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Les tribulations immobilières de Liang Liang et Li Jun

Cette semaine, avec Andrew Methven, l’exploration des réseaux sociaux traite d’un jeune couple représentatif de nombre de jeunes chinois. Il y a trois ans, les deux qui n’étaient pas encore mariés, avaient, en investissant dix années de leurs économies, acheté sur plans un appartement à Zhengzhou, capitale du Henan.

Lui s’appelle 张艺亮 – Zhang Yiliang (ses proches l’ont surnommé Liangliang 亮亮) et elle, de son nom de famille Dong 董, de son prénom Li Jun 丽君.

En 2019, les deux avaient économisé 450 000 yuans (64000 US $) qui représentaient la caution nécessaire à l’achat d’un appartement sur plans d’un nouveau projet développé à la périphérie de la ville par le promoteur Sunac (融创 (Rengchuang) [1] et contracté un prêt d’un million de yuans (142 000 US $).

*

Pour faire la promotion de son commerce, SUNAC offrait des incitations en espèces aux clients – pompeusement baptisés (全民经纪人 quanmin jingji ren – mot à mot « courtier universel - » ) qui leur apportaient de nouvelles affaires.

A cette époque, Liangliang qui n’avait pas encore épousé Lijun, l’avait présentée à Sunac comme un nouveau client. A ce titre, il pouvait prétendre à la commission de 21 876 yuans (3000 $) promise par Sunac.

Mais voilà. Depuis mai de l’année dernière, Sunac, pris dans la tourmente qui frappe tout le secteur, connait des difficultés financières. Les travaux du chantier qui construit l’immeuble de 33 étages où se trouve (au 22e étage) l’appartement de 98 mètres carrés acheté par Liangliang et Lijun, ont été arrêtés.

Alors que le couple avait commencé le remboursement du prêt à fort intérêt de 6283 Yuans mensuels (886 $) qui s’ajoutait à leur charge de loyer de 1500 Yuan (211 $), représentant au total des charges fixes de 7783 Yuans – soit 86% de leurs revenus mensuels de 9000 Yuan (1267 $), leur appartement était loin d’être livré et la commission promise ne leur avait pas été payée.

Durant cette période de vaches maigres, la naissance de leur fille Tongtong 童 童 ajouta encore à la pression financière. Aggravée par une baisse de salaire qui réduisit les revenus mensuels de Lijun à seulement 2000 Yuan (282 $), la situation obligea Liangliang à prendre un emploi de chauffeur de taxi de nuit chez DiDi Chuxin 滴滴出行.

L’efficace « porte-voix » des réseaux sociaux.

Depuis novembre 2021, les deux rendent publique leur amertume sur les réseaux sociaux en enregistrant des vidéos depuis le chantier de Sunac, diffusées sur la plateforme Douyin 抖 音 (mot à mot « agiter le son » - version chinoise de « Tik Tok » fréquentée chaque mois par 746 millions de visiteurs).
A mesure que le temps passait, leurs vidéos devinrent plus pessimistes. Leurs « followers » remarquèrent que « l’étincelle qu’ils avaient initialement dans leurs yeux avait disparu 他们眼中先前的“火花”消失了 ».

Leur crainte était que leur logement ne rejoigne les rangs des millions d’appartements inachevés dans la catégorie « 烂尾楼 » (lan wei lou), en référence à des bâtiments inachevés et « pourris 烂 ». (lire le § « La chute de Xu Yajin » de notre article : Chute de « l’empereur » Xu Jiayin et « brigandage organisé » au festival de Nanyang).

En juillet 2022, l’hebdomadaire « Sanlian Life » 三联生活周刊 publia une interview qui augmenta encore leur audience. On pouvait y lire leur remarque désabusée « Voilà notre vie devenue celle “d’esclaves hypothécaires贷款奴隶“ ».

Violences, humour et résilience.

Le 15 novembre dernier se produisit un incident préoccupant dont la nature donne une image des rapports sociaux toujours articulés non au droit, mais à la loi du plus fort. Des nervis du groupe Sunac les attaquèrent brutalement durant une de leurs vidéos.

Ils n’en furent pas découragés pour autant et continuèrent de plus belle leur combat.

Les commentaires sur le net louèrent leur courage. « Alors que, face aux difficultés dans leurs études 读书, de leur travail, 工作, ou lors de l’achat d’un appartement 买房, la plupart des jeunes 广大年轻人, choisissent la solution de faire la planche 躺平 (lire : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants »), de brûler des encens 烧香 et de croire aux diseuses de bonne aventure 算命, Liangliang et Lijun se battent avec détermination 努力奋斗 ».

Leur dernière initiative spectaculaire est la publication sur la plateforme « Bilibili » 哔哩哔哩, d’une vidéo pleine d’humour où, jouant sur les homothéties du Chinois, ils dénonçaient la brutalité de la censure dont ils étaient victimes. On y voit Liang Liang répéter trois fois « Donnez-moi une explication – 给 我 一个交代 gei wo yige jiaodai – » (voir sur « X »).

Après quoi Li Jun lui colle sur la bouche un ruban adhésif « 胶带 Jiaodai », homonyme de « 交代 Jiaodai ».

Empêché de parler, Liang Liang fait alors mine de cogner au mur. Souriante Li Jun lui demande ce qu’il essaye de dire « 你 在 说 什么 ? ». A la fin de la vidéo, apparaissent sur l’écran les deux caractères « 胶带 jiaodai – Bande adhésive », symbole de la censure.

Note(s) :

[1Sunnac : 融 创 中国 控股 有限公司 (Rong chuang zhongguo konggu youxian gongsi – société (Holding – groupement d’investisseurs - par actions à responsabilité limitée), est un promoteur immobilier qui construit et vend des appartements de moyenne et haut de gamme.

Son siège est à Tianjin, mais il a élargi ses affaires, entre autres à Pékin, Chongqing et Wuxi.

En juillet 2017, le groupe avait, pour 9,3 Milliards de $, conclu une des plus grosses opérations commerciales jamais réalisées en Chine en rachetant les projets touristiques et les hôtels de « Dalian Wanda » alors dans le collimateur des régulateurs pour son endettement excessif. Lire : WANDA group et COSCO, deux histoires contrastées, révélatrices des stratégies de Pékin.

Au passage, on rappellera à quel point les acteurs étrangers, et notamment français, avaient tendance à se laisser séduire par les affichages de puissance financière. Une année avant l’opération de rachat par SUNNAC – dont les affaires étaient à l’époque elles-mêmes enveloppées de fortes incertitudes, prémisses, il y a sept années, de l’actuelle crise immobilière, Wang Jianlin, le PDG de Wanda Group était reçu a l’Élysée par le Président François Hollande.

En analysant l’événement , Jean-Paul Yacine avait noté « Après la vente de 49,9% des parts de la société de gestion de Toulouse Blagnac à une alliance financière douteuse portée par Mike Poon aujourd’hui démissionnaire, il est légitime de se demander si les autorités financières françaises détiennent les bonnes clés d’entrée en Chine. » Lire Des Chinois à Blagnac : une faillite française.


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