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›› Technologies - Energie

La Chine améliore sa maîtrise du nucléaire civil et affirme ses ambitions commerciales

La compétition technologique et commerciale sur le marché mondial des centrales nucléaires fait rage, et les Occidentaux ne sont plus seuls en lice. En décembre dernier, Areva et General Electric ont perdu un appel d’offres de 20 milliards de dollars pour la construction d’une centrale nucléaire aux Emirats, attribuée au groupe sud-coréen Korea Power Corporation.

La Chine, qui met actuellement en œuvre 11 centrales nucléaires dérivées des technologies canadienne, russe et française, ambitionne elle aussi de commercialiser ses centrales sous le label chinois. Elle l’a déjà fait avec le Pakistan. Mais l’exportation des technologies purement chinoises ne s’est pas toujours faite sans difficultés. Aujourd’hui encore elle n’est acceptée qu’avec réticence par ceux qui craignent la concurrence technologique, commerciale et stratégique de la Chine.

Les réacteurs en service en Chine sont tous de deuxième génération. Six autres, de troisième génération sont en construction, dont un américain et deux français qui devraient être opérationnels en 2013. La Chine a, de son côté, mis en chantier un réacteur de troisième génération baptisé ACP 600 qui serait également prêt pour 2013.

Enfin, rappelons que, pour répondre à l’explosion de la demande d’énergie, qui augmente de 15% par an, le Conseil d’Etat prévoit que la Chine devra disposer de 100 centrales opérationnelles ou en construction en 2020. A terme, la part du nucléaire dans le paysage énergétique chinois - qui ne compte aujourd’hui que pour 2% - devrait dépasser 20%. Alors que jusqu’en 2004, le slogan officiel était « la Chine développe le nucléaire civil de manière appropriée », il est aujourd’hui devenu : « le nucléaire sera développé de façon accélérée ».

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Pékin, fort de cette expérience affirme ses ambitions sur le marché mondial de l’énergie nucléaire civile. En avril dernier, la China Guangdong Nuclear Power Corporation a annoncé qu’elle étudiait la possibilité de coopérer avec Electricité de France et Areva pour exporter des centrales. La China National Nuclear Corporation déclare, quant à elle, qu’elle est prête à vendre des réacteurs de 2e génération de 1000 mégawatts.

Des contacts auraient été pris avec la Biélorussie et des pays africains pour la construction de réacteurs de 300 mégawatts, tandis qu’en avril on apprenait que la Chine allait construire deux nouveaux réacteurs de 650 mégawatts sur le site de Chashma au Pakistan. Dans cette région située au Penjab, un réacteur de 300 mégawatts construit par la Chine est déjà opérationnel depuis 2000. Un autre, décidé en 2003, devrait être terminé en 2011.

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Mais la petite histoire de ce marché avec Islamabad révèle quelques difficultés à la fois techniques et stratégiques. Le concept technique finalement adopté pour la centrale de Chashma aujourd’hui en fonctionnement fut celui de la première centrale chinoise Qinshan-1, plusieurs fois modifié, lointain résultat de la coopération sino-russe des années 50, mise en service en 1991 dans le Zhejiang, avec une cuve construite par le Japonais Mitsubishi.

L’adoption par le Pakistan de la solution chinoise fait suite à un premier essai avorté de coopération franco-pakistanaise, initié en 1970 et arrêté en 1978 sous la pression de Washington, après le refus d’Islamabad de signer le traité de non prolifération nucléaire. Rappelons que le premier test nucléaire pakistanais a eu lieu en 1998, 24 ans après celui de l’Inde. En 1993, relevant le défi, les ingénieurs de la China National Nuclear Corporation travaillèrent sans assistance extérieure sur ce projet, après avoir recherché en vain l’aide technique du Japon, des Etats-Unis, de la France et de l’Allemagne.

