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›› Politique intérieure

La face cachée de « l’incident de Chengdu »

La transition politique en cours est – Questionchine l’a souvent répété – marquée par le fait que, pour la première fois depuis l’ouverture de la Chine en 1978, le transfert du pouvoir se fera sans la caution directe ou indirecte de Deng Xiaoping, avec pour conséquence l’affaiblissement du message réformateur, qui fut à la fois le moteur d’un formidable bouleversement social et une source d’espérance et d’optimisme pour beaucoup de Chinois.

La défaillance des idées d’ouverture, marquée par un repliement culturel et politique, s’est peut-être traduite, le 6 février dernier, par la tentative avortée de défection au consulat américain de Chengdu de Wang Lijun, bras droit anti corruption de Bo Xilai secrétaire général de Chongqing, candidat au pouvoir suprême du Comité Permanent, et artisan avec Wang d’une vaste opération « mains propres » dans la mégalopole sichuanaise, devenue « municipalité autonome » en 1997.

Régression politique. Affaiblissement des idées réformatrices.

L’affaire, au parfum de fuite précipitée et secrète aux Etats-Unis, interrompue par l’encerclement d’un consulat américain par la police chinoise, suivi par une enquête de la Commission de Discipline du Parti, rappelle irrésistiblement des temps qu’on croyait révolus. Le sentiment de régression est encore accentué par la somme des inconnues et de mystère qui entoure l’épisode, aggravés par le décalage de perception des deux protagonistes vus par les Chinois d’une part et les étrangers d’autre part.

Au Bo Xilai des étrangers, réformateur moderne, champion de la lutte contre la mafia, du financement des services sociaux par les entreprises d’état, de l’aménagement urbain et des logements bon marché, s’oppose l’image plus trouble, véhiculée en Chine par quelques cercles réformateurs d’un homme ambitieux, opportuniste, parfois brutal et sans scrupules, aux convictions politiques changeantes, prêt à tout – comme le confirme sa soudaine passion maoïste - pour escalader les marches du pouvoir, protégé et promu par l’entregent de son père Bo Yibo, décédé en 2007.

Secondé par Wang Lijun, déjà avec lui dans le Liaoning quand il gouvernait la province, il s’est aussi, à l’occasion, impliqué sans états d’âme dans la répression de mouvement Falungong, au point qu’il a été poursuivi par ses victimes exfiltrées à l’étranger pour crimes contre l’humanité dans au moins une dizaine de pays (voir Taipei Times du 30 novembre 2005).

Quant à Wang Lijun, devenu vice maire de Chongqing, en récompense de ses succès anti-mafieux, il associa son mentor à ses méthodes peu orthodoxes, souvent implacables et violentes, qui attirèrent à Bo Xilai à la fois la reconnaissance médiatique et la méfiance de ses pairs du Bureau Politique.

Quelles que soient les péripéties qui provoquèrent « l’incident de Chengdu », règlements de compte entre les deux protagonistes, complot de factions adverses inquiètes de la dérive maoïste à l’œuvre à Chongqing, manœuvre des rivaux politiques de Bo Xilai, l’avatar néfaste du Sichuan ne fut possible que par la dégradation du consensus politique, principe cardinal insufflé par Deng Xiaoping exigeant la cohésion sans faille – au moins de façade - du Parti.

Les rivalités personnelles à couteaux tirés n’ont jamais faibli. Elles sont mêmes consubstantielles de la vie du Parti. Mais voilà longtemps qu’une querelle d’apparatchiks n’avait pas impliqué une ambassade étrangère. La vérité est que l’adhésion indéfectible aux théories réformatrices ne va plus de soi. Ici et là surgissent même des voix pour critiquer Deng Xiaoping. Tandis que le désarroi qui exacerbe les rivalités a créé le terrain favorable au dérapage public de Chengdu.

Au Parti, les convictions flottent sur la manière de s’adapter aux bouleversements de la société, à la quête individuelle et de sécurité de la nouvelle classe moyenne, à la crise, et aux exigences de l’indispensable restructuration de l’économie, qui doit améliorer la demande intérieure, monter en qualité et en productivité, supprimer les doublons, réduire les gaspillages et les corruptions, limiter la consommation d’énergie et corriger les désastres de la pollution.

Pour l’heure, convaincu par ses « think tank » que l’immobilisme serait mortel, le pouvoir ne se résout cependant pas à relancer la dynamique réformatrice sur le terrain politique, jouant toujours avec l’idée d’une démocratie interne au Parti, appelant même, avec Bo Xilai et d’autres, les mânes de Mao à la rescousse.

