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Les crispations territoriales ternissent la visite de Xi Jinping en Inde

Photo : La visite de Xi Jinping (ici avec le premier ministre Modi) en Inde n’a pas permis d’éliminer les méfiances réciproques.

Le président Xi Jinping a visité l’Inde du 17 au 19 septembre. Dans un paysage stratégique en pleine évolution marqué par l’aggravation de la menace terroriste, des prémisses de tensions avec Islamabad et de constantes frictions avec Washington et Tokyo sur fond de querelles en mer de Chine du sud, la direction politique du régime chinois avait à plusieurs reprises exprimé son intérêt pour nouer des relations de confiance avec Narendra Modi, le nouveau premier ministre indien, connu pour sa fermeté nationaliste et son solide bon sens sur les questions géostratégiques et économiques.

Moins d’un mois après l’élection triomphale de Modi qui lui confère une autorité politique sans commune mesure avec celle de son prédécesseur, le MAE chinois se rendait à New-Delhi, tandis que quelques semaines plus tard à Fortaleza au Brésil en marge du sommet des BRICS, Xi Jinping rencontrait longuement le nouveau chef du gouvernement indien. L’intention du n°1 chinois avait une portée géostratégique liée à la compétition d’influence en Asie. Pour Pékin, il s’agissait en effet de s’assurer que l’Inde ne basculerait pas dans une coalition anti-chinoise tandis que Washington manœuvre avec Tokyo, Manille, Canberra et Hanoï, pour faire contrepoids aux ambitions territoriales et politiques de la Chine en Asie.

Compte tenu des contentieux entre les deux pays et des profondes méfiances enkystées qui vont des différends commerciaux aux très lourdes querelles de frontières assorties de crispations de souveraineté et de luttes d’influence qui, en Inde, véhiculent chez les plus nationalistes de violents sentiments anti-chinois, le défi était de taille. L’analyse des circonstances et des péripéties du voyage suggère que Pékin aura encore beaucoup à faire pour normaliser ses relations avec New-Delhi.

S’il est excessif de parler d’échec du voyage, force est de constater que la séduction chinoise n’a pas réussi à effacer le soupçon et le ressentiment. D’autant qu’une fois de plus, le sommet qui devait être réparateur, a été pollué par une initiative intempestive de l’APL dont la nature biaisée des comptes rendus ne permet cependant pas de dire s’il s’agissait d’une initiative délibérée d’un chef local ou d’une réaction à une provocation indienne.

Mais, compte tenu de l’enjeu stratégique majeur articulé autour de la réparation des relations sino-indiennes et, quelles que soient les responsabilités dans le déclenchement de l’incident, l’affaire renvoie aussi à la qualité des liens entre la direction politique chinoise et l’APL au moins sur ces hauteurs glacées de l’ouest tibétain.

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Les intrusions intempestives de l’APL dans le Ladakh.

Photo : Militaires chinois et indiens dans le Ladakh à l’ouest de l’Aksai Chin, partie occidentale du plateau tibétain.

Déjà, la dernière réunion au sommet entre Li Keqiang et le prédécesseur de Modi en mai 2013, avait été empoisonnée par un face à face militaire dans une partie du Cachemire indien revendiquée par Pékin, au nord-ouest du sous-continent indien, au milieu de zones mal délimitées et sans cesse contestées sur fond de face à face militaire.

Héritage de l’époque coloniale et d’un accord signé en 1914 par la couronne britannique avec le Tibet dont l’indépendance proclamée en 1913 n’a jamais été reconnue par la Chine, la controverse porte sur les territoires de l’Aksai Chin revendiqué par l’Inde et occupé par la Chine depuis le conflit sino-indien de 1962 et sur le Ladakh, contigu de l’Aksai Chine, contrôlé par New-Delhi, mais revendiqué par Pékin.

Dans cette zone, partie occidentale du plateau tibétain, les troupes des deux pays se font face de part et d’autre de la « Ligne de contrôle » (line of octual control), frontière provisoire que ni l’un ni l’autre ne reconnaît. Lire notre article Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.

