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Chine-UE. Désenchantement

Le 10e Sommet Chine-UE a eu lieu le 28 novembre dernier dans la capitale chinoise en présence de Wen Jiabao et José Manuel Barroso.

Le dialogue formel entre la Chine et l’Europe date de 1994, mais, déjà en 1984, Zhao Ziyang, le premier ministre déchu après Tian An’men, avait manifesté son intérêt pour des échanges plus approfondis entre les deux pôles extrêmes de l’Eurasie. Plus de 20 ans après, d’immenses progrès ont été accomplis dans la connaissance mutuelle au travers de ce que l’UE sait faire le mieux : des coopérations techniques très ciblées et très localisées, dont la pertinence et l’efficacité sont universellement reconnues. Il reste qu’aujourd’hui, après une période d’euphorie, la relation est entrée dans une phase d’atonie politique, émaillées de déceptions, parfois de rancoeurs.

Il est vrai que le dialogue Chine-UE avait d’abord été porté par un élan réciproque, d’optimisme qui cachait de lourdes ambiguïtés. En 1995, l’UE publiait un premier document élaborant « une politique à long terme entre l’Europe et la Chine » ; en 2000, le dialogue était relevé au niveau des chefs d’Etats et de gouvernements. Ces derniers, en plus des coopérations multiples déjà en cours, envisagèrent de conférer aux échanges un « contenu stratégique ». En 2003, la Chine, qui voyait peut-être dans l’Europe le moyen de contourner les pressions et l’omnipotence américaines pour instaurer les prémisses d’un « monde multipolaire » qu’elle même et certains pays de l’Europe - dont la France - appelaient de leurs voeux, publia une déclaration de politique générale sur ses relations à venir avec l’UE.

Quatre ans plus tard, c’est le désenchantement qui domine, fruit des ambiguïtés, des malentendus, des frustrations chinoises et des tensions commerciales. Certes la Chine est toujours partie prenante du programme de positionnement spatial européen Galiléo et reste l’un des premiers partenaires commerciaux de l’UE (2e après les Etats-Unis), mais, en 2005, le refus de Bruxelles, sous les pressions américaines, de lever l’embargo sur les ventes d’armes et la panne de l’Europe politique sont venus se rajouter à la série de contentieux commerciaux, souvent exprimés de manière acariâtre, pour réduire le profil du dialogue.

La conscience des réalités a fait place aux ambitions exprimées à l’orée du 21e siècle d’un partenariat qui voulait dépasser les controverses commerciales et le niveau technique des multiples coopérations déjà existantes (société, état de droit, justice, environnement), pour mieux peser sur les affaires du monde. La réduction de la voilure, qui recentre la relation sur la solution des problèmes pratiques et les coopérations de terrain, transparaît clairement dans la sobriété des déclarations de l’après-sommet.

La partie européenne insiste d’abord sur le déficit commercial de l’UE dans les échanges de biens (250 milliards d’euros en augmentation rapide) et l’absence d’accord avec Pékin pour une réévaluation de la monnaie chinoise. Elle stigmatise les contrefaçons ainsi que la fermeture, les tracasseries ou le manque d’équité du marché chinois dans certains secteurs, en dépit des règles de l’OMC, auxquelles la Pékin a souscrit, sans oublier le vieux contentieux des droits de l’homme. Sur ce régistre, la Commission, qui confirme sa volonté de poursuivre un dialogue décrispé, estime néanmoins - et Pékin en a pris ombrage - que, « concernant les droits et libertés fondamentaux , les avancées sur le terrain ont été limitées ».

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Il est vrai que l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel en Allemagne, dont la sensiblité aux questions des droits et libertés est plus forte que celle de son prédécesseur, compliquera le jeu de la Chine. A son passage à Pékin, fin novembre dernier, le Président français a promis qu’il s’efforcerait de faire surgir un nouvel élan dans relations. Rien ne dit qu’il parviendra à persuader ses partenaires de se ranger à ses vues, notamment sur la question de l’embargo européen sur les ventes d’armes, qui hypothèque gravement la relation depuis 18 ans. Contrairement à la France, l’Allemagne d’Angela Merkel, dont les relations avec la Chine viennent de connaître un refroidissement brutal suite à la réception du Dalai Lama à Berlin, fait en effet partie des pays qui, en amont des JO, ont décidé de recadrer leur relation avec la Chine. Ces derniers entendent ne lui accorder un statut de partenaire à part entière qu’en échange, non seulement du respect de ses engagements commerciaux dans le cadre de l’OMC, mais surtout d’efforts réels sur les droits de l’homme, dont le Tibet est un exemple emblématique aux yeux d’Angela Merkel.

Il reste qu’en dépit des aigreurs, l’UE continue à entretenir et à développer une impressionante série de coopérations de terrain, souvent très pratiques et très localisées, dont les deux parties se félicitent. En plus des projets déjà en cours dans les secteurs les plus divers, de nouveaux chantiers seront approfondis dans les domaines des transports, de l’éducation, de migrations et de la protection de l’environnement. Sur ce thème la Commission a mis à profit la prise de conscience chinoise de l’urgente nécéssité de mesures efficaces, exprimée lors du XVIIe Congrès. C’est dans ce contexte que la Banque européenne d’investissement (BEI) a accordé un prêt de 500 millions d’euros pour soutenir plusieurs projets locaux dans le secteur de l’énergie. Cette somme viendra grossir les fonds débloqués par la Chine elle-même qui, selon les déclarations récente du Conseil des Affaires d’Etat, se monteraient à plus de 30 milliards d’euros (1,35% du PIB).

Dans ses relations avec la Chine, l’Union a longtemps avancé le long d’une voie qu’elle avait elle-même empruntée pour sa propre construction : en privilégiant d’abord les coopérations concrètes de terrain. A partir de 2000, puis surtout à partir de 2003, cherchant peut-être à tirer parti de l’affaiblissement de l’influence américaine suite aux déconvenues irakiennes, Bruxelles et Pékin - en partie sous l’impulsion de Berlin et Paris -, ont voulu brûler les étapes, sans prendre la mesure du poids réel des différends culturels, politiques et commerciaux et en ignorant les ambiguïtés d’une démarche qui semblait sous-estimer le poids de Washington. Le10e sommet UE-Chine marque le retour à la sagesse de la démarche pragmatique, fondatrice de l’Europe.

Il est probable qu’à l’avenir toute tentative pour établir des relations particulières sans tenir compte du partenaire américain se heurtera aux mêmes obstacles. Alors que la fin de l’administration Bush est en vue, il est temps que les trois pôles, qui regroupent le tiers de la population de la planète et 60% de ses richesses acceptent de s’asseoir autour d’une table pour négocier la manière dont ils entendent accompagner la Chine, qui tente de se faire une place dans un monde encore très largement calibré à l’aune des intérêts occidentaux et aujourd’hui confronté à de profonds déséquilibres. Pour la clarté, la crédibilité et l’efficacité de la démarche, il faudrait d’abord que les pays européens eux-mêmes se mettent en cohérence et cessent de croire qu’ils pourraient, chacun de leur côté, développer des relations privilégiées avec ce pays, dont l’esprit est, en très grande partie, occupé par son retour d’influence et la résolution de la difficile équation population-développement-ressources.

 

 

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