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Une réforme judiciaire aux caractéristiques chinoises

Jiang Bixin, vice-président de la Cour Suprême lors d’une conférence de presse le 21 septembre 2015, où il rendait compte de la nouvelle transparence des tribunaux chinois. Les 3511 tribunaux sont connectés à un centre de données créé en juin 2014 consultable par le public et qui donne des informations sur les procès en cours et les verdicts.

Depuis un peu plus d’un mois, la Chine est à nouveau accusée par les organisations internationales des droits de l’homme, les États-Unis et l’Union Européenne de porter atteinte aux libertés fondamentales à la suite d’une sévère campagne de répression et de harcèlement d’avocats pour la plupart engagés dans la défense d’activistes des droits individuels eux-mêmes persécutés par la justice chinoise.

Ces blâmes, vigoureusement rejetés par le Pékin qui, le 20 novembre a, par le truchement du porte-parole du Waijiaobu, exhorté l’Union Européenne à « changer de ton et à abandonner ses préjugés idéologiques pour considérer avec plus d’objectivité la situation des droits de l’homme en Chine », surviennent alors que la plupart des observateurs constatent que, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et de l’actuel politburo, la situation de la liberté d’expression s’est dégradée.

Symptôme d’un sérieux malaise, le durcissement de la censure et de la répression s’accompagne d’une vague de démission de jeunes magistrats qualifiés excédés par les pressions politiques, l’augmentation de la charge de travail et la faiblesse des rémunérations (Plus de 100 départs entre janvier 2014 et mars 2015, pour la seule juridiction de Shanghai).

Enfin, un rapport de l’organisation Amnesty International daté du 11 novembre rédigé après les interviews d’une quarantaine d’avocats des droits dénonce la perpétuation des pratiques de torture dans toute la Chine. L’enquête contredit les déclarations de l’appareil politique qui, depuis 2013, annonce de profondes réformes de la justice et des tribunaux, au point que, dans un article paru dans le Wall Sreet Journal du 10 octobre, Stanley Lubman spécialiste du droit chinois et conférencier à l’université de Berkeley, se demande si les annonces de réformes ne sont pas de la poudre aux yeux.

*

L’analyse qui suit examine ces contradictions. Elle met d’abord en évidence que le régime, soucieux de créer une machine judiciaire inspirant confiance aux justiciables et aux citoyens, a sincèrement entrepris une vaste réforme des tribunaux et du parquet accompagnée par un effort pour améliorer la qualité des magistrats.

Mais la porté des réformes est réduite par le fait que l’ensemble de l’appareil judiciaire est resté sous le contrôle étroit de la Commission des Affaire juridiques du Parti, tandis que tous les cas politiques sensibles impliquant la « sécurité du l’État » ou mettant en question la « prévalence du Parti Communiste Chinois » échappent aux tribunaux. Dans ce contexte on constate aussi que le caractère extrajudiciaire des procédures et la brutalité des verdicts s’aggravent quand les prévenus se prévalent d’une audience internationale.

Enfin, la lenteur des ajustements et les blocages conservateurs perpétuant les anciens errements font que, pour une longue série de cas situés dans les zones grises de « la menace pour la stabilité sociale », toujours au cœur des préoccupations du pouvoir, de nombreux abus perdurent, donnant le sentiment d’une stagnation des réformes et de vastes contradictions.

Pour Stanley Lubman, celles-ci se manifestent par la coexistence, aux côtés d’une prise de conscience des magistrats et d’une pensée politique poussant aux réformes légales, de répressions extra-judiciaires justifiées par le souci rémanent de l’appareil de préserver la stabilité sociale, enjeu où l’appareil de sécurité publique reste tout puissant contrôlé par un parti communiste plus que jamais déterminé à protéger son magistère politique sans partage à la tête du pays.

Un effort réel pour moins d’arbitraire

Selon Susan Finder, experte du système judiciaire chinois, chercheur à la City University de Hong Kong qui tient un blog sur la Cour Suprême chinoise, les réformes en cours qui s’inscrivent dans le mouvement général de la réforme politique, conduites par un groupe dirigeant ad-hoc, visent d’abord à éliminer les vices de procédures, les dysfonctionnements bureaucratiques et l’arbitraire du système judiciaire dont les effets cumulés résonnent de manière très négative dans l’opinion publique.

Le cadre général, les intentions et les modalités de la réforme ont été publiés lors des 3e et 4e Plenum et précisés dans un document officiel sur la réforme de la Cour Suprême qu’elle-même a mis en ligne sur son compte Wechat le 26 février 2015 comme partie du plan quinquennal (2014 – 2018) de la réforme des tribunaux. Tous les points évoqués par le document touchaient à des dysfonctionnements de la justice bien connus des experts chinois et étrangers et étaient, a contrario, une reconnaissance que le système judiciaire en vigueur n’était plus adapté à la situation de la Chine moderne, notamment à la réactivité de plus en plus vibrante de la société civile.

Les intentions de réformes allaient de l’urgence à mettre fin aux ingérences des cadres locaux dans les procédures, à l’exigence d’améliorer la compétence juridique des magistrats, en passant par l’obligation de transparence des audiences et à la nécessité d’appuyer les jugements sur des faits établis. On y retrouvait aussi la condamnation des aveux obtenus sous la contrainte, assortie d’une série de règlements interdisant formellement les pratiques de torture, à quoi s’ajoutaient des dispositions protégeant les droits de la défense et des plaignants.

Prise de conscience des hauts magistrats.

Le 22 septembre dernier, un article du China Daily au ton étonnamment réformiste, publiait les préoccupations faisant directement écho aux priorités de la réforme d’un des plus hauts magistrats du régime, le procureur général adjoint Sun Qian. En même temps, ce dernier énumérait les actions déjà entreprises pour corriger les erreurs et manquements passés. Reconnaissant que des verdicts très contestables avaient gravement heurté les droits de nombreux justiciables et plaignants, le vice-procureur rappelait qu’entre janvier 2014 et août 2015, 1800 cas avaient été revus et leurs jugements annulés pour absence de preuves.

Alors que le 21 septembre dernier, la Cour Suprême publiait un document ciblant la corruption et les pratiques de juges indélicats qui constituaient des preuves fabriquées et pratiquaient la rétention d’informations, la lucidité sans concession du procureur Sun Qian rejoignait celle de deux autres hauts magistrats de la Cour Suprême, Jiang Bixin son vice-président et Hu Xiaorong, président de la Commission de réformes au sein de la Cour. Tous deux, constatant le nombre anormal de jugements frelatés et de condamnations abusives, promirent de sévères sanctions contre les juges corrompus. L’appareil tente aussi de réduire les abus en augmentant les émoluments des juges et en obligeant, depuis octobre dernier, les tribunaux à garder une trace de toute demande d’intervention, y compris orale.

Il reste qu’en plaçant ces dispositions et bonnes intentions sous l’emprise indiscutable de la Commission des lois du Parti et du ministère de la sécurité publique, le Régime laissait mécaniquement ouvert un vaste espace où se perpétuent les abus et l’arbitraire à la discrétion de ceux qui se réclament de la sécurité publique, de la protection des secrets d’État et de la stabilité sociale. En arrière plan pèse la volonté inébranlable de protéger la prévalence du Parti.


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