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›› Politique intérieure

Les limites de la transparence et des réformes institutionnelles

Au cours du premier trimestre 2010, le Parti a pris plusieurs initiatives allant prudemment dans le sens des principes de la « bonne gouvernance », sur les thèmes de la transparence, de l’équité du système électoral et de l’efficacité de la justice. Ces actions s’inscrivent dans les efforts du pouvoir pour restaurer sa légitimité et garantir la paix sociale. Mais, toujours soumises au dogme politique du « rôle dirigeant du Parti », leur portée politique reste limitée.

Le 30 mars, le ministère des ressources minières a publié l’intégralité de son budget. Son exemple a aussitôt été suivi par 35 autres ministères.

Mais, s’il est vrai que la publication des ressources financières allouées aux ministères - une première - constitue un effort inédit de transparence, plusieurs responsables ont concédé que l’annonce publique des chiffres seulement après leur adoption par l’ANP, éliminait toute possibilité de discussion budgétaire. Ils ont aussi reconnu que la présentation des budgets en à peine une demi-douzaine d’agrégats ne permettait pas de vérifier la cohérence des moyens alloués avec les politiques affichées.

Au cours de la même période, le Bureau Politique a aussi fait procéder à une importante modification de la loi électorale et manifesté à plusieurs reprises son intention de réformer le système judiciaire.

Le 14 mars dernier, les députés de l’ANP ont voté un amendement de la loi électorale visant à rétablir la parité de la représentation au sein des Assemblées Populaires entre les zones urbaines et rurales. Depuis 1953, date de la première loi, les villes bénéficiaient en effet d’une surreprésentation pour tenir compte à la fois de leur poids politique dans le système (position dirigeante de la classe ouvrière) et de leur faible importance démographique. Ce déséquilibre avait été corrigé une première fois en 1995. Depuis cette date, il était de 1 pour 4.

Ce nouvel ajustement, qui tourne le dos aux dogmes marxistes et induira mécaniquement une augmentation importante du nombre des doléances paysannes présentées à l’ANP, est sans conteste une avancée vers plus d’équité politique. Il est aussi en phase avec le souci du pouvoir de corriger les disparités entre villes et campagnes, alors que, depuis 1995, on assiste à une industrialisation rapide des zones rurales, tandis que, selon Wang Zhaoguo, vice-président de l’ANP, la part urbaine de la population est passée de 29% à 46%.

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Mais la reconnaissance tardive de l’égalité complète villes - campagnes dans les scrutins jette une ombre sur les rapports réels que le Parti entretient avec la démocratie et les élections. De fait, les scrutins populaires directs ne sont organisés que dans les villages et il a fallu attendre 1979 pour qu’un amendement à la loi électorale autorise un nombre de candidats supérieur aux nombre de postes à pouvoir.

Ce n’est qu’en 2004 que les candidats ont été formellement autorisés à faire campagne, tandis que la même année un autre amendement interdisait pour la première fois la « corruption électorale » et les « achats de voix ». Enfin, le Parti qui supervise les élections des villages à partir des districts, a souvent pesé sur la nomination des candidats par le biais des élections primaires. Celles-ci sont officiellement organisées pour réduire le nombre de candidats, mais constituent en réalité une investiture du Parti.

« Les cadres du Parti, dans les communes et les districts, n’aiment pas les élections libres. Ils craignent de perdre leur pouvoir », dit un villageois. Un autre renchérit « ce ne sont pas de véritables élections. Le pouvoir reste au main du secrétaire du Parti local ». Quand le Parti accepte de jouer le jeu de la libre désignation des candidats, les villageois sont plus optimistes : « les villages sont les seuls endroits de Chine qui ont goûté aux élections libres et démocratiques. Il n’y aura pas de retour en arrière ».

Quant à la désignation indirecte des députés dans les assemblées des districts et au-dessus, elle est plus proche d’une cooptation que d’un scrutin populaire. L’effet pervers de ce système est qu’il coupe les députés de la partie de la population qu’ils sont censés représenter et tend à transformer les assemblées locales et nationales en chambre d’enregistrement.

