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Corée du Nord. Le jeu croisé des menaces et du dialogue. Pékin spectateur de premier rang, Washington à la manœuvre

Il n’a pas fallu longtemps pour que la fragile accalmie résultat du report par Pyongyang de sa promesse de tirer des missiles Hwasong 12 autour de Guam se dissipe dans de nouvelles tensions entre Washington et Pyongyang.

Celles-ci sont à la fois nées de la dynamique belliqueuse entretenue par Kim Jong-un et de l’insistance des forces conjointes américano-coréennes de conduire du 21 au 31 août sur le territoire sud-coréen et à ses abords maritimes, l’exercice « Ulchi Freedom Guardian », du nom du général coréen Eulji Mundeok ou Ulchi commandant les armées du Royaume de Koguryo au début du VIIe siècle quand il résista victorieusement aux attaques de la dynastie chinoise des Sui.

Situé au nord de la péninsule, le Koguryo qui donna son nom à la Corée, était, du 1er siècle av. JC au VIIe siècle, le plus grand État des « Trois Royaumes » coréens. Couvrant une partie de la Mandchourie et de l’Extrême Orient russe le Koguryo résista aux Sui, mais sa puissance se fracassa en 668 ap. JC, sous les coups d’une alliance entre la Chine des Tang et le Silla petit royaume couvrant l’actuelle région de Gyeongju, Pohang et Taegu au sud-est de la péninsule.

Il n’est pas inutile de rappeler que l’exercice Ulchi Freedom fut organisé pour la première fois en réaction à une attaque des forces spéciales nord-coréennes, le 17 janvier 1968, contre la « Maison Bleue », siège de la présidence sud-coréenne. L’opération qui fut un échec se solda par la mort de 4 américains, 29 nord-coréens, 26 sud-coréens dont 24 civils. Diligentée par Kim Il-sung, elle avait pour but d’assassiner le président Park – père de Park Geun-hye destituée au printemps dernier - arrivé au pouvoir en 1961 à la suite d’un coup d’État.

Plus grand exercice de cadres au monde piloté par ordinateurs, Ulchi Freedom Guardian (UFG) met en jeu 17 500 américains dont 3000 venus en renfort de forces stationnées hors péninsule et 50 000 sud-coréens à quoi s’ajoutent des représentants de 7 pays (Australie, Canada, Colombie, Danemark, Nouvelle-Zélande et Royaume Uni) membres du Commandement des NU en charge du contrôle de l’armistice. Son but : entraîner le commandement conjoint américano-coréen à réagir à une agression de la Corée du Nord contre le sud.

Rencontre militaire au sommet en Chine.

L’organisation de l’exercice que Pékin critique vertement, fut l’un des thèmes de discussions entre les deux plus hauts responsables militaires chinois et américain à l’occasion de la visite du 16 au 18 août à Pékin et Shenyang du général Joseph Dunford, président du comité des chefs d’État-major américain, lors d’une tournée qui l’a également conduit à Tokyo et à Séoul.

Au général Fan Changlong, 1er vice-président de la Commission Militaire Centrale, Dunford a une nouvelle fois expliqué que les exercices auxquels les États-Unis et la Corée du sud refusent de renoncer, n’ont qu’une intention défensive en réponse aux provocations de Pyongyang. Ce fut sans succès.

Pékin, appuyé par Moscou, reste formellement sur ses positions répètées depuis des mois. Une des solutions vers un dialogue serait un moratoire sur les exercices militaires en échange d’un arrêt des expériences nucléaires et des tests balistiques nord-coréens (cf, plus bas).

Il faut cependant noter que la rencontre fut cordiale et émaillée d’une volonté d’apaisement exprimée de part et d’autre, en dépit des multiples différends qui plombent la relation. Déploiement d’un système antimissiles en Corée du sud ; mer de Chine du sud ; Taïwan ; relations commerciales menaçant de partir en vrille depuis que Trump a décidé d’enquêter sur les violation du droit de propriété dont sont victimes les entreprises américaines en Chine. Les sujets de discorde ne manquent pas.

