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A l’occasion de la visite à Pékin de Lakhdar Brahimi, envoyé spécial des Nations Unies et de la Ligue Arabe, la Chine a pris à rebours les analyses, y compris celles des commentateurs chinois qui spéculaient sur son intransigeance, rejetant indéfiniment, avec Moscou, les plans occidentaux réclamant le départ de Bashar al Assad.
Le 31 octobre Yang Jiechi, le ministre des Affaires étrangères a en effet proposé un plan en quatre points qui, au milieu d’autres propositions classiques appelant à un cessez-le-feu immédiat, à la coopération de toutes les parties impliquées et à l’aide urgence aux sinistrés de la guerre, mettait, pour la première fois en avant, l’idée d’une transition politique en Syrie. Pékin précisait que celle-ci serait à négocier par des représentants crédibles de toutes les parties, sans indiquer ce que l’idée de transition recouvrait, ni suggérer quel pourrait être le rôle ultérieur du dictateur alaouite.
Comme il est peu probable que l’initiative de Pékin ait été prise sans concertation avec Moscou, on peut raisonnablement considérer qu’elle pourrait favoriser une inflexion de l’attitude des Nations Unies dans la crise syrienne.
Pour autant, la formulation officielle publiée par l’agence Xinhua reste vague sur la manière de persuader les belligérants d’accepter un cessez-le-feu, dans un contexte où Pékin est toujours hostile aux pressions et plus encore aux opérations armées visant à renverser un gouvernement souverain. Elle ne dit pas non plus comment Bashar al Assad pourrait, sans aucune pression internationale à laquelle Pékin s’est jusque là montré hostile, endosser un plan qui spécule sur son éventuel retrait.
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Une nouvelle marge de manœuvre, dans une situation qui s’aggrave.
Le virage chinois intervient alors que le cessez le feu proposé par Lakhdar Brahimi pendant la fête musulmane de l’Aïd-el-Kébir, ou Aïd-el-Adha (fête du sacrifice) a échoué, chacune des parties accusant l’autre de ne pas l’avoir respecté, tandis que Damas accuse l’Occident d’armer les rebelles, eux-mêmes placés sur la sellette à la suite de l’exécution sommaire d’une douzaine de soldats syriens, dont les images tournent en boucle sur le net depuis le 1er novembre.
Le dérapage, attribué par l’Armée Syrienne Libre à des insurgés en rupture de ban, conforte la position chinoise qui analyse la crise syrienne non comme la répression des opposants au régime, mais comme une guerre civile alimentée de l’extérieur. Pour Pékin, la communauté internationale ne doit pas prendre partie dans ce conflit, sauf à procurer une aide humanitaire aux victimes et à favoriser le dialogue entre les camps pour faire cesser les combats.
Pour ajouter encore à la complexité de la situation, la nouvelle de l’assassinat des soldats syriens a été diffusée peu après une mise en cause directe par Hilary Clinton de la représentativité du Conseil National Syrien en exil, accusé par les Etats-Unis de ne plus être en prise avec la réalité du terrain. Le massacre des soldats de novembre faisait suite à celui commis par l’armée syrienne dans la ville d’El Houleh, le 25 mai 2012, causant la mort de 108 civils, dont 49 enfants et 34 femmes.
Dans ce paysage à la fois violent et confus, la Chine vient de se ménager une marge de manœuvre alors que les belligérants ne donnent aucun signe de compromis, que les dommages humains et matériels s’alourdissent sur fond de réprobation de l’opinion mondiale, tandis qu’en Occident, l’immobilisme de l’ONU commence à être, à tort ou à raison, directement imputé à Pékin et Moscou.