Mais, cette fois, les transes nationalistes une nouvelle fois attisées par un mouvement intempestif des troupes chinoises, peut-être suite à une provocation indienne, furent plus graves. Surgies en amont de la visite, elles persistèrent durant le séjour de Xi Jinping. Le 18 septembre, un jour après l’arrivée du n°1 chinois, un gros bataillon de l’APL à l’effectif de 1000 hommes venant de l’Aksai Chin était toujours présent dans le sud Ladakh, avec l’intention déclarée de construire une route reliant l’Aksai Chin au Cachemire pakistanais. Selon la presse indienne, dont l’objectivité sur cette question est cependant aléatoire, après le départ de Xi Jinping, les militaires chinois étaient toujours présents dans la zone.

Des accords commerciaux et industriels moins vastes que prévus.

Quels que soient l’angle de vue et les responsabilités indiennes ou chinoises, il est impossible de minimiser cet incident, même en soulignant, comme le font les adeptes de l’estompage lénifiant, que Xi Jinping venait en Inde avec de bonnes intentions commerciales, accompagné par de nombreux hommes d’affaires dont les engagements d’investissements furent cependant très en-dessous des promesses diffusées avant le voyage.

Comme le soulignent de nombreux observateurs, au lieu des 100 Mds de $ évoqués quelques jours avant la visite de Xi Jinping par le Consul chinois à Bombay, la moisson de contrats ne fut pas à la hauteur des promesses. Avec à peine plus de 20 Mds de $, elle fut en tous cas très en dessous des 35 Mds promis par les Japonais lors de la visite de Modi à Tokyo.

Les annonces évoquent certes la construction d’infrastructures ferroviaires et routières et 2 parcs industriels sur la côte ouest dans l’État de Maharashtra et celui contigu du Gujarat, limitrophe du Pakistan et ouvert sur la mer d’Oman d’où le nouveau premier ministre qui en était le gouverneur, a construit sa popularité. Mais, pour dissiper la méfiance du très nationaliste Modi, il était essentiel de s’abstenir, même en réaction à une bravade de l’armée indienne, de raviver par une nouvelle provocation militaire au Ladakh, les blessures d’amour propre vieilles de plus d’un demi-siècle, mais toujours douloureusement présentes dans l’esprit des élites indiennes.

L’incohérence entre les intentions affichées par la direction chinoise et l’attitude de l’APL a mis en porte à faux Xi Jinping, sommé par Modi de commander le retrait de l’APL le soir même du dîner d’État. Ce qui, selon la presse indienne, n’aurait pas été suivi d’effet. La nouvelle intrusion de l’APL a lourdement pesé sur l’atmosphère de la visite dont la fin fut à ce point tendue que les déclarations des deux parties contrastaient dans la forme et le fond.

Alors que Xi Jinping entonnait l’habituel message chinois d’harmonie par le commerce, les investissements et les bénéfices mutuels, Modi s’arc-boutait sur ses positions nationalistes et rappelait sans détour que la paix aux frontières était la condition essentielle des progrès dans la relation.

Même s’il est peu probable que les différends territoriaux vieux d’un siècle dérapent vers un nouvel affrontement armé, les péripéties discordantes du voyage de Xi Jinping mettent une fois de plus l’accent sur les profondes défiances réciproques qui gênent la relation. Le fait est que Pékin devra déployer de gros efforts pour remonter la pente de cette bévue et rassurer la classe politique indienne.

Modi avait d’ailleurs mis le doigt sur cette exigence quand, lors de son voyage à Tokyo, il avait évoqué la nécessité pour « certains pays » d’ajuster leurs « tentations expansionnistes » à l’état d’esprit du monde moderne.

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Méfiances indiennes et questions sur le rôle de l’APL.

Photo : Les généraux Zhang Youxia à gauche et Liu Yuan à droite, amis d’enfance de Xi Jinping. Ils pourraient être promus en octobre, lors du plenum du Comité Central.

Une chose est certaine, après le voyage de Xi Jinping, la méfiance indienne est intacte. Pour les plus nationalistes, proches de Modi, la Chine ne considère pas l’Inde comme son égale dans les relations internationales handicapées par le déséquilibre de puissance militaire et un fort déficit commercial au détriment de l’Inde.

New-Delhi est activement en quête des investissements chinois, mais Pékin peut très bien s’en passer, même si les Chinois sont intéressés par la puissance indienne de création de logiciels et la qualité des techniciens indiens du secteur des nouvelles technologies. Quant à l’APL, les hommes politiques indiens la suspectent de nourrir ses propres projets qui parfois divergent de ceux de la direction du Régime.