C’est pourtant dans ce contexte tendu dont les Chinois attribuent directement la responsabilité aux Américains considérés dans la région comme des intrus perturbateurs, fauteurs de troubles et de guerre, que Fan Changlong a, comme le général Dunford, répété ses intentions d’éviter un conflit et d’approfondir les relations militaires. Même le président Xi que Dunford a rencontré avec Yang Jiechi en charge des Affaires stratégiques y est allé de son compliment fleuri.

Après avoir exprimé sa conviction que le développement des deux pays avait des avantages réciproques et n’était pas un jeu à somme nulle, il a - utilisant une vieille image de la diplomatie chinoise - conclu qu’après la tempête on verrait se lever un arc-en-ciel « 美国發展好, 对 中国有利 ; 中国 发展好 对美国亦有利, 虽然 两国关系展的道路, 有時有坎坷風雨, 但風雨過後会見彩虹 ».

Au cours de son séjour en Chine, le premier militaire américain a visité la région de Shenyang au Nord-est, ayant sous sa responsabilité la frontière nord-coréenne où il a assisté à l’exercice d’un régiment d’infanterie. Lui aussi s’est plié au jeu des bonnes paroles, soulignant qu’en dépit des divergences et des difficultés et malgré des perspectives stratégiques différentes, Washington partageait avec Pékin la volonté de surmonter les problèmes et d’éviter un conflit.

Au-delà des bonnes paroles…

Il reste que, derrière le rideau opaque des artifices diplomatiques, considérant historiquement la péninsule comme son arrière cour stratégique, seul théâtre de la planète où, durant la guerre de Corée, l’armée populaire de libération affronta directement les militaires américains, la Chine continue de nourrir de sérieuses méfiances à l’égard de Washington.

Il est vrai que, bousculées par les méthodes brutales et à l’emporte-pièce du dernier héritier de la famille Kim et la montée du risque nucléaire et balistique, les relations avec Pyongyang ne sont plus au beau fixe. Les indices de cette dégradation ne manquent pas.

Alors que Pékin a signé toutes les résolutions imposant des sanctions à Pyongyang [1], la dernière visite de haut niveau d’un membre du Comité permanent à Pyongyang date de celle de Liu Yunshan en octobre 2015.

En février 2016, Wu Dawei, « Monsieur Corée du Nord à Pékin » était revenu bredouille d’une mission de bons offices où il avait tenté sans succès d’obtenir la garantie que Pyongyang cesserait ses provocations. 7 mois plus tard la Corée du Nord procédait à son 5e essai nucléaire. Enfin, arrivé au pouvoir en 2012, Kim Jong-un n’a contrairement à son père et à son grand père, jamais été reçu en Chine.

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…Des divergences de fond.

Il reste que, même en cette période de vents mauvais d’une relation cependant toujours formellement articulée à un « traité d’amitié », ayant un volet militaire [2], il serait illusoire de croire que Pékin pourrait, en s’alignant sur Washington, envisager une action militaire contre Pyongyang.

Tout au plus la direction du régime se prépare t-elle au pire dans ses provinces du Nord-est en mettant l’APL en alerte, après avoir accepté de durcir les sanctions par un gel de ses importations de charbon et de minerais. Ira t-elle jusqu’à fermer le robinet de pétrole comme le laissait entendre le Global Times au printemps dernier si Pyongyang procédait à un sixième essai nucléaire ? Rien n’est moins sûr.

Mais, dans cette situation où la possibilité d’une bascule nucléaire du régime de Pyongyang pourrait déclencher le cauchemar d’une course à la prolifération en Corée du Sud et au Japon, « pays du seuil » et premier rival stratégique de Pékin dans cette zone, il est prudent de ne rien exclure.

Enfin, en cas d’accident interne en Corée du nord, ou si un conflit éclatait, la Chine ne resterait pas inerte. Il est probable que ses troupes chercheraient au moins à prendre le contrôle des sites nucléaires et des aires de lancement balistiques. En toutes hypothèses, la priorité de Pékin resterait de veiller à ce que les États-Unis n’augmentent par leur influence dans la région à la faveur d’une crise violente en Corée du nord.

