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Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

L’autre grand projet stratégique d’ampleur globale que, dans ses vœux, Xi Jinping n’a fait que mentionner sans commentaires, se contentant de signaler le troisième forum de point de situation dix ans après son lancement en 2013, est celui des « Nouvelles routes de la soie ». Sur ce thème aussi Xi Jinping, conscient des controverses qui entourent les projets, a sérieusement réduit le ton des enthousiasmes par rapport à 2013.

Inauguré en 2013 par un discours de Xi Jinping au Kazakhstan, la manœuvre de Pékin était un contournement de l’Amérique.

Elle ripostait à la bascule stratégique des États-Unis vers le Pacifique occidental décidée par Barack Obama en 2011 dont le but était de contrer frontalement le désir d’empire chinois en mer de Chine du Sud, en proposant aux riverains du Pacifique un partenariat commercial « Trans-Pacifique » dont la Chine était exclue.

Par le détour de l’Eurasie et de la Russie, articulée aux réminiscences historiques positives des anciennes Routes de la soie qui reliaient le cœur de la Chine au Moyen Orient, à la Rome antique et à l’Europe, le vaste projet oblique de Xi Jinping a d’abord porté l’élan chinois de la puissance des financements et des projets d’infrastructures menés à bien par les groupes publics chinois.

Au fil des succès, les projets diversifiés vers l’Asie du Sud dont le Pakistan, le Myanmar et le Bangladesh, plusieurs pays d’Asie du Sud-est, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne ont dessiné un canevas stratégique d’influence globale.

Leur ampleur qui entrait en résonance avec la perte de prestige de l’Occident dans le « Sud global » et l’agressivité des réclamations de souveraineté de Pékin en mer de Chine du sud et dans le détroit de Taïwan, a suscité des contrefeux.

Simultanément, l’activisme commercial et financier chinois en Europe autour des prises de participation de groupes chinois dans une douzaine de ports européens parmi les plus importants [1] ainsi que dans les réseaux de distribution d’électricité nationaux en Italie, en Grèce, au Portugal, au Royaume Uni, au Luxembourg, au Monténégro et à Malte, sonnèrent un branle-bas anti-Pékin, au moment même où l’entrisme imprudent des groupes chinois en Europe de l’Est provoquait un raidissement.

La crispation finit par sérieusement affaiblir les positions de Pékin en Europe centrale et orientale patiemment acquises par le schéma « 16+1 » créé en 2012 à Varsovie à l’initiative du Waijiaobu alors dirigé par Yang Jiechi et sous l’égide du Premier Ministre Wen Jiabao (lire : En Europe Centrale et Orientale, pour la Chine, le vent a tourné).

Début décembre, la nouvelle rendue publique peu après le 10e anniversaire des Nouvelles routes de la soie, que l’Italie, seul membre du G.7 à avoir souscrit aux projets de Xi Jinping en 2013, abandonnait sa participation, fut sans conteste ressentie comme un échec.

Ce dernier coïncide avec une bascule géopolitique de Pékin qui, s’éloignant de l’Occident et, en phase avec son positionnement face au conflit entre le Hamas et Israël, se rapproche de la nébuleuse de la « rue arabe » et des pays musulmans. Lire : A la croisée des chemins, Pékin fait le choix de « la rue arabe » contre l’Occident.

Bascule vers le Monde musulman. Pragmatisme et sécurité.

En dépit de l’importance pour elle des marchés d’export américain et européen et de la part cruciale pour son développement des transferts de technologies occidentales, la Chine tire les conclusions de ses relations stratégiques devenues difficiles avec les États-Unis et l’UE.

S’il est cependant probable qu’elle n’abandonnera pas le pilier initial est-ouest des Nouvelles routes de la soie, elle semble tester une variante autour d’un axe nord-sud à dominance musulmane qui court de l’Asie Centrale à l’Arabie Saoudite en passant par le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran (lire Un vent chinois s’est levé au Moyen Orient).

De plus le péril latent posé par l’Islamisme radical sur la stabilité du Grand Ouest chinois et les récentes menaces sur ses ressortissants et ses projets au Pakistan ont renforcé les préoccupations sécuritaires.

Le réajustement n’est donc pas seulement un rééquilibrage stratégique et culturel anti-occidental. Il porte aussi la claire intention de Pékin de sécuriser ses approches face au risque terroriste islamiste.

Menaces et accommodement réaliste.

Au cours du week-end, du 3 décembre un bus de passagers circulant sur l’autoroute du Karakorum a été touché par des tirs près de la ville de Chilas, 100 kilomètres à l’est d’Islamabad. Au moins 10 personnes ont été tuées, dont deux soldats de l’armée pakistanaise, et plus de 20 autres ont été blessées.

L’attaque, dont l’origine est incertaine, a eu lieu dans un contexte d’activité terroriste croissante dans la région. Elle implique une myriade de groupes allant des talibans pakistanais aux séparatistes de la province du Baloutchistan.

Dans cet environnement d’insécurité latente, la Chine a de bonnes raisons de s’inquiéter des risques pesant sur l’autoroute long de 800 km, allant de la région d’Islamabad à sa frontière, pivot des liens entre le Pakistan et la Chine qu’elle a elle-même construit et ouvert au trafic en 1986 (lire : Le défi de la sécurité des Chinois au Pakistan).

Pragmatique, Pékin, fait feu de tous bois pour stabiliser et protéger ses approches. Depuis le 13 septembre 2023, elle a mis en place à Kaboul Zhao Sheng son ambassadeur accrédité auprès de « l’Émirat islamique d’Afghanistan ».

En retour, le 10 décembre donnant son agrément à Bilal Karimi, ancien porte-parole des Talibans, la Chine devenait le seul pays à accepter un ambassadeur nommé par l’Émirat.

