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L’augmentation du nombre de contamination par le virus et le bilan des décès ne faiblit pas. Les hôpitaux sont débordés et l’économie que le pouvoir tente de remettre sur les rails est encore presque à l’arrêt.
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L’épidémie du Wuhan continue à faire la une de l’actualité, diffusant un obsédante psychose, avec le 19 février, dans le monde, 75 198 cas et 2009 décès, soit déjà 2,5 fois plus que durant le SRAS en 2003, la très large majorité en Chine (74185 cas – 98,6% - et 2004 décès – 99,7%).
C’est avec cet arrière-plan compliqué par de fortes contestations et rancœurs sur les réseaux sociaux, que le 12 février, le Bureau Politique a approuvé une stratégie pour tenter de contrôler les contagions tout en stimulant la reprise économique. Une partie de la Chine est encore bloquée ou fortement ralentie.
Le défi est d’une extrême complexité.
Alors que la réunion annuelle des deux assemblées a été reportée, le président Xi Jinping a confirmé la décision d’abaisser les taxes des entreprises, tandis que Li Keqiang ordonnait la reprise des grands projets de construction. Les groupes publics sont sommés de freiner leurs emprunts et les banques de réduire leurs taux d’intérêt.
Après les fêtes du nouvel an, l’appareil prescrit aux municipalités de s’assurer du retour au travail de la main d’œuvre partie dans la famille durant les fêtes. Et, sans équivoque, tout indique que le Parti s’apprête à déclencher un vaste programme de relance attendu par la plupart des commentateurs.
Le 17 février, le Parti publiait le contenu d’une réunion d’un « petit groupe dirigeant » sur les réponses à l’épidémie. Le discours était que des progrès avaient été accomplis avec des résultats positifs - 积极成效 jījí chéngxiào -. il soulignait que 10 000 malades avaient récupéré, tandis qu’en dehors de la province du Hubei, le nombre de nouveaux cas quotidiens faiblissait depuis 13 jours.
Le narratif avait clairement pour but de montrer que l’épidémie était sur le point d’être circonscrite à la province du Hubei et d’inciter les sociétés et la main d’œuvre à reprendre le travail.
Pour autant, la quadrature du cercle dont officiellement personne ne parle est dans toutes les têtes : comment remettre au travail 500 millions de Chinois, tout en évitant de faciliter les contagions par les milliards d’interactions que créeront les efforts de reprise.
La Chine isolée.

Nombre de compagnies aériennes ont annulé leurs vols vers la Chine.
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Plus encore, alors qu’ailleurs dans le monde la crise a déjà produit sont lot de déconvenues économiques et commerciales comme la décision prise le 12 février d’annuler la foire mondiale de la téléphonie mobile à Barcelone (au bas mot 100 000 participants chaque année), la tendance générale à la prudence produit un isolement de la Chine et une rupture des chaînes d’approvisionnement globales qui, en temps normal, font tourner les usines.
En Australie, BHP, un des plus grands groupes miniers de la planète dont les liens avec la Chine sont étroits compte tenu de sa forte demande en ressources primaires réfléchit aux contraintes de la quarantaine au retour de Chine et envisage de retarder ses livraisons.
Lire :
- Quête de ressources primaires : Déboires, réajustements et consolidations.
- Les soucis de Wen Jiabao et des sidérurgistes chinois.
- La crise avec Rio Tinto. Une affaire d’Etat aux ramifications gênantes.
Les prix du cuivre, du minerai de fer, du nickel, de l’aluminium et du gaz naturel accusent des baisses sévères. Les industries minières de toutes natures et les centres de production qui leur sont directement liés envisagent de réduire leur production pour maintenir les prix et réduire les stocks qui s’accumulent.
Le Brésil est particulièrement touché. 30 % de ses exportations sont destinées à la Chine qui, en retour, lui achète 43 % de ses importations de soja, 23 % de son pétrole importé 17 % de ses achats en minerai de fer.
A la date du 11 février, 2/3 des vols internationaux vers la Chine étaient supprimés. La destination chinoise est en quelques semaines tombée de la 3e à la 16e place, derrière le Canada, les Pays Bas et Singapour.
Les principales suppressions ont eu lieu aux États-Unis (-86,2%), en Australie (-87%) et dans la périphérie immédiate de la Chine, Vietnam (–87%), Singapour (-89%), Hong Kong (-80,3%), Macao (-79,7%), Thaïlande (-63%), Japon (-60%), Corée du sud (-54,4%).