Pour l’heure et officiellement, la stratégie du Bureau Politique reste articulée aux propositions de double moratoire américain et nord-coréen, avancées par Wang Yi en mars dernier lors de sa conférence de presse de la réunion annuelle de l’ANP. Lire à ce sujet Corée du Nord. Wang Yi met Washington au pied du mur.

Une nouvelle équipe chinoise en charge de Pyongyang.

Simultanément, Pékin se met en mesure de mieux communiquer avec Kim Jong-un en renouvelant l’équipe chargée du dialogue lui. Succédant à Wu Dawei, 71 ans dont l’efficacité est contestée par ses partenaires de dialogue en Corée du sud, Kong Xuanyou, 58 ans, n°1 de la diplomatie chinoise en Asie a, le 14 août dernier, été nommé représentant spécial pour la péninsule coréenne. Ce spécialiste du Japon, prend en charge un dossier dans un état catastrophique où la relation avec Pyongyang n’a jamais été aussi bas, au point qu’un récent article du South China Morning Post la voyait même « au bord de la rupture. »

Au passage, c’est peu dire que Wu Dawei, issue de la vieille garde maoïste, bouc émissaire des déboires de la relation entre Pyongyang et Pékin, n’avait pas l’entregent et la subtilité pour naviguer au milieu des chausse-trappes d’une situation devenue à la fois inextricable et explosive.

Selon un télégramme diplomatique américain daté de 2010, révélé par les fuites des « wikileaks », son collègue sud-coréen Chun Yung-woo le qualifiait en privé de « diplomate incompétent, arrogant, ancien garde-rouge marxisant, avec qui il était difficile de communiquer, ne connaissant rien, ni de la Corée du Nord, ni de la prolifération ».

Signe qu’à Pékin on tente de tourner la page du dialogue de sourds, le 1er juin dernier, Xi Jinping avait déjà rencontré Ri Su Yong, en charge des Affaires etrangères à Pyongyang. Il s’agissait de la première fois depuis 3 ans qu’un haut responsable nord-coréen était reçu par le président chinois.

Retour aux invectives, mais possible embellie.

Quant à la Corée du Nord, aux prises avec les sanctions les plus sévères jamais infligées, elle a, après une courte pause de quelques jours, repris son discours agressif à la veille de l’exercice conjoint Ulchi Freedom. Le 20 août, Pyongyang mettait en garde que l’exercice pourrait dégénérer en une guerre nucléaire et répétait ses menaces de frappes missiles contre Guam et Hawaï.

Là aussi, il est urgent de tenter un décryptage de la situation derrière le rideau des discours. Certes les tensions sont encore fortes et la situation paraît bloquée. Pyongyang dit ne pas vouloir abandonner son assurance nucléaire de survie ; Washington mesure à la fois les risques d’un affrontement militaire et ceux d’une Corée du Nord nucléaire ayant une capacité de frappe intercontinentale ;

Pékin, tout aussi inquiet, tente une médiation pour l’heure apparemment vouée à l’échec ; tandis que le département américain vient d’infliger des sanctions à 16 sociétés et hommes d’affaires russes et chinois accusés de commercer avec Pyongyang et de favoriser ainsi les programmes balistique et nucléaire du régime.

Le 23 août, la réaction acerbe de Hua Chunying, porte-parole du Waijiaobu récusant le droit de Washington de s’instituer en juge universel, contredisait les bonnes paroles de la visite du général Dunford à Pékin.

Mais au plus fort de la crise, une embellie provisoire se dessine peut-être.

Le 23 août, repris par plusieurs quotidiens américains, Rex Tillerson a, une nouvelle fois, laissé entendre qu’un dialogue pourrait s’ouvrir prochainement avec la Corée du Nord, à condition que le régime continue à s’abstenir de lancer des missiles et de procéder à des tests nucléaires.

Lue entre les lignes, la déclaration qu’il avait déjà faite il y a 15 jours lors du sommet de l’ASEAN à Manille, pourrait signaler un retour au pragmatisme, alors qu’au fil des années Washington n’a cessé de balancer entre « ouverture » mesurée et stratégie des sanctions n’ayant ni l’une ni l’autre produit le moindre résultat, en partie du fait de la propension de Pékin à protéger Pyongyang.

Pressions, sanctions et dialogue.

