas réussi à s’accorder sur les termes d’un communiqué commun.

Après des échanges de discours remplis d’amertume où le président chinois sous une forte pression des nationalistes à Pékin, reprocha au premier ministre Obuchi de ne pas vouloir tirer les leçons du passé, la cérémonie de signature finale fut annulée.

Mais les auspices favorables du voyage de Hu Jintao se dissipèrent à nouveau dès l’automne 2010, quand Tokyo mit en prison pendant deux semaines le commandant d’un chalutier chinois entré en collision avec deux garde-côtes japonais dans la zone des Senkaku. Les Chinois demandèrent que Tokyo s’excuse, requête que le ministre des Affaires étrangères japonais de l’époque Seiji Maehara, avait trouvé « sans fondement et totalement irrecevable ».

La brouille a duré jusque récemment, ponctuée par des incidents plus ou moins graves, toujours exacerbés par les réminiscences de la guerre et dont le plus spectaculaire fut la saisie dans le port de Shanghai, le 19 avril 2014, du minéralier japonais Baosteel Emotion de 226 000 tonnes, libéré 5 jours plus tard contre le paiement d’une rançon de 28 millions de $.

Lire la genèse de l’incident dont les racines plongent dans la guerre : Effervescences nationalistes aux approches de la Chine.

En fond de tableau la montée dans les parages de la mer de Chine de l’Est d’une tension militaire s’exprimant entre les marines de guerre chinoise, japonaise et américaine.

Lire : Incidents militaires aux abords de la Chine et du Japon.

Le poids des méfiances.

Alors un tournant de la relation ? A Pékin ceux qui rêvent d’un départ américain de la région et, au Japon, les nationalistes fatigués de la tutelle de Washington aimeraient y croire, tandis que des deux côtés les pragmatiques répètent à satiété l’évidence de la complémentarité des deux économies. Pourtant les ombres des ressentiments et des méfiances continuent d’obscurcir la relation.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’analyse du voyage de Shinzo Abe publiée par le Global Times le 29 octobre, signée de Li Ruoyu, professeur associé d’histoire à l’université du Sichuan.

On y lit à la fois le puissant déficit de confiance et les ressentiments, très pesants marqueurs de la relation handicapée par l’alliance entre Tokyo et Washington, créant des obstacles que la visite n’a pas réussi à lever. Ces derniers s’expriment par le fait qu’à la remorque des États-Unis, le Japon reste réticent à reconnaître l’apport positif des « nouvelles routes de la soie », tandis que les accords conclus pendant le voyage n’ont été qu’économiques.

A l’étage stratégique subsistent non seulement l’alliance avec les États-Unis, mais également les ambitions de Shinzo Abe de modifier la constitution pacifique du pays. « On peut douter », conclut l’auteur qui passe sous silence le facteur Trump, « que Tokyo puisse se libérer du corset militaire et politique de l’Amérique ».

L’observation de la réalité lui donne raison. En avril dernier – une première depuis la guerre -Tokyo a rendu publique sa toute nouvelle brigade amphibie capable de déploiement rapide à 2000 hommes.

Selon le Global Times sa mission de défense du territoire japonais n’était qu’un prétexte voilant la renaissance du militarisme japonais. Equipée de véhicules amphibies et capable de se dédoubler, l’unité qui dispose d’aéronefs hybrides mi-hélicoptères, mi-avions de transport V-22 Osprey à 2 rotors basculants au rayon d’action de 1600 km, a de toute évidence une capacité d’engagement à moyenne distance dépassant les besoins de la défense de l’archipel.

D’autant que les forces navales récemment renforcées disposent de 4 bâtiments porte- hélicoptères modernes de 27 000 tonnes (classe Izomu) et 19 000 tonnes (classe Hyüga) capables à la fois d’accueillir les V-22 et des chasseurs de combat F-35B à décollage vertical, conférant à l’ensemble la capacité d’intervenir sur les deux théâtres de la mer de Chine de l’Est et du Sud. La perspective ne peut qu’inquiéter Pékin.

Cette montée en puissance accompagne l’intention de Shinzo Abe de modifier la posture pacifique du Japon dont il a fixé l’échéance à 2020 dans un discours le 3 mai 2017, lors des cérémonies du 70e anniversaire de la Constitution. Le projet qui prévoit d’autoriser les forces d’auto-défense à intervenir loin de leurs bases aux côtés d’un allié, a pris de la consistance dans une ambiance de sécurité rendue précaire depuis les survols de l’archipel par les tirs de missiles nord-coréens en 2016 et l’allongement de l’ombre portée militaire chinoise en mer de Chine du sud.

Enfin comme s’il voulait affirmer sa capacité à rester à distance de l’influence chinoise en dépit de l’imbrication complémentaire des économies, rappelant en même temps l’appartenance du Japon au clan des démocraties asiatiques marquant partout en Asie du sud-est sa rivalité stratégique sur les talons de Pékin, Shinzo s’est, à peine sa visite en Chine achevée, rendu le 29 octobre en Inde à l’invitation de Narendra Modi que malgré ses efforts, Pékin n’a pas réussi à rallier à ses projets de « Nouvelles routes de la soie ».

Les deux ont inauguré un dialogue 2+2 entre leurs ministères de la défense et des Affaires étrangères, et conclu un accord pour, en compétition avec Pékin, développer des projets d’infrastructure au Bangladesh, au Myanmar et au Sri Lanka. Ils ont également signé un document rejetant les « caractéristiques chinoises » et réaffirmé leur attachement à un ordre mondial articulé au droit international.

Lire aussi : Relations Chine-Japon. Les non-dits de l’irrationnel.


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