Après l’échec de Kofi Annan, parti en stigmatisant tout à la fois Damas, l’opposition syrienne et les 5 permanents, incapables de se mettre d’accord - « Je ne peux rien pour la paix si les protagonistes et le Conseil de Sécurité eux-mêmes ne s’impliquent pas plus » -, le Parti Communiste chinois pouvait difficilement prendre le risque qu’on lui impute un fiasco de Lakhdar Brahimi, d’autant qu’après l’attentat de Beyrouth (8 morts et 86 blessés), monte la crainte d’une contagion des hostilités hors de Syrie.
Sur le fond, il reste à vérifier jusqu’où la Chine acceptera d’aller, après avoir, avec Moscou, bloqué ou rejeté 5 résolutions ou propositions soumises au Conseil de sécurité - le 11 octobre 2011, par l’UE qui proposait des sanctions contre Damas ; le 4 février 2012, par les pays Arabes, les Etats-Unis et l’UE qui appelaient Assad à se retirer ; le 16 février, par l’Assemblée Générale qui condamnait la Syrie ; le 1er mars, par le Conseil des droits de l’Homme, condamnant les crimes contre l’humanité ; le 19 juillet par le Royaume Uni qui proposait des sanctions économiques en cas d’échec du plan de paix de Kofi Annan, véto qui finit par l’enterrer définitivement.
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Pékin hostile à l’usage international de la force.
Une chose paraît certaine : le virage chinois laisse augurer que Pékin pourrait, sous certaines conditions, appuyer des résolutions de l’ONU imposant des sanctions contre Damas, pour forcer le régime à envisager une transition ; pour autant, la probabilité que la crise syrienne se dénoue sur le mode libyen, à coups de missiles de croisière tirés par une coalition parrainée par l’OTAN, est extrêmement faible.
D’abord parce que Washington, qui se désengage d’Afghanistan – mais dont la participation militaire serait indispensable dans le contexte de l’affaiblissement des armées européennes - est échaudé par les déboires des opérations armées dans le chaudron du Moyen Orient, où les interventions de l’OTAN sous magistère américain sont systématiquement présentées comme les intrusions d’une machine de guerre occidentale sur fond de surenchères anti colonialistes et islamistes.
Ensuite parce qu’après les frustrations de l’affaire libyenne, où Pékin considère que la coalition avait outrepassé son mandat, rendu possible par son abstention lors de la résolution 1973, la Chine, qui « surfe » sur les réticences anti occidentales de certains pays arabes, reste plus que jamais opposée à l’utilisation de la force pour le traitement des crises internationales.
Ignorant les dernières évolutions du droit international sur la Responsabilité de la Communauté des Nations de protéger les populations tyrannisées par leurs gouvernants, Pékin enrobe son discours de considérations légalistes, se référant à la Charte des Nations Unies et à la souveraineté inviolable des Nations. Mais les raisons profondes des réticences chinoises se nourrissent à la fois des intérêts stratégiques de la Chine et des préoccupations de politique intérieure. Elles se déclinent autour de plusieurs inquiétudes ou défiances majeures du Régime.
Les préventions chinoises sont d’abord liées à la crainte que l’Occident et surtout les Etats-Unis prennent la main dans la solution des crises d’une région d’importance vitale pour ses approvisionnements en énergie, dont elle voit bien, depuis les opérations de l’OTAN en Irak, qu’elles peinent à se stabiliser sous la pression d’un Islam radical, difficilement contrôlable et dont les effets ne sont pas anodins pour la stabilité du Xinjiang, peuplé à plus de 50% de Musulmans Ouïghours en partie irrédentistes.
Les méfiances de Pékin se nourrissent aussi de la crainte qu’en cas de succès, la projection de forces sous mandat des Nations Unies ne devienne une norme contagieuse, alourdissant irrémédiablement la main de l’Occident dans un monde où Pékin entend bien jouer sa partition à sa manière.
Enfin, le Régime, confronté à l’intérieur à une série de contestations politiques, observe l’évolution chaotique du Moyen Orient. S’il est vrai que le théâtre est aux prises avec des radicaux, il est également traversé par des revendications de liberté, dont Pékin ne peut sous estimer l’importance ni la force de contagion par Internet.
