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›› Editorial

Une « paix inconfortable. » Les non-dits du duopole sino-américain. Pékin face aux contrefeux

Yan Xuetong s’exerce à l’apaisement.

Ayant par le passé exprimé des vues très nationalistes considérées par beaucoup de « Chinois Watchers » comme anti-occidentales, Yan, formé à l’Institut des Relations Internationales de Pékin et titulaire d’un Doctorat de Sciences Politiques obtenu à Berkeley en 1992, est aujourd’hui le doyen de l’Institut des Relations Internationales de Qinghua.

Pour lui, s’il est vrai que la montée en puissance de la Chine a mis fin au magistère sans partage de l’Amérique, tandis que de nombreux conflits d’intérêts heurtent encore les relations sino-américaines, Pékin n’a pas de stratégie claire pour remplacer Washington dans le rôle « d’hégémonie » mondial capable de redessiner et d’imposer ex-abrupto de nouvelles normes internationales.

Dans les dix ans qui viennent, la politique étrangère de la Chine n’aura pas pour objectif d’évincer Washington, mais plutôt de maintenir les conditions socio-politiques nécessaires à sa croissance, ce qui, en dernière analyse, conduira les élites chinoises à éviter tout affrontement direct avec les États-Unis ou avec ses alliés du premier rang.

Suit un passage où Yan Xuetong adopte une rhétorique fréquemment utilisée par la Direction du Parti dont il est par construction très proche, pour minimiser la montée en puissance chinoise quand elle provoque des réactions adverses.

La nouvelle emprise de la Chine dans le monde, écrit-il, doit beaucoup à l’abdication américaine sous l’égide du Président Trump. Concrètement, pourtant l’écart entre les deux pays s’est à peine réduit. Avec le freinage de la croissance chinoise et le rebond américain au-dessus de 3%, le Yuan, en recul de 10% par rapport au Dollar, handicape les importations chinoises, tandis que, même si le budget militaire chinois augmente à 300 Mds de $, il reste encore très en deçà de celui du Pentagone voisin de 800 Mds.

Résultat, à Pékin c’est la prudence qui domine et non pas l’agressivité. Dans un avenir prévisible, dit Yuan Xuetong, la Direction politique évitera soigneusement d’exacerber les controverses comme celles de la Mer de Chine du sud, de la cybersécurité ou de la militarisation de l’espace, pouvant mener à une guerre directe avec les États-Unis.

Simultanément et en dehors de la sphère strictement économique, le duopole sino-américain signera la fin du multilatéralisme, tandis que la situation du monde est marquée par la résurgence politique du national-populisme à l’ouest et du souverainisme en Chine, réduisant mécaniquement les perspectives d’une diffusion globale des normes du libéralisme politique et de la démocratie.

Notons au passage, qu’en filigrane et sans le dire le qualificatif de « populiste » accolé aux résurgences nationalistes à l’Ouest attribue par contraste au nationalisme chinois une vertu patriotique, tandis qu’il range l’Occidental dans la catégorie des évolutions toxiques.

De fait, Yan Xuetong constate que, dénonçant plusieurs accords internationaux dont celui sur l’Iran et le traité sur les missiles nucléaires intermédiaires, ayant claqué la porte du Conseil des droits de l’homme des NU, Donald Trump a tourné le dos au projet politique de promouvoir « par la diplomatie, et si nécessaire par les armes, un ordre international articulé aux principes libéraux. »

Malmenant à la fois ses amis et ses ennemis, il remet aujourd’hui en question le libre commerce et embrasse un nationalisme virulent et sans complexe. »

Priorité à l’ouverture pour la conquête des marchés.

Dans ce contexte, la Chine qui a haussé la qualité de ses produits à l’export et dont la croissance et la stabilité dépendent de ses exportations, restera attachée aux libre commerce (en novembre 2018, la moyenne des droits de douane en Chine a été réduite de 10,5% à 7,8%), fondement de sa modernisation et de sa mutation d’une société agraire vers une puissance globale de premier rang.

Rien n’indique que cette prévalence de l’export dans la conception stratégique chinoise se modifiera dans les 10 années qui viennent.

Le lancement des « nouvelles routes de la soie » auxquelles participent 70 pays est, au contraire, une claire indication des intentions de la Chine de développer un vaste réseau de routes terrestres et maritimes inscrites dans la constitution au 19e Congrès qui toutes concourent à élargir son accès au marché global. Les taxes américaines ne sont certes pas sans effet sur l’économie, mais elles ne changeront pas l’épine dorsale d’ouverture au libre commerce des stratégies chinoises.

*

Ainsi, conclut Yan Xuetong, s’installe progressivement une direction de la planète à deux superpuissances aux intérêts stratégiques opposés, mais dont l’influence deviendra peu à peu comparable. A l’avenir, il leur sera de plus en plus difficile de se défier directement, tandis que la dissuasion nucléaire empêchera les guerres périphériques de dégénérer.

Plus encore, les élites chinoises satisfaites du statuquo, éviteront de le mettre en danger à moins que les intérêts vitaux du pays soient menacés. C’est pourquoi, plutôt qu’une « descente vers un chaos global » décrit par certains, le futur s’organisera autour d’une cohabitation inconfortable des deux dans un monde instable, à la paix hésitante et précaire.

S’il est possible de cautionner une bonne part des analyses et messages proposés par Wang Qishan et Yan Xuetong, il faut cependant souligner que le bel ordonnancement des fines porcelaines de la grande stratégie chinoise recèle plusieurs éléphants présents dans la pièce dont ni l’un ni l’autre ne parle.


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