En désespoir de cause, et en attendant mieux, le système se replie sur le plus petit dénominateur commun de la stabilité sociale, dont l’un des effets pervers est de figer la société, corsetée dans les réseaux des clans et des familles, bloquant les initiatives politiques, réduisant les opportunités du plus grand nombre, confortant les inégalités et les positions privilégiées de l’oligarchie.

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Sclérose de la société.

A la mi-janvier paraissait dans le magazine Caixin un article signé de Madame Guo Yuhua, titulaire d’un Doctorat d’anthropologie, professeur de sociologie à Qinghua Daxue qui analysait ce phénomène de stagnation sociale porteur d’amertume et de découragement. Ayant identifié que la société chinoise avait perdu son dynamisme des années de la réforme, qu’elle régressait vers le système des connexions familiales et des « guanxi » et que la mobilité sociale était grippée, tandis que les ressources, les opportunités et la richesse étaient concentrées dans quelques mains, elle estimait que « le sentiment le plus partagé en Chine était la déception ».

La désillusion prenait racine dans le décalage entre les discours publics sur la « naissance d’une nation puissante » et la faiblesse des progrès individuels dans une société de moins en moins ouverte. « Ce ne sont toujours pas la connaissance et les diplômes qui ouvrent les portes, mais toujours les réseaux, les appuis et le statut de la famille ». Pour un Chinois moyen il était de plus en plus difficile de démarrer une affaire commerciale, et presque impossible aujourd’hui pour un paysan d’immigrer en ville. Le blocage était encore aggravé par la situation économique et la survivance du passeport intérieur.

Un indice, qui révélait le recul du dynamisme social était l’augmentation constante du nombre des candidats à une fonction administrative. Ils étaient 600 000 en 2007, 800 000 en 2008, 1,1 million en 2009 et 1,5 millions en 2010. Alors que durant la grande époque des réformes, après 1992, les opportunités étaient nombreuses, aujourd’hui c’était la bureaucratie du Parti qui constituait l’ascenseur social le plus sûr.

L’inégalité des droits et le grippage des ascenseurs sociaux, la réduction de la mobilité professionnelle et le durcissement général de la société confortaient les riches et les puissants ; ils affaiblissaient les plus démunis et les plus faibles. Le plus grave ne seraient pas les écarts de richesse mais la dégradation de « l’écosystème social » qui induirait un déclin économique culturel et politique. Poursuivant son image écologique, l’auteur affirme qu’une société dynamique ne se nécrose pas, à l’instar de l’eau courante qui reste limpide (- 流水不腐 -Liu shui bu fu – l’eau courante ne pourrit pas -). Mais en Chine, dit-elle, la dégradation de « l’écosystème social » qui résultait de la stagnation des opportunités était évidente.

« Au bas de l’échelle, c’est la jungle ». C’est ce que, selon elle, indiquait la somme des incidents pernicieux et potentiellement dangereux de ces dernières années, qui allaient du scandale des esclaves des fours à briques, aux produits alimentaires frelatés, en passant par les trafics d’enfants, les salaires impayés des migrants, les attaques au couteau dans les écoles, les suicides chez Foxconn et les évictions violentes.

L’origine de ces phénomènes violents et hors la loi résidait dans l’érosion progressive des opportunités sociales, que ceux situés au bas de la pyramide ne pouvaient compenser qu’aux dépens de leur honnêteté. Ainsi se créait le cercle vicieux du fort opprimant le faible ; ce dernier martyrisant lui-même plus faible que lui.

La classe moyenne n’était pas épargnée. Non seulement il était difficile d’y entrer dans le contexte des ressources accaparées par une minorité, mais il était aussi devenu impossible d’y progresser dans l’échelle sociale. Les offres d’emploi et les augmentations de salaires se faisaient plus rares, les frais de scolarité, le prix des logements avaient beaucoup augmenté et le simple maintien du statut social était épuisant.

Dans le même temps, les élites émigraient. En dépit des considérables avantages de leur statut privilégié, elles éprouvaient elles aussi un fort sentiment d’insécurité, provoqué par la corruption de l’oligarchie, seulement obsédée par le maintien de la stabilité sociale, et dont le pouvoir politique n’était contrôlé par rien.