D’autant plus qu’il n’existe aucun mécanisme institutionnel permettant les échanges systématiques entre les députés et la base. Si un cadre officiel de rencontres entre les députés et la population - avec bureau de permanence et aide logistique et financière du Parti - a été mis en place dans quelques endroits de Chine (Jiangsu, Guangdong), il est toujours resté au stade expérimental.

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Le 4 avril dernier, lors d’une réunion à Pékin, Zhou Yongkang, membre du Comité Permanent du Bureau Politique, Secrétaire de la Commission Centrale des affaires législatives a reconnu que la montée des conflits sociaux exigeait la mise en place d’un système judiciaire plus équitable en même temps que l’amélioration de la qualité des juges, des procureurs et des services de police.

Un mois plus tard, le Premier Ministre Wen Jiabao qui, à l’occasion de l’anniversaire du 4 mai 1919 s’était rendu à l’Université Beida, évoquait de manière à peine voilée le concept justice indépendante devant les étudiants : « l’éclat de la justice doit briller plus fort que le soleil. »

Alors que résonnent les appels pour une meilleure justice, la presse occidentale, reprenant souvent les critiques des experts chinois, accumule les commentaires critiquant la pratique du droit en Chine. Depuis plusieurs mois, de nombreux articles ciblent la situation des avocats, dont le rôle, tel qu’il est défini dans le droit occidental, est mal accepté par le Parti.

Le 8 avril dernier, le ministère de la justice, réagissant aux ordres de Zhou Yongkang, publiait deux règlements encadrant strictement le statut des avocats. Il prévoyait à la fois une aide financière de l’Etat, la mise en place d’un cadre pour « évaluer » leur travail et des sanctions en cas de manquements.

Ces nouvelles dispositions renvoyaient au cas de deux avocats des militants du mouvement Falun Gong, la bête noire du Parti, dont la licence a été révoquée pour « avoir provoqué des désordres au tribunal et perturbé la lecture de l’acte d’accusation ».
Tang Jitian et Liu Wei font partie de la cinquantaine d’avocats des droits de l’homme - la moitié de l’effectif inscrit au barreau dans ce secteur - harcelés par le pouvoir et tous menacés d’être privés de leur licence. Un autre cas est celui de Gao Zhisheng, également avocat de membres du mouvement Falun Gong, disparu pendant plus d’un an, après que sa famille se soit enfuie aux Etats-Unis. Il a réapparu en mars dernier pour annoncer qu’il mettait fin à sa carrière d’activiste, avant de disparaître à nouveau.

Le professeur Shen Kui, de l’Université de droit de Pékin, cité dans le Wall Street Journal par le professeur Stanley Lubman, expert du droit chinois à l’Université de Berkeley, tente de donner une image objective de la situation de la justice : « il est vrai que les réformes sont limitées et qu’elles n’ont apporté aucun changement significatif dans le statut et le rôle des tribunaux au sein du système politique chinois (...) Mais là n’était pas leur but. Il s’agissait plutôt d’améliorer l’efficacité et l’équité du système. De ce point de vue, les réformes ont été un succès modéré. »

Mais les choses en resteront là tant que la notion de justice sera imprégnée des habitudes culturelles et sociales qui privilégient la médiation et le compromis à la stricte application du droit, et que le système politique chinois fonctionnera selon le dogme intangible du « rôle dirigeant du Parti », directement en contradiction avec la notion occidentale d’indépendance de la justice.

Stanley Lubman ajoute : « Les buts réels des réformes restent du domaine du non-dit. Les juristes chinois en charge des réformes hésitent sur le degré d’occidentalisation à introduire dans le système. En même temps, ils se demandent si des tribunaux fonctionnant selon les caractéristiques culturelles chinoises pourraient être conformes aux standards d’une justice indépendante. L’avenir de la réforme du droit chinois est incertain et il est peu probable qu’on assiste à des réformes significatives à court terme. »

 

 

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