En 2013 une étude de la « Brookings Institution » intitulée « Facing the facts » prévoyait exactement les évolutions inquiétantes observées aujourd’hui. Après avoir anticipé que les progrès balistiques de Pyongyang mettraient à terme le territoire américain sous la menace d’une frappe et que le régime ne serait jamais disposé à abandonner ses projets nucléaires, il préconisait une double approche.

Suggérant l’augmentation radicale des pressions internationales (ce que nous constatons aujourd’hui avec le durcissement de Pékin), tout en se préparant à un accident interne du régime mis en difficultés par les sanctions, il conseillait de maintenir ouverts les canaux de dialogues avec la tête du régime.

Le raisonnement, empreint de réalisme, soulignait le fait que, dans un contexte où une action militaire revêtait des risques considérables, la seule option possible était d’accompagner les pressions par un dialogue, même si le régime répétait que l’arsenal nucléaire et balistique n’était pas négociable. Mieux valait des échanges, même difficiles et à l’issue incertaine, qu’une complète rupture des contacts.

La vertu des contacts parallèles.

Sous la surface de ses provocations, Pyongyang semble faire le même raisonnement.

En mai dernier, citant des sources anomymes, l’agence sud-coréenne Yonhap rendait compte que Madame Choe Sun-hui, directrice générale du bureau Amérique du Nord du ministère nord-coréen des Affaires étrangères, avait rencontré à Oslo – faisant suite à une autre réunion à Genève en novembre 2016 – Thomas Pickering, ancien secrétaire d’État adjoint et ancien Ambassadeur aux NU, Robert Heinhorn, qui fut conseiller spécial du Département d’État pour la prolifération nucléaire, aujourd’hui chercheur à la Brookings, l’amiral en retraite William Fallon en retraite, ancien chef des opérations du Pentagone et Suzanne Di Maggio, ancienne membre du PNUD et habituée des dialogues officieux avec l’Iran et la Corée du Nord.

S’adressant à la presse à l’aéroport de Pékin le 9 mai dernier, Choe avait déclaré que Pyongyang serait disposé à dialoguer « sous certaines conditions précises. »

Au même moment, D. Trump affirmait qu’il « serait honoré » de rencontrer Kim Jong-un. Il changea de ton un mois plus tard suite au décès, le 19 juin 2017, du jeune Otto Warmbier 22 ans, condamné par Pyongyang à 15 ans de prison sous une fausse accusation d’incitation à la sédition, puis libéré 17 mois plus tard, dans un état comateux, quelques semaines avant sa mort.

Au-delà des avalanches de menaces croisées entre Pyongyang et Washington et en dépit des accidents de parcours, du tragique décès de Warmier et de l’extrême suceptibilité de Pékin, c’est bien cette dynamique à deux faces des sanctions considérablement durcies et du dialogue que Tillerson tente de maintenir à flots et d’exploiter.

Note(s) :

[1Liste des résolutions et sanctions imposées à la Corée du Nord et cautionnées par la Chine depuis 2006 : 1695 (juillet 2006, test balistique) 1718 (14 octobre 2006, après le 1er test nucléaire), 1874 (12 juin 2009, 2e test), 2094 (mars 2013, 3e test), 2270 (mars 2016, 4e test), 2321 (novembre 2016, 5e test), 2371 (août 2017, après 2 tests missiles intercontinentaux en juillet)

[2Signé en septembre 1961, 4 mois après le coup d’État du général Park à Séoul, entre Zhou Enlai alors premier ministre de Mao et Kim Il-sung. Prônant la coopération pacifique en matières culturelle, économique et sociale, il comporte une clause de soutien réciproque en cas d’agression d’un pays ou d’une coalition de pays tiers.

Valide pour 20 ans, il a été renouvelé en 1981 et en 2001, ce qui en théorie le rend opérationnel jusqu’en 2021. Pour autant, alors que le 11 août Wang Yi considérait publiquement que les sanctions contre Pyongyang étaient justifiées à la suite des 2 tests intercontinentaux, un éditorial en Anglais du Global Times, prévenait Kim Jung-un que la Chine ne volerait pas au secours de la Corée du Nord si elle agressait les États-Unis.

 

 

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