Au nom de la stabilité sociale, les intérêts légitimes des particuliers étaient lésés, les migrants n’étaient pas autorisés à réclamer les salaires en retard, les exploiteurs autorisés à dépouiller les plus faibles, au point qu’à force de placer la stabilité en haut de ses priorités, le pouvoir fabriquait une société à la fois immobile et instable, où les réformes de progrès, bloquées par un système que rien ne remettait en question, étaient devenues impossibles. Après cette charge, le professeur Guo conclut que la renaissance de l’esprit des réformes ne serait possible que si le pouvoir acceptait de libérer le dynamisme de la société.

Relancer la réforme.

La situation actuelle de la Chine rappelle la paralysie de l’esprit réformateur, bloqué par les factions conservatrices en1989.

Avec cependant la différence que, cette fois, dit le China Daily dans un article publié le 17 janvier, la sclérose n’était pas d’ordre idéologique ou politique, mais renvoyait uniquement à une collusion d’une partie de l’oligarchie avide de protéger ses intérêts particuliers et ses droits acquis. Une autre différence de taille est que, moins de cinq avant sa disparition, Deng Xiaoping avait, à l’hiver 1992, lors de son « voyage vers le sud », bousculé les résistances et libéré les énergies.

Le Parti, confronté à des échéances économiques, sociales et politiques cruciales, saura t-il créer une dynamique et une cohésion aussi positives et aussi porteuses de succès que celles surgies des ambitions, de l’audace et de la vision de Deng ? Ou se laissera t-il enfermer dans des querelles d’intérêts catégoriels à courte vue ?

Les réponses à ces questions commenceront à émerger lors du Congrès à l’automne et au cours de l’année 2013. Elles diront si le pouvoir est prêt ou non à prendre le risque de l’ouverture politique qui complèterait l’œuvre de modernisation entreprise au début des années 80.

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Brèves.

• L’étranger bouc émissaire. Début janvier, le magazine du Parti Qiushi publiait le texte d’un discours du Secrétaire Général Hu Jintao qui appelait les cadres à résister aux menaces contre l’idéologie et la culture chinoises posées par la « culture internationale occidentale ». Il ajoutait que la situation actuelle, où « l’Occident était fort et la Chine faible » créait un défi « complexe et préoccupant, appelant une réaction vigoureuse ».

Alors que la situation mondiale globalisée devient volatile, marquée par un affaiblissement général des Etats mis sur la sellette, y compris en Occident, cet appel apparaît comme une volonté de préserver le statuquo et le pouvoir sans partage du Parti, en le protégeant des critiques internes et externes. L’année qui vient verra la multiplication de ce type de discours dans un contexte où se cristalliseront les défis de la modernisation sociopolitiques du pays.

• Livres Blancs. Pour se conformer à la mode internationale de la transparence, la Chine a publié le 6 janvier dernier un document présentant les 9 Livres Blancs préparés par le Conseil des Affaires d’état en 2011 : « Défense Nationale », « Aide internationale », « 60 ans depuis la libération pacifique du Tibet », « Le développement pacifique de la Chine », « le système juridique socialiste aux caractéristiques chinoises », « Nouveaux progrès dans la lutte contre la pauvreté des zones rurales par le développement », « les politiques et initiatives chinoises pour faire face aux changements climatiques », « le commerce extérieur chinois », « le programme spatial chinois ».

A la fois effort de transparence, propagande politique et réel souci d’explication, la liste recoupe presque exactement les défis internes et externes auxquels la Chine est confrontée. Ces derniers vont des inquiétudes internationales soulevées par le doublement du budget de la défense chinois tous les 6 ans au rythme moyen de + 13% par an, liées aux questionnements sur le développement pacifique du pays et aux soupçons de militarisation de l’espace, en passant par la question tibétaine, les écarts de développement entre villes et campagnes, la lutte contre la pollution et la politique commerciale.

• Lutte contre la corruption. Début janvier la Commission de discipline du Parti a annoncé que 4843 fonctionnaires au-dessus du niveau de district ont été sanctionnés pour violations disciplinaires en 2011.

Parmi les plus graves, le rapport cite les cas de Zhang Jieming, vice président du Comité Permanent (CP) de l’Assemblée populaire du Zhejiang, Song Chenhuang, vice-président du CP de l’Assemblée Consultative du Peuple Chinois du Jiangxi, et Liu Zhuozhi, Secrétaire Général adjoint de la province autonome de Mongolie intérieure.

2 vice gouverneurs de province (Jilin et Shandong) et l’ancien ministre du rail, Liu Zhijun font encore l’objet d’investigations complémentaires. Au total plus de 140 000 enquêtes ont été diligentées qui donnèrent lieu à plus de 130 000 condamnations.

