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La question tibétaine vue par une indienne

Pallavi Aiyar vit en Chine, où elle est correspondante du quotidien national indien « The Hindu », qui tire à plus d’un million d’exemplaires. En Inde elle est une journaliste vedette, presqu’une star. Diplômée d’Oxford et de la London School of Economics, elle écrit sur la Chine des chroniques précises et sans concession, avec au fond du cœur ce léger malaise - une jalousie, ou un regret - qu’éprouvent les Indiens devant les spectaculaires réussites de leur grand voisin du nord.

Les infrastructures modernes, en expansion rapide sur tout le territoire, la ponctualité des trains et des avions, les immeubles aux formes étranges habillées de verre, dans un pays ayant massivement réduit la pauvreté, tranchent avec le désordre des routes et des chemins de fer indiens, encombrés et chaotiques, jonchés d’ordures et où la misère accompagne le voyageur. Quand de surcroît notre journaliste se souvient que la Chine est membre permanent du Conseil de sécurité, puissance nucléaire reconnue, jouant parfois le rôle d’intermédiaire dans des négociations de portée stratégique, elle ne peut réprimer un vague dépit.

C’est peu dire que l’affaire tibétaine a retenu son attention. Un intérêt qui a déjà produit deux longs articles dans Asia Times. Sa réflexion s’articule autour de deux aspects, qui renvoient aux craintes qu’inspirent à la Chine l’esprit religieux dans lequel baigne le Tibet, et le formidable fossé culturel qui sépare les deux peuples.

Constatant d’abord que, dans son pays, les réfugiés du « pays des neiges » continuent à aduler le Dalai Lama, vilipendé en Chine comme un dangereux séparatiste, elle se demande si la raison essentielle des crispations chinoises n’est pas que les Tibétains continuent à être fidèles à leur chef religieux traditionnel. Une interrogation qui renvoie directement à la question des libertés de culte.

Baignant elle-même dans une culture mystique, à l’opposé du matérialisme chinois, elle a observé les événements de la mi-mars avec en tête les différences qui séparent les Han des Tibétains. Les premiers, agriculteurs sédentaires des plaines, agnostiques et superstitieux, les seconds, nomades des altitudes à l’oxygène raréfié, profondément religieux, dans un pays dont la vie est encore toute entière organisée autour des monastères.

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Cette « religiosité viscérale » éclate partout sur le plateau, décoré de « chevaux de vent », enserrant les reliefs de leurs fines guirlandes, où sont accrochés des carrés de tissus de toutes les couleurs portant des mantras. Ailleurs les grands mâts de prière, auxquels flottent des centaines de drapeaux multicolores, égayent le paysage minéral des hautes plaines. En Chine, où triomphe le pragmatisme calibré par la stricte rigidité confucéenne, glorifiant le pouvoir politique, cette exubérance religieuse qui paraît à certains observateurs une survivance archaïque, est absente. S’il est vrai qu’on y observe une renaissance de la ferveur bouddhiste et chrétienne, celle-ci est soigneusement encadrée par le pouvoir qui continue de surveiller les fidèles avec suspicion.

En dehors de ces écarts entre la Chine et le Tibet dans l’appréhension des questions religieuses, Pallavi Aiyar se réfère à l’extrême diversité de son pays, amalgame étonnant de religions, de races, de langues et de cultures, pour constater, par contraste, l’uniformité de la Chine, verrouillée par un concept politique encore rigide, et une tendance ancestrale à gommer les différences.

En dépit des dénégations et des efforts concrets des chinois pour développer la province, il semble bien que les Tibétains perçoivent la politique de Pékin comme une « mise aux normes » chinoises. Le choc des modes de vie et des cultures est tel qu’en dépit des succès qui ont réduit l’analphabétisme et la misère, amélioré le niveau de vie et l’état sanitaire des populations, les frustrations surnagent dans un contexte où, contrairement à l’Inde, les mécanismes de concertation et de dialogue, qui permettent de « gérer » les différences, les désaccords et les agressivités, fonctionnent mal. A l’appui de son jugement qui identifie cette faible aptitude à reconnaître les différences, un des articles cite notamment une déclaration de Zhang Qingli, gouverneur du Tibet, qui l’année dernière, était allé jusqu’à affirmer que « Le Comité Central était le réel Bouddha des Tibétains ».

Il n’est pas certain qu’en haut lieu on ait encore bien pris la mesure de la fureur que ce genre de déclaration déclenche dans le cœur des fidèles. Concluant un de ses articles, Pallavi Aiyar note que jusqu’à présent la stratégie de Pékin semble avoir été d’attendre la disparition du Dalaï Lama, en espérant que le vide créé incitera les Tibétains à s’intéresser aux progrès matériels et à s’éloigner de la religion, dont la contribution au bien-être de la province est faible.

Rien ne dit que les choses évolueront de cette manière. Tout indique au contraire que les fidèles attendent avant tout du pouvoir chinois qu’il reconnaisse l’originalité de leur culture et la force de leur spiritualité, dont le Dalai Lama, est un des plus puissants vecteurs. Sa disparition, loin de calmer la ferveur religieuse pourrait au contraire l’exacerber et susciter des mouvements de désespoir.

NDLR : L’angle de vue à partir de l’Inde, rival de la Chine qui donne souvent une image plus confuse et moins dynamique, est intéressant car il éclaire un aspect probablement central de la question, moins directement mesurable que les apports matériels, et lié à la nécessité de reconnaître les différences et de tenter un dialogue pour réajuster la politique. Plusieurs indices laissent croire qu’au-delà des fermetés affichées, Pékin a commence à envisager cette voie. Lors de son passage au Japon Yang Jiechi, le ministre des affaires étrangères chinois, venu à Tokyo pour préparer la prochaine visite officielle du Président Hu Jintao, s’est entendu dire par son homologue japonais Yasuo Fukuda que l’affaire tibétaine avait des résonances internationales. Ce à quoi il a répondu qu’il était prêt à rencontrer le Dalai Lama « à la condition qu’il prouve sa sincérité ». Autre indice qui va dans le même sens, le site de l’agence Xinhua a modifié son titre qui mentionnait « la clique du Dalai Lama », remplacé par : « le Tibet, passé et présent », tandis qu’un article récent évoquait lui aussi un dialogue possible des autorités chinoises avec le chef spirituel des Tibétains.

 

 

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