Au 16 février, le bilan des annulations par compagnie aérienne était le suivant :
En Amérique du nord American Airlines et Delta Airlines ont supprimé leurs vols vers HK et Pékin jusqu’au 24 avril, Air Canada jusqu’au 29 février ;
En Asie Océanie, Air Asia et All Nippon pratiquent des suspensions partielles jusqu’au 29 février pour le 1er et jusqu’au 29 mars pour le 2e ; Japan Airlines et Korean Air ont suspendu leurs vols jusqu’à la fin mars ; Singapour Airlines, a cessé certains vols jusqu’au 1er mars, Qantas et Air New-Zealand jusqu’au 29 mars.
En Europe, Air-France a cessé ses vols vers Pékin et Shanghai jusqu’au 15 mars et vers Wuhan jusqu’au 29 mars ; British Airways, Lufthansa, Iberia, les compagnies suisse et autrichienne ont suspendu leurs vols vers Pékin et Shanghai jusqu’à la fin février, vers les autres destinations chinoises jusqu’au 28 mars.
L’économie toujours en panne.

Plus de 200 millions de migrants intérieurs sont bloqués.
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Résultat, la Chine est encore en grande partie à l’arrêt. Selon Reuters, environ 500 millions de personnes - près d’un tiers des Chinois et 6,5% de la population mondiale - continuent d’être affectés par des restrictions au moins partielles à la circulation ou à l’activité.
La province du Hubei a prolongé la suspension jusqu’au 20 février et, dans l’ensemble de la Chine, « au moins 48 villes et quatre provinces chinoises ont publié des avis officiels de quarantaine ».
Tandis qu’à Macao, Hong Kong et en Chine les écoles sont toujours fermées, un habitant de Canton âgé de 73 cité par le SCMP et Supchina expliquait qu’il n’avait jamais vu un tel blocage en Chine, même pendant la Révolution Culturelle. Les mesures de quarantaine freinent partout les mouvements et les échanges commerciaux. Le tourisme est particulièrement touché.
Certes les signes de reprise de l’activité industrielle existent. Airbus, General Motors et Toyota ont lentement redémarré leurs chaînes d’assemblage. Mais il devient clair que la reprise de l’usine du monde, 1re puissance commerciale de la planète est difficile, en dépit des efforts inédits du pouvoir pour contenir l’épidémie.
Le 16 février, Cary Huang analyste vétéran du journal depuis 2004, basé à Pékin de 2005 à 2013, traçait dans le South China Morning Post, un tableau très pessimiste de la situation et de l’avenir à court terme.
Son appréciation générale était que, même si le nombre des décès commençait à diminuer, l’ampleur des coûts humains et économiques serait pire que toutes les conséquences connues à ce jour d’une crise sanitaire en Chine.
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Alors que les meilleurs experts sont incapables de prévoir la fin de la propagation du virus encore mal connu – notamment la durée d’incubation et le taux de transmission - déjà les économistes avancent des hypothèses sur les dommages infligés à la Chine. Ils pourraient être immenses, alors que la dimension de l’épidémie dépasse largement celle du SRAS.
Certes le virus baptisé Covid-19, est moins létal que celui du SRAS. Mais ce dernier n’avait infecté que 8000 personnes dont moins de 800 avaient succombé. Et pourtant, il avait induit une baisse de 2 points de croissance en Chine et 50 Mds de $ de pertes à l’économie mondiale.
Cette fois, la période du nouvel an propice à la contagion fut aussi la plus mauvaise possible dans une économie en pleine mutation vers ses nouveaux moteurs de croissance des services et de la consommation intérieure, tous les deux durement impactés par la paralysie des quarantaines.
L’urbanisation galopante a augmenté la nécessité des déplacements et, du coup, les risques de rupture en cas de blocage. Depuis le 23 janvier, l’ankylose qui frappe le pays où le Hubei est figé et où les 31 provinces ont mis en place des mesures sanitaires d’urgence, touche notamment une partie des 288 millions de migrants intérieurs.
Piégés dans leurs campagnes, ils sont incapables, après le nouvel an, de rejoindre les chantiers de la côte Est où ils travaillent. Selon Bloomberg Economics, au plus haut de la crise, les provinces entrées en léthargie comptaient pour 69% du PIB chinois. En 2003, le SRAS n’avait pas eu, et de loin, un tel impact.
Le tissu économique des entreprises étrangères délocalisées en Chine déjà perplexes à la suite de la guerre commerciale sino-américaine, pourrait commencer à se déchirer, mis à l’épreuve par l’augmentation des coûts.
Mais les plus durement frappées seront les PME. Selon une étude de Qinghua et de Beida, 85% d’entre elles ne survivraient pas à plus de trois mois de ce régime, provoquant un choc d’autant plus lourd qu’elles comptent pour 60% du PIB et offrent 80% des emplois.
