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›› Société

Au Yunnan, la « rénovation » des mosquées met les « Hui » en émoi

A gauche, une vue du fronton de la mosquée de Najiaying (纳家营 清真寺), 50 km au sud de Kunming. A droite la foule des protestataires rassemblés le 27 mai.


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Depuis quelques semaines les médias internationaux s’intéressent à une controverse chinoise directement liée au rapport de l’appareil avec ses minorités et la religion. Dans ce cas il est plus particulièrement question des relations du Parti avec les « Hui » et l’Islam.

Au cours du week-end du 27-28 mai, les résidents de la ville de Najiaying - 纳家营 (80 km au sud de Kunming, capitale de la province) se sont rebellés pour protester contre la démolition du dôme de leur mosquée par les autorités. Le projet, défini par l’administration comme une « transformation 改 造 » de l’architecture musulmane, est vu par les fidèles comme une « altération  ». Il s’inscrit dans l’intention du Parti d’éradiquer la face architecturale visible (minarets et dômes) de l’Islam en Chine.

Alors que les strates supérieures de l’appareil n’ignorent pas la sensibilité de l’entreprise dans une région où l’Islam a de longues racines, il semble que les autorités locales n’aient pas fait preuve de tout le doigté nécessaire à l’entreprise. Télescopage entre le politique normatif et la mystique religieuse facilement inflammable, la mise aux normes chinoises des lieux de cultes dont l’architecture arabe [1] est jugée trop ostentatoire par le parti, ne peut que provoquer des frictions.

Déjà, en avril 2020 une « fuite » avait brièvement fait paraître sur WeChat avant que la censure ne l’efface, la photo d’un document interne émis par la Commission des affaires ethniques et religieuses du Sichuan, révélant à quel point en haut lieu l’administration avait conscience des risques de troubles potentiels liés à l’entreprise de « transformation-altération  » des lieux de culte.

Intitulé « Note sur la “rectification - 整顿 - “ des mosquées de style arabo-musulman - 关于整顿‘阿拉伯式’清真寺的通知 », le document appelait à veiller à la stratégie et aux méthodes 手段和策略 pour éviter les « controverses 矛盾 » et les « troubles 动 乱 »

La sensibilité de la population musulmane est d’autant plus à fleur de peau que Najiaying se trouve à moins de 100 km au nord de Shadian 沙甸. Dans cette région en juillet - août 1975, une année avant la fin de la révolution culturelle, eut lieu, dans sept villages alentour, le massacre par une division de l’APL envoyée par Pékin de près de 2000 musulmans Hui y compris 300 enfants [2] qui tentaient de forcer l’ouverture des mosquées que le parti avait fermées.

Une longue histoire de crises et de répressions.

Fidèles Musulmans dont la plupart sont des Hui, en prière à l’intérieur de la mosquée de Shadian.


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Ces réminiscences renvoient à l’histoire heurtée entre le pouvoir central et la province du Yunnan où les traces de l’Islam arrivé avec les commerçants arabes et perses par les routes de la soie durant la dynastie Tang sont restées vivaces. Les « Hui » minorité sinisée mais restée musulmane, au nombre d’un million, continuent à fréquenter le millier de mosquées de la province dont la construction remonte à plusieurs siècles.

Celle de Najiaying a commencé en 1370 sous les Ming. A Shadian, la grande mosquée – la ville en compte une dizaine au total – fut construite en 1684, sous les Qing selon un style copié de la mosquée Nabawi, deuxième mosquée la plus sainte de l’Islam. Assez vaste pour accueillir dix mille fidèles, elle comporte un dôme de plus de 20 m de haut et quatre minarets de 93 m.

Avant le massacre de Shadian, les discriminations dont furent victimes les Hui de la part de l’administration impériale furent à l’origine de révoltes, elles-mêmes réprimées brutalement. En 1839, le massacre des Hui à Mianning – 300 km au sud-ouest de Kunming près de la frontière birmane – fut perpétré par des milices de migrants Han et la complicité des fonctionnaires locaux. Près de 2000 Hui furent tués.

Selon D. Atwill pour attester que la répression avait en réalité un but de nettoyage ethnique Ma Wenzhao, un musulman de Mianning 緬甯 (aujourd’hui Lincang 临沧) s’était rendu à la cour impériale pour demander justice face aux autorités qui tentaient d’accréditer l’idée d’un différend ayant dégénéré :

« S’il s’agissait d’une simple querelle, pourquoi a t-on massacré les femmes enceintes et les jeunes garçons ? Pourquoi seuls les Hui, hommes ou femmes, jeunes ou vieux furent-ils blessés ou tués à l’exception des Han tous épargnés ? » (David G. Atwill, The Chinese Sultanate : Islam, Ethnicity, and the Panthay Rebellion in Southwest China, 1856-1873, Stanford, Stanford University Press, 2005).