Cette circonstance souleva quelques craintes au Pakistan, où les critiques du projet mirent en doute la fiabilité et la sûreté de la centrale. Il est un fait que pour ses autres centrales actuellement en service sur son sol, la Chine s’est assuré la coopération d’experts étrangers français, russes, canadiens ou américains.

Depuis l’annonce d’une nouvelle tranche chinoise de deux centrales à Chashma, la polémique autour du rôle proliférateur de la Chine et du Pakistan a repris. Elle se double d’une rivalité stratégique en Asie du Sud, où Pékin apporte son appui à Islamabad, tandis que les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Russie soutiennent la coopération nucléaire civile avec New Delhi.

La décision chinoise a provoqué un tumulte au sein du Groupe des Fournisseurs Nucléaires - GFN -, un forum informel de 45 Etats qui entend exercer une pression politique globale pour limiter les exportations de biens et technologies nucléaires.

Pékin répond qu’en concluant en 2008 un accord de coopération sur l’énergie nucléaire civile avec l’Inde, les Etats-Unis et la France ont eux-mêmes transgressé les règles du GFN qui interdisent toute transaction ou coopération nucléaire, même civile, avec les Etats qui ne se conforment pas au Traité de Non Prolifération (TNP) - c’est le cas de l’Inde, du Pakistan, de la Corée du Nord, et d’Israël -.

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La réalité est que l’Asie du Sud, enjeu d’une lutte d’influence entre la Chine, les Etats-Unis et la Russie est aussi, avec la Corée du Nord et le Moyen Orient (Iran, Israël), l’une des zones les plus sensibles de la planète, traversée par un enchevêtrement de tensions qui vont de la rivalité entre New Delhi et Islamabad au risque de prolifération nucléaire terroriste, en passant par la persistance de l’Islamisme radical. A quoi s’ajoute une bonne dose de mauvaise foi de part et d’autre.

Il est vrai que les transferts entre la Chine et le Pakistan furent probablement les vecteurs d’une prolifération nucléaire vers Tripoli, Pyongyang et Téhéran. En 2004, Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe pakistanaise, qui s’est par la suite rétracté, avoua en effet avoir transféré des secrets nucléaires sensibles vers l’Iran, la Libye et la Corée du Nord.

Après 2004, année au cours de laquelle elle a adhéré au Groupe des Fournisseurs, la Chine s’était cependant montrée plus circonspecte, résistant même aux appels pressants d’Islamabad en 2006. Mais les accords sur le nucléaire entre Washington et New Delhi l’ont décidée à conclure l’accord sur les nouvelles tranches de Chashma.

De son côté, pour justifier la transgression des règles du GFN avec New Delhi, Washington avance, contre toute évidence, que l’Inde ne s’est jamais rendue coupable de prolifération.

En réalité l’attitude de New Delhi au cours de la période qui précéda 1974, année du premier essai nucléaire indien, n’était pas éloignée de celle que Washington et l’UE dénoncent chez Téhéran aujourd’hui (utilisation frauduleuse du plutonium importé du Canada et des Etats-Unis, importation en contrebande « d’eau lourde » en provenance d’URSS, utilisation à des fins militaires de technologies balistiques officiellement vendues pour des besoins civils).

Après les hésitations de Pékin suivant son entrée dans le Groupe des Fournisseurs en 2004, la décision chinoise de construire deux nouvelles centrales à Chashma, encouragée par les accords Washington- New Delhi de 2008, marque, avec les récentes transgressions américaine et française, une nouvelle étape de l’affaiblissement du TNP.

Elle ouvre peut-être la porte à des marchandages entre la Chine et les Etats-Unis sur la question iranienne, et peut-être à terme, nord-coréenne. Elle signale, en tous cas, que l’appétit de la Chine pour le nucléaire civil créera, à mesure qu’elle gagnera en maîtrise technique, un irrésistible élan commercial, lui-même générateur de nouvelles rivalités et tensions.

 

 

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