Dans la foulée, Wang Wenbin, le porte-parole du Waijiaobu, prenant le contrepied de Washington qui continue à ostraciser le régime de Kaboul, affirmait que « l’Afghanistan ne devrait pas être exclu de la communauté internationale ».

Pour autant, exprimant tout de même une défiance, Pékin n’a à ce stade pas répondu aux demandes de l’Émirat d’intégrer les Nouvelles routes de la soie.

Asie centrale. Volontarisme d’influence et risques de retour de flamme.

Le même opportunisme pragmatique et volontariste est à l’œuvre en Asie Centrale, traversée par des risques portés par l’Islam radical. Sur ce théâtre situé à ses portes, la priorité donnée par Moscou à sa guerre en Ukraine et la perte de l’influence russe sur les sujets de sécurité et de défense ont donné à la Chine un avantage dans la région, devenue un champ d’action vital pour Pékin.

A cet effet, dans le contexte où, dans l’attelage stratégique sino-russe, Moscou est devenu le « partenaire junior », Pékin a multiplié les coopérations avec l’Asie Centrale, dont tous les pays – à l’exception du Turkménistan -, sont membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Lire A Samarkand, les hiatus de la réunion de l’OCS.

Pour autant, le volontarisme de l’appareil qui coagule une puissante recherche d’influence rivale de Moscou et une psychose sécuritaire sans nuance, porte le risque de nourrir en retour des retours de flamme politiques.

Dans une récente synthèse publiée en ligne le 23 novembre par l’ORF [Observers Research Foundation], centre indien de recherche stratégique, Yjaz Wani, Docteur en Relation Internationales, qui fait l’inventaire des actions chinoises en Asie Centrale – prêts avec hypothèques sur les actifs et augmentation du nombre de manœuvres militaires – note non seulement l’augmentation simultanée du poids de la dette due à la Chine [2], mais également de la corruption locale, en collusion avec les acteurs chinois.

« Dans le but de promouvoir ses objectifs géoéconomiques et géostratégiques dans la région, la Chine a créé une classe sociale corrompue en attribuant des contrats à des fonctionnaires, tout en soutenant des régimes autoritaires auxquels elle vend des technologies de surveillance pour réprimer les troubles sociaux. »

Yjaz Wani, constate que les retours de flamme du volontarisme sécuritaire et de recherche d’influence chinois sont perceptibles. « Lors du premier sommet Chine-Asie Centrale en mai 2023, Xi Jinping a reconnu la montée d’un sentiment antichinois et a souligné l’importance pour les entreprises chinoises investies dans la zone de créer des emplois locaux ».

Les corrections de trajectoire sont en cours. Elles sont homothétiques de celles mises en œuvre en Afrique pour corriger l’image délétère d’un engagement orienté prioritairement vers l’exploitation des ressources primaires. Lire : Chine – Afrique : De la quête des matières premières à la coopération. Sur fond de manœuvre géopolitique.

Note(s) :

[1Les groupes chinois dont COSCO détiennent des parts majoritaires de contrôle au Pirée (100 %), à Zeebrugge (85%), à Valence (51%) et minoritaires à Hambourg où le groupe Cosco contrôle 25% du capital d’un terminal de conteneurs.

[2Selon un rapport d’AidData du 7 novembre, 55% des 1100 Milliards de $ de prêts accordés par la Chine arrivent à leur échéance de remboursement du capital et des intérêts. D’ici 2030, la proportion passera à 70%. 80% des débiteurs concernent des projets dans 165 pays à revenus faibles ou modestes à qui la Chine a accordé des prêts sur des périodes allant jusqu’à 22 ans.

Récemment Pékin, reconnaissant en partie le problème, a déclaré que les futurs projets des Nouvelles routes de la soie seraient « de faible ampleur mais plus intelligents », soutenus par des prêts « sur la base du marché » et confortés par une « meilleure coopération bilatérale » avec les pays débiteurs.

Les créances non recouvrables ne sont pas le seul problème. L’inflation du nombre de projets d’infrastructure financés par la Chine (au nombre de 1693 en 2021 pour une valeur de 470 Mds de $ contre seulement 17 pour 420 millions $ en 2000) présentent également des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Conséquences : La cote de popularité de la Chine parmi les pays les moins développés a chuté à 40% en 2021, contre 56% deux ans plus tôt. Pékin souffre également d’une couverture médiatique moins favorable.

Pour autant, Pékin continue à tirer les bénéfices de sa stratégie. L’analyse des votes exprimés à l’Assemblée générale des Nations Unies entre 2000 et 2021 montre en effet que les gouvernements des pays à revenu faible ou intermédiaire ont aligné leurs positions de politique étrangère sur celles de la Chine dans 75% des cas, contre seulement 23% pour les États-Unis.

Enfin, la Chine apprend de ses erreurs. Les risques ont été mitigés en impliquant des institutions financières étrangères comme la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement, la Standard Chartered Bank et BNP Paribas qui appliquent des normes plus strictes.

« 50% du portefeuille de prêts non urgents octroyés par la Chine aux pays à revenus faibles ou intermédiaires le sont désormais via des accords de prêts homologués par des banques étrangères. Et plus de 80% d’entre eux impliquent directement des banques commerciales occidentales et des institutions multilatérales ».

Parmi les autres mesures de précaution mises en place par Pékin, le rapport cite la levée de garanties en espèces pour protéger les prêts bilatéraux. Contre les débiteurs insolvables, elles donnent un levier de représailles aux préteurs chinois qui se remboursent eux-mêmes – capital et intérêts en souffrance - en retirant unilatéralement les devises étrangères des comptes de leurs emprunteurs.

Ces saisies sont pour la plupart exécutées en secret et hors de la portée immédiate des institutions de contrôle des pays débiteurs.


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