Interrogations sur l’harmonie entre l’APL et la direction politique.

Au-delà des crispations entre Pékin et New-Delhi, la sortie de route de l’APL à qui il faut cependant se garder d’attribuer toute la responsabilité de l’incident tant est grande la nervosité nationaliste de l’armée indienne prompte aux provocations, pose aussi la question de la cohésion du système politique et de l’influence de Xi Jinping sur les militaires chinois. Peut-être même faut-il s’interroger sur la solidité des liens hiérarchiques dans la chaîne de commandement.

Compte tenu de la séquence des événements depuis la visite de Li Keqiang à New-Delhi en mai 2013, comme des attitudes et déclarations officielles qui les ont accompagnés, indiquant toutes le souci de la direction politique du régime d’empêcher une bascule indienne du côté d’un axe anti-Pékin, il est difficile d’imaginer que la provocation militaire chinoise sur le plateau du Ladakh ait procédé d’un stratagème subtil destiné à faire pression sur Modi. Au mieux n’a t-elle été que la réaction d’un chef militaire local en réponse à une provocation indienne. Au pire, elle pourrait être le signe d’une indiscipline caractérisée d’une partie de la hiérarchie militaire.

Il reste qu’il faut se rendre à l’évidence : un coterie militaire mal contrôlée – ce qui jette un doute sur l’influence réelle du n°1 chinois au sein de l’armée – a délibérément ou par réaction émotive à une provocation indienne, ignoré la stratégie chinoise de raccommodage des relations entre Pékin et New-Delhi.

Les origines de cette attitude qui, pour les plus pessimistes, confinerait au sabotage, sont l’objet de conjectures diverses qui vont de l’irritation des militaires chinois choqués par les récentes opérations anti-corruption au sein de la CMC et de l’APL aux inquiétudes de ceux qui ont construit leur carrière autour de la connivence entre Pékin et Islamabad, fragilisée par un rapprochement avec New-Delhi, en passant par le machiavélisme de la direction politique et des armées indiennes pour forcer Pékin dont l’ambiguïté exaspère New-Delhi, à clarifier sa position sur les frontières.

Rumeurs de reprise en main de l’armée.

Enfin, alors que le 25 septembre l’APL a minimisé l’incident, rappelant que les deux armées avaient établi des canaux de contacts directs et que, le dernier cafouillage ayant été maîtrisé, la frontière était désormais apaisée, le site « Pakistan defence » et celui du Times of India reprennent les rumeurs courant en Chine et à Hong Kong de sévères remontrances du n°1 chinois adressées aux militaires à son retour de New-Delhi, assorties d’une série de mutations et promotions à la tête de la CMC.

Si ces informations qui viennent des deux rivaux du sous-continent indien, actuels enjeux de la politique étrangère chinoise, étaient vérifiées, elles confirmeraient l’hypothèse d’un grippage de la relation entre Xi Jinping et l’APL. Une récente dépêche de Xinhua recommandant à toutes les unités de l’APL d’obéir aux instructions du Président allait en tous cas dans ce sens. La reprise en main s’accompagnerait de promotions de proches du Président.

Selon le South China Morning Post, Zhang Youxia et Liu Yuan, deux officiers généraux, amis d’enfance de Xi Jinping qui, de 1960 à 1969 (entre 7 et 16 ans) fréquentèrent avec lui l’école primaire n°25 de l’APL (八一学校), seraient promus à des postes plus élevés de la CMC durant le plenum d’octobre. Zhang Youxia (64 ans) est l’actuel chef du département de l’armement et Liu Yuan (63 ans), est le commissaire politique du département de logistique de la CMC.

Lire aussi notre article Le Parti revisite son histoire : son regard édulcoré éclaire le présent.

Fils de Liu Shaoqi, ce dernier mérite une attention particulière puisqu’il est à l’origine de la chute du général Gu Junshan son chef direct et surtout du général Xu Caihou, ancien commissaire politique de l’APL à la retraite. Si la nécessité se faisait sentir d’une reprise en main de l’armée et de sa chaîne hiérarchique pour éviter que ne se reproduisent des dérapages intempestifs comme celui qui vient d’avoir lieu dans l’Himalaya, ces deux proches du Président dont la relation avec Xi Jinping remonte à plus de 50 ans, seraient en effet des relais d’autorité fiables.

 

 

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