Dans ce contexte, plane aussi en arrière pensée la crainte d’une contamination démocratique qui affaiblirait le magistère du Parti. Au cours de ces derniers mois ces préoccupations ont été largement exprimées, à la fois officiellement par le Parti, mais également par les voix semi-officielles de chercheurs et de journalistes.
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Une argumentation rodée qui ne varie pas.
La position de principe et les craintes sous-jacentes de Pékin à propos des sanctions onusiennes et les possibles dérapages d’un mandat du Conseil de Sécurité avaient déjà été longuement rappelées dans un article de Qu Xing, Président de l’Institut Chinois des Etudes Internationales, repris le 29 février 2012 dans la revue « Foreign Policy » (« Why Has China Vetoed the Security Council Syria Resolution »). Il expliquait les vétos chinois du 11 octobre 2011 et surtout du 4 février 2012, contre une proposition, qui avait pourtant rallié la Ligue Arabe.
L’argumentation qui ne manquait ni de logique ni de clarté rappelait que la résolution du 4 février 2012, contrevenait aux principes du Droit International, puisqu’elle exigeait sans vrai compromis et de manière peu constructive, le départ d’un chef d’état souverain, le privant - lui et ses alliés - de toute marge de manœuvre, une occurrence qui ne pouvait qu’aggraver les tensions et augmenter la rigidité du régime de Bashar al Asad, tandis que l’opposition, se sentant confortée, se laisserait aller aux surenchères, le tout pavant la route à des affrontements armés dévastateurs pour les populations civiles.
Laissant présager l’évolution possible de la position chinoise, et voulant indiquer que la Chine n’accordait pas un soutien indéfectible au dictateur de Damas qu’elle incitait à négocier avec son peuple et à engager des réformes sociales, l’auteur ajoutait que Pékin ne prenait pas partie, et n’aurait aucune réticence à changer d’interlocuteur dès lors qu’un accord des Syriens entre eux aurait organisé le transfert du pouvoir à une autre force politique.
Mais seule une solution incluant toutes les parties aurait des chances de ne pas déboucher sur un chaos comme ceux observés en Irak ou en Libye. A ce propos, Xu Qing mettait en garde contre une résolution qui contrevenait à la Charte, et de ce fait, portait le risque d’un dérapage du mandat, qui ouvrirait la porte à une intervention militaire directe. Prenant à témoins les intérêts de la Chine qui étaient aussi ceux de l’UE et des Etats-Unis, il exprimait les soucis majeurs du régime chinois prévenant « qu’une agression armée de la Syrie ferait le lit de l’extrémisme religieux et désorganiserait les approvisionnements en énergie de la planète. »
Ainsi, ajoute t-il, les opérations en Libye, initialement destinées à protéger les populations civiles en faisant respecter une zone d’interdiction aérienne, se transformèrent en une chasse à Kadhafi qui provoqua la mort collatérale de 25 000 civils. Au passage, l’auteur rappelait à la Ligue Arabe qu’elle s’était déjà laissé déborder par les Occidentaux en appuyant la résolution 1973 en Libye, celle-là même qui avait permis à la coalition de s’affranchir du mandat.
Au point que, quand son Secrétaire Général Amr Moussa avait publiquement condamné l’Alliance pour avoir violé la résolution en s’embarquant dans des frappes militaires, très au-delà de Benghazi, il était trop tard, la Ligue étant privée de toute marge de manœuvre.
Par ryoga Le 14/01/2013 à 12h29
Syrie. Portée et limites du virage stratégique chinois.
article intéressant mais un peu plus orienté pro-occidental que d’habitude...On parle bcp des intérêt de la Chine (normal vu le site ;)) et la Fédération de Russie mais on oublie assez souvent ceux l’OTAN qui sont peu humanitaires aussi....