Dans la foulée, les banques dont les comptes sont toujours corrodés par les dettes non recouvrables (près de 300% du PIB fin 2019), seraient mises en difficulté par le ralentissement économique. Dès lors c’est tout le système financier affaibli par l’accumulation des surplus industriels – résultats des politiques de relance - qui pourrait être ébranlé, avec le risque de défaut des 99,1 billions de yuans (14 Mds de $) d’obligations.
Alors que 2019 avait déjà été une année record de la montée des risques obligataires au milieu d’un ralentissement persistant de la croissance, les budgets des administrations seront mis en difficulté par la baisse des revenus fonciers et l’incapacité des entreprises à honorer leurs crédits.
La conclusion est noire.
De grande ampleur, se propageant toujours rapidement malgré un léger tassement de la courbe des nouveaux cas et des décès, l’épidémie pourrait durer plus longtemps que le SRAS.
La reprise sera lente, gênée par la persistance des mises en quarantaine. Il y a certes des mesures d’amortissement possibles, comme le télé-travail et un plan de massif de relance. Mais la baisse de la consommation se prolongera, entraînant ce que le pouvoir craint les plus : les retombées sociales.
Si la crise sanitaire ne pouvait être contenue rapidement, les pires des hypothèses ne peuvent être exclues : un effondrement financier massif, l’éclatement de la bulle des actifs, un exode de sociétés étrangères et des faillites à grande échelle.
Les dégâts se propagent en chaîne hors de Chine.

Au Japon où le nombre de cas avait atteint 408 au 16 février (les plus ombreux en Asie après la Chine) on se demande si les JO devraient être annulés.
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Jean-Pierre Cornu rappelle dans Contrepoint que 94 % des exportations de la Chine sont des produits manufacturés, et 48 % de ces exportations sont des machines et équipements de transports, 27 % des équipements électroniques et de télécommunications.
Au passage, les textiles et vêtements ne représentent plus que 5 %, contre 15 % en 2005. Indication de sa puissance commerciale, en 2019, l’excédent de la Chine en 2019 s’est établi à 421 milliards de dollars, le plus important depuis 2016, en dépit de trois années de guerre commerciale avec les États-Unis.
Le 10 février, Nissan annonçait la fermeture temporaire pendant quatre jours à compter de la fin de la semaine de son usine de Kyushu, au Japon, « en raison d’une pénurie de pièces en provenance de Chine ».
D’autres constructeurs automobiles, comme Fiat Chrysler en Italie et Hyundai en Corée du Sud, ont déjà averti qu’un manque de pièces en provenance de Chine les contraindrait à réduire la production sur leurs marchés nationaux.
Les craintes sont les mêmes en France où on anticipe les retards d’approvisionnement des produits fabriqués en Chine, notre 2e fournisseur après l’Allemagne. Les effets sont déjà perceptibles dans le secteur informatique où les délais de livraison s’allongent. Si la crise se prolongeait, ils se feront également sentir dans le secteur de l’habillement et de l’électroménager.
Enfin çà et là commencent à percer des commentaires sur une possible pénurie de médicaments dont la grande majorité est fabriquée en Chine et en Inde. Le 13 février 2020, l’Académie française de Pharmacie mettait en garde contre une possible rupture.
La question était déjà dans l’air avant même le virus de Wuhan. Voir la feuille de route 2019 – 2022 du ministère de la santé publique sur « La lutte contre les pénuries de médicaments et l’amélioration de leur disponibilité en France »
La proposition n°22 du document suggérait de « relocaliser les sites de production en France ou en Europe. » L’actuelle crise, source d’une prise de conscience des risques d’une trop grande dépendance à la Chine, accélèrera le processus de relocalisation, au détriment de l’économie chinoise.
En Asie, la même crainte d’une dépendance excessive à la Chine hante les voisins, l’œil rivé sur leurs exportations. Les plus impactés seront Taïwan, le Vietnam, la Malaisie, la Corée du sud dont les exportations sont dans une forte proportion dirigées vers la Chine. Les Chinois travaillant à l’étranger seront bloqués, tandis que la crise réduit considérablement l’afflux des touristes, impactant l’hôtellerie, déjà dévastée en Chine.
Au seul Japon, les pertes de janvier à mars du secteur du tourisme sont estimées à près de 1,29 Mds de $. Comme Pékin a fermé les voyages en groupes, les autres destinations préférées des Chinois comme la Thaïlande, le Vietnam et Singapour seront elles aussi durement impactées.
En France d’où un 4e A380 a décollé le 19 février avec des équipements médicaux (17 tonnes de combinaisons, masques et produits désinfectants) pour rapatrier de Wuhan des expatriés français et étrangers, les deux secteurs les plus touchés sont le luxe et l’hôtellerie (au moins 25% de baisse des réservations en Île de France).