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Pour Atwill, le massacre de Mianning marque un tournant lié à l’augmentation de la population Han, ferment de la haine ethnique, attisée par les fonctionnaires locaux dont beaucoup manquaient de bienveillance à l’égard des Hui.

L’intolérance atteint son comble quand, en 1845, par simple prévention d’une rébellion anticipée par l’administration locale, plus de 8000 Hui furent massacrés à Baoshan 保山 (Yongchang 永昌 sous les Ming), située à 400 km à l’ouest de Kunming, entre la frontière de la Birmanie et le Mékong qui, à cet endroit, s’appelle le Lancang Jiang 澜沧江.

Par la suite les tensions ne se sont pas apaisées, mais elles ne furent plus aussi radicalement et seulement attisées par des haines ethniques ou religieuses.

Certains Hui proches du pouvoir impérial se sont même opposés à leurs coreligionnaires nouveaux arrivants, tandis que réapparurent les symptômes d’opposition féroce à la dynastie mandchoue vue par les Han comme étrangère. Dans un contexte de disette économique, l’alchimie des défiances, des peurs et des rancoeurs conduisit progressivement à la révolte des Panthay (1856-1873).

Survenue en même temps que le soulèvement des Taiping (1851-1864), et des Nian (1851-1868), achevée moins de quatre décennies avant la révolution de 1911, elle fut un des symptômes catastrophiques de l’affaiblissement des Qing.

Pour Du Wenxiu 杜文秀 (1823-1872), chef musulman originaire de Baoshan, qui se faisait appeler Sulayman ibn Abd ar-Rahman, les Mandchous étrangers à la Chine devaient être privés de leur mandat impérial.

Dans cette impitoyable compétition de pouvoir et de souveraineté, Du (杜) qui pendant la révolte des Panthay s’institua chef de l’État séparatiste musulman de Dali (1856-1873) où il avait promu l’usage de l’Arabe dans les écoles coraniques locales, fut balayé par la répression et décapité alors qu’il tentait de se suicider.

Pour mieux mesurer cette sensibilité religieuse enracinée, il faut aussi se souvenir que, dans la région de Najiaying, 380 km au sud-est de Dali, les traces musulmanes académiques puisent toujours dans l’héritage intellectuel et spirituel de Muhammad Ma Jian 马坚 (1906 – 1978).

Natif de Shadian, éduqué à l’Islam dans la province du Ningxia, il fit partie des premiers intellectuels musulmans envoyés en 1931 étudier au Caire après la chute de l’Empire, alors sous le coup de l’invasion japonaise. Grâce aux « Frères Musulmans », il publia en Arabe une histoire de l’islam en Chine, puis traduisit les « Analectes  » de Confucius. Il est toujours l’un des traducteurs les plus reconnus du Coran en Chinois.

Élu membre de la Conférence Consultative du Peuple Chinois, après la victoire de Mao en 1949, il devint un des traducteurs officiels du régime. En 1958, il avait été l’interprète de Zhou En Lai à la Conférence de Bandung. Moins de vingt ans plus tard et deux années avant sa mort, membre éminent, mais sans pouvoir de la Haute assemblée chinoise de l’appareil communiste, il dut assister sans réagir au massacre de Shadian, sa ville natale par les troupes maoïstes.

Note(s) :

[1En août 2014, François Danjou avait déjà souligné que dans la province du Zhejiang, l’ostentation religieuse des édifices chrétiens (dimension des croix peintes en rouge, grandiloquence des églises à l’esthétisme douteux tranchant avec l’environnement urbain, plus proche de la provocation politique que du symbole religieux apaisant) fournissait des prétextes aux « mises aux normes » architecturales par l’administration locale : lire Méfiances, incompréhensions et raidissements.).

Pour autant, à Shadian, la réalité est qu’avec ses quatre minarets de plus de 90 m, sa voute haute de 42 m, son vaste dôme de 20 m de diamètre, la mosquée, dont la construction a commencé en 1684 et dont les derniers travaux furent achevés vers le milieu des années 2000, n’est pas seulement ostentatoire pour cette région encore rurale. Elle est aussi esthétique.

[2Officiellement, le Parti ne reconnaît que 800 victimes dont les tombes sont rassemblées autour d’un mémorial érigé par l’appareil à titre de contrition. Mais, compte tenu des tactiques employées qui mirent en œuvre des lance-flammes, des mortiers lourds et des bombardements aériens ayant détruit plus de 4000 maisons, il faut craindre que le bilan soit très sous-estimé.


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