• Controverse autour d’une peine de mort. Après que la communauté d’affaires chinoise, les intellectuels et les avocats de droits de l’homme aient protesté contre la sentence de mort pour corruption infligée en 2009 à Wu Ying (35 ans), femme d’affaires millionnaire. Récemment confirmé par la cour de justice provinciale du Zhejiang, le jugement est repris par la Cour suprême, conformément à l’amendement de la loi sur la peine de mort adopté en 2007.

Depuis 2007 la procédure de condamnation à mort a en effet été révisée, obligeant à un premier appel par une cour provinciale et, si la peine capitale est confirmée, à un autre par la Cour suprême. Par ailleurs, le code de justice criminelle a été révisé en 2011, mettant 13 catégories de crimes non violents hors de portée de la peine de mort. Depuis 2007, le nombre d’exécutions capitales a été divisé par deux pour atteindre chaque année, en moyenne 4000.

• Préparation de la réunion annuelle de l’ANP. Le 31 janvier, le Conseil des Affaires d’état a annoncé qu’il enverrait son projet de rapport annuel aux SG de provinces et à quelques ministères pour révision. Comme chaque année le rapport du gouvernement sera présenté par le PM à la réunion plénière dont l’ouverture est prévue le 5 mars.

Des rumeurs courent cependant, qui font état d’un probable retard, à la suite de désaccords politiques. Récemment Wen Jiabao a répété que les procédures de contrôle des travaux du gouvernement par les assemblées populaires devaient être améliorées et institutionnalisées.

Il a également rappelé qu’il s’en tiendrait à ses priorités, de lutte contre la spéculation immobilière et les produits alimentaires frelatés, de soutien aux PME, aux entreprises privées, au monde rural et au secteur agricole.

• La Chine et Internet. Dans son livre publié en janvier 2012, « Consent of the Networked : The Worldwide Struggle For Internet Freedom » (ISBN 978-0465024421), Rebecca Mac Kinon, diplômée de Harvard, professeur d’histoire chinoise et ancienne correspondante de CNN à Pékin, explique que le développement d’Internet ne conduira pas automatiquement à plus de démocratie dans le monde et en Chine.

Tout dépend de la manière dont ces nouvelles technologies sont structurées et utilisées. Les gouvernements ainsi que les grands groupes industriels et commerciaux s’appliquent aujourd’hui à modeler et contrôler la toile en fonction de leurs priorités. La pire des situations pour la liberté de la toile surgit quand ces deux pouvoirs font pression simultanément sans contrôle ni contre pouvoir.

Elle conclut « si les utilisateurs ne prennent pas conscience de ces risques, ils ne devront pas être étonnés qu’un jour leurs intérêts soient totalement spoliés, enfermés dans des législations extrêmement restrictives ».

Le réseau mondial est actuellement à un tournant, marqué par des pressions pour plus de contrôle, tandis que les sociétés civiles des pays développés et de quelques pays émergents militent pour une gestion globale qui les associerait aux gouvernements et aux grands groupes industriels et commerciaux.

La Chine fait partie de ceux qui favorisent un contrôle plus serré par le gouvernement des réseaux sociaux et d’internet, mais elle n’est pas la seule. A des degrés divers des contrôles existent un peu partout, et la tendance se renforce.

Alors que la censure bloque des sites jugés sensibles et ferme parfois l’usage d’Internet, comme ce fut le cas au Xinjiang et au Tibet, les auteurs de micro-blogs sont désormais tenus d’enregistrer leurs noms réels. En dépit des techniques de contournement de la censure mises en œuvre par une partie des internautes chinois, à moyen terme, les barrières érigées par le pouvoir en Chine freineront l’effet subversif du net.

Plus encore le gouvernement réussit à tourner le net à son avantage en l’utilisant pour diffuser ses messages et ses slogans, donnant aussi aux internautes la liberté de critiquer les responsables locaux, dont la faible qualité est un des talons d’Achille de l’administration du Parti.

Certains responsables ont même mis en avant que l’existence des réseaux sociaux comme Weibo pourrait dispenser la Chine de sacrifier à la démocratie, au multipartisme et à l’indépendance de la justice.

Comme ailleurs, une partie des préoccupations légitimes des internautes – protection des enfants, lutte contre les trafics et la pornographie - sont instrumentalisées par le pouvoir pour censurer le net et augmenter les contrôles. (Lire aussi).

 

 

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