›› Editorial
Lors d’une réunion avec le président George Bush, à Bruxelles le 22 février, les principaux leaders européens ont confirmé leur volonté de lever l’embargo sur les ventes d’armements à la Chine en dépit de l’opposition des Etats-Unis. Le lendemain même, le commissaire européen au Commerce Peter Mandelson commençait une visite de quatre jours en Chine avec cette promesse en poche et en meilleure position pour demander aux responsables chinois de réduire leurs industries de contrefaçons tous azimuts et de limiter leurs exportations dans le secteur textile-habillement récemment libéré de tous quotas.
Les Européens, comme les Américains, avaient institué cette sanction militaro-économique en 1989 à la suite des tragiques évènements de la place Tian’anmen. Mais le temps a passé, les relations se sont développées et l’embargo sur les ventes d’armes à la Chine est devenu, pour les Chinois une humiliation, pour les Européens une gêne, croissant toutes deux avec le temps, dans les relations Bruxelles-Pékin. Est-ce que la levée de l’embargo européen vaudrait accord pour la poursuite d’abus ou d’excès du pouvoir en Chine ? Il est difficile d’affirmer que cela changera grand chose après quinze ans, comme il est difficile de nier une lente -trop lente mais réelle- évolution du régime de Pékin dans le bon sens.
Une autre question est : est-ce que la Chine a vraiment besoin d’acheter des armements européens ? Ses besoins, en réalité, sont satisfaits depuis douze à quinze ans par l’ex-complexe militaro-industriel soviétique dont l’essentiel survit aujourd’hui en Russie à un excellent niveau technologique. Les Israéliens complètent bien, par ailleurs le “high tech” russe. Il y a donc un certain doute sur ce point. Il est certain en revanche que le “bargaining power” des négociateurs chinois, face aux Russes, aux Israéliens et même -qui sait ?- face demain aux Américains, sera renforcé. La concurrence économique et stratégique entre pays occidentaux pourrait s’accroitre plus vite qu’on ne croit, ainsi que les divisions entre eux. Par contre, non seulement Taiwan, mais aussi la Corée RoK et le Japon ne cachent pas leur crainte d’éventuelles ventes d’armes européennes à la Chine. Y aura-t-il demain affrontement autour de la Chine entre deux camps hostiles - Etats-Unis, Japon, Corée et Taiwan contre Français, Britannniques, Allemands et autres Européens ? Ce pourrait être le résultat d’une politique à courte vue de l’U.E.
Ayant fait sauter ce “dernier obstacle” l’Union européenne, se désolidarisant de toute stratégie américaine en Asie-Pacifique, aurait-elle fait un grand pas vers un monde “multipolaire” ? Peut-être, mais peut-être aussi l’Europe aura-t-elle déclenché sans le vouloir une nouvelle course aux armements en Asie Orientale, poussé les Etats-Unis à renforcer militairement Taiwan et à revenir au “containment”. Les relations Etats-Unis-Europe retrouveraient là un très beau point de friction permanent, menaçant certains programmes de coopération “high tech” dans l’Alliance atlantique.
Ce serait stupide, mais de telles éventualités peuvent être écartées si on le veut : on peut négocier entre Alliés un “Code de conduite” du type “MTCR” (Missile technology control regime, un accord collectif contre la prolifération des missiles), on peut s’interdire certains transferts, ou créer une procédure collective de dialogue obligatoire au coup par coup. Bref, on peut aller de l’avant si les Européens et les Américains font preuve de sagesse et de modération en maitrisant les intérêts et les tensions qui pourraient faire beaucoup de dégats à moyen-long terme.