›› Chronique

La logique que la Chine coopère en pays tiers, notamment en Afrique avec Paris, circule depuis plusieurs années dans les cercles d’analyses. Elle a d’abord été gênée par la volonté chinoise de faire cavalier seul le long de ses routes de la soie. Pour réduire son exposition aux critiques, Pékin s’est finalement rangé à l’idée de s’associer à Paris. Mais la divergence des concepts et les luttes d’influence politique demeurent. Elles handicapent la recherche des projets communs.
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Depuis la mi-février Pékin et Paris jouent à cache-cache à propos d’un accord de coopération pour développer conjointement des projets dans des pays tiers, dans le cadre des « Nouvelles Routes de la soie ». La dernière déclaration commune sur ce sujet date de la visite en France de Li Keqiang en juin 2015.
Elle couvrait déjà un vase champ d’application dont Mahieu Duchatel, Directeur des programmes Asie de l’Institut Montaigne avait détaillé l’ampleur. Visant en priorité « les énergies renouvelables et tous les projets contribuant à la lutte contre le changement climatique », elle touchait aussi plus classiquement « à l’agriculture, à la sécurité alimentaire, aux infrastructures et à l’énergie ».
Les diplomates français disent regretter le silence de la partie chinoise. Ce n’est pas tout à fait juste. Lors du passage à Paris de Xi Jinping en mars 2019, les deux Présidents avaient déjà annoncé un accord sur des projets communs dont la valeur globale dépassait « plusieurs Milliards d’€. »
Déclaration surprise de la CNRD, malentendus et non-dits.

La photo des emblèmes nationaux chinois et français illustrait un article du China Daily en anglais du 15 février, faisant l’éloge de la coopération franco-chinoise en pays tiers. Il allait même jusqu’à proposer l’utilisation d’un système de paiement déconnecté du dollar et de l’Euro par l’adhésion des banques françaises au système de paiement interbancaire transfrontalier en RMB.
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Mais alors que les deux n’avaient plