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Bruits de ferraille en mer de Chine de l’Est. Chronique d’un nationalisme enflammé et contrecoups

Isolée face à l’Occident, la Chine puissance commerciale, n’est pas seule.

Pour Pékin qui voit se resserrer une solidarité navale à ses portes, bientôt rejointe par un important déploiement de navires britanniques (lire le § « Le retour sur ses traces de la Royal Navy » de notre article : Chassé-croisé de navires de guerre dans la zone « Indo-Pacifique ») surgit le spectre de l’isolement stratégique, dont le dernier indice en date pourrait être que même l’Allemagne, pourtant depuis longtemps très proche de Pékin, a elle aussi décidé de dépêcher un navire de combat dans la zone.

Avec la caution de Berlin apportée à la stratégie IndoPacifique qui fait suite aux crispations anti-chinoises en Suède et Norvège attisées par l’agressivité des ambassadeurs de Chine, sur fond de raidissement anti-chinois de la Commission et du parlement européens, Pékin perd, au moins pour l’instant, le contrepoids européen à Washington qu’elle cherche à activer depuis son livre blanc sur l’Europe en 2003.

Il y eut d’autres déclarations chinoises de politique générale sur l’Europe, mais cette première signalait clairement l’idée chinoise qu’une Europe unifiée pourrait constituer un élément d’équilibre face à l’Amérique. On y lisait notamment qu’avec l’UE, devenue une « communauté fortement intégrée », la Chine n’avait pas de différend majeur et qu’aucune des deux parties ne se sentait menacée par l’autre. Suivait une longue liste de coopération possibles dont la richesse et la variété n’avaient rien à envier aux échanges avec les États-Unis.

La progressive montée des aigreurs avec l’Europe.

Mais au fil des déclarations suivantes, notamment après l’insistant refus européen d’accorder le statut d’économie de marché à la Chine et de lever l’embargo sur les ventes d’armes au milieu des différends à propos du Tibet, le ton se modifia notablement.

Dans un papier du Centre Asie de septembre 2016 (pdf) Kerry Brown, à l’époque à la tête du centre de recherche de l’UE sur la Chine, écrivait que dans le Livre Blanc de 2014, il était « toujours question de réciprocité, mais selon les termes de la Chine et non plus ceux de l’Europe. » (…) « Les deux devaient travailler en tant que partenaires égaux, et non pas dans la position de la Chine sommée d’apprendre de l’Europe à la manière d’un élève du maître. »

Sur le sujet de la coopération politique, à côté de l’exigence incontournable de la reconnaissance « d’une seule chine », on pouvait lire l’injonction faite à Bruxelles de juger de la question des droits de l’homme de manière « plus objective et plus équitable » et de « cesser d’utiliser des cas individuels pour interférer dans la souveraineté judiciaire et les affaires intérieures de la Chine. » La déclaration suivait d’une année l’arrivée de Xi Jinping à la tête du parti et de la Chine et annonçait déjà le repliement souverain de l’appareil sur « les caractéristiques chinoises » du 19e Congrès, trois ans plus tard.

Enfin s’il est vrai que les tensions stratégiques montent avec les pays occidentaux et le Japon, il faut cependant se garder d’assimiler la césure stratégique à un rideau de fer. La puissance de la Chine reste assise sur son commerce, précisément avec l’Occident. Selon les statistiques des douanes américaines, sur les quatre premiers mois de l’année 2021, le commerce sino-américain a fortement augmenté comparé à la même période 2020.

Sur fond d’excédents commerciaux et de défiance anti-occidentale.

La hausse est non seulement le fait de l’augmentation de +44% des exportations de la Chine ayant atteint le chiffre record en seulement quatre mois de 973,7 Milliards de $, mais également de ses importations qui ont bondi de +31,9% à 815 Mds de $.

En arrière-plan, stagne toujours l’insistant déficit commercial structurel américain. Uniquement au cours des quatre premiers mois de 2021, il a explosé jusqu’à 157,91 milliards de $ contre 55,65 Mds de $ au cours de la même période en 2020, soit une hausse de +183%.

Avec l’UE, les tendances sont les mêmes, mais un ton en-dessous. En 2020, le commerce bilatéral Chine – Europe a atteint 587 Mds d’€ (716, 7 Mds de $) avec là aussi un déficit commercial structurel de 180 Mds d’€ (220 Mds de $). Au bilan et en moyenne, le déficit commercial structurel des Occidentaux - (États-Unis et UE) face à la Chine est chaque année de plus de 300 Mds de $.

Enfin, dernier point, isolée stratégiquement par l’Occident et le Japon, avec cependant la sérieuse nuance commerciale rappelée plus haut, la Chine n’est pas sans appuis internationaux.

Le premier est Moscou, lié à la Chine par d’importants contrats de gaz et une commune méfiance de l’Amérique. Les autres appuis de Pékin sont hétéroclites, souvent autocrates et en difficultés économiques. Ils soutiennent la Chine dans l’actuelle controverse à propos du traitement infligé aux Musulmans du Xinjiang.

Nombre d’entre eux sont liés à Pékin par des prêts prodigués par les banques chinoises ou/et des projets d’infrastructure, développés par des compagnies de constructions également chinoises [3].

Préoccupantes menaces militaires directes.

Pékin n’a pas réagi officiellement à l’exercice aéronaval et terrestre au Japon. Mais le 12 mai, le Global Times, hésitant entre l’ironie, l’affirmation de puissance et la menace, analysait avec précision les motivations et les intentions de chacun des participants.

Après avoir minimisé l’importance jugée symbolique de l’exercice, sans réelle signification militaire, par des acteurs soit trop faibles ou aux objectifs divergents, l’article, citant plusieurs experts militaires chinois, passait en revue les participations du Japon, de la France et de l’Australie.

Accusant sans surprise le Japon d’avoir rallié une coalition militaire pour, en pleine pandémie, créer des troubles dans un schéma de guerre froide, les auteurs qui lui rappelèrent son histoire militaire et sa défaite, lui suggérèrent de mieux apprendre de sa propre histoire pour « ne pas laisser renaître son instinct militariste. »

A propos de l’implication de Paris, les auteurs montrent qu’ils sont au fait des débats en France sur le danger de s’impliquer à si longue distance avec le « Quad » et les États-Unis.

« Quant aux navires français », disent les auteurs, « ils ont effectué ce long périple, uniquement par souci de s’aligner sur Washington » (...) « S’il est vrai que la France a des intérêts stratégiques dans le Pacifique sud y compris l’île française de la Réunion dans l’océan Indien et la Polynésie française, en revanche, dans la zone du Pacifique occidental, elle n’a aucun intérêt et encore moins face à la Chine ».

Et, indice que les stratèges chinois épluchent tout ce qui s’écrit sur le sujet, évoquant au passage eux-mêmes l’hypothèse d’une guerre, l’article spéculait sur l’attentisme probable de la France : « Si un conflit militaire éclatait dans la région, la France attendrait de voir ».

En revanche, l’analyse ajoutait aussi que, compte tenu des critiques françaises contre l’expansion de l’OTAN vers l’est de l’Europe, Paris pourrait même empêcher l’OTAN de s’impliquer en Asie. Une analyse aléatoire, conférant à la France une influence qu’elle n’a pas.

Enfin, évoquant l’Australie, le ton devenait à la fois méprisant et menaçant : « Ses forces armées sont trop faibles pour défier militairement la Chine. Si Sydney osait participer à un conflit dans le Détroit de Taïwan par exemple, elles seraient parmi les premières touchées. L’Australie qui se trouve à portée des missiles balistiques DF-26, ne doit pas s’imaginer qu’elle pourrait se cacher de la Chine si elle la provoquait. » [4].

Quel que soit l’angle de vue, l’apparition dans la presse chinoise qui reprend les déclarations d’experts militaires officiels, d’un discours de représailles par missile balistique, doit être considéré comme une alerte. Articulé à la fois au désir de puissance globale et de réparation historique, le nationalisme de l’appareil flattant l’opinion et attisé sans mesure par l’actuelle direction porte un risque important de dérapage.

Même s’il est exact que la menace militaire directe n’est pas nouvelle, notamment contre Taïwan ou contre les États-Unis , - en novembre 2013, au moment de la publication des limites de sa zone d’identification et défense, Pékin menaçait d’abattre tout aéronef qui la franchirait -, il n’en reste pas moins que le chantage balistique, éventuellement nucléaire contre un État au prétexte qu’il demande des comptes sur la gestions initiale de la pandémie, franchit une nouvelle limite de l’expression de puissance.

Considéré sous l’angle de la politique intérieure chinoise où les critiques sont toutes mises sous le boisseau, mais pas éteintes, le durcissement militaire et nationaliste dessine la perspective d’un sérieux retour flammes en cas de déboires.

Note(s) :

[3Afrique : Algérie, Angola, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, République Démocratique du Congo, Égypte, Érythrée, Gabon, Nigeria, République du Congo, Somalie, Soudan, Sud-Soudan, Zimbabwe, Togo, Comores ; Moyen-Orient : Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Syrie, Émirat ; Asie du sud : Pakistan ; Asie Centrale : Turkménistan, Tadjikistan ; Asie du Sud-est : Cambodge, Laos, Myanmar, Philippines ; Amérique du Sud / Centrale : Bolivie, Cuba, Venezuela ; Europe : Biélorussie ; Asie de l’Est : Corée du Nord.

[4La portée des missiles DF-26 东风-26 (vent d’est), apparus pour la première fois lors d’un défilé de la fête nationale en 2015, est estimée à 5000 km par les services de renseignement occidentaux. Capable d’emporter une tête nucléaire, il pourrait en effet menacer tout le nord de l’Australie, y compris le centre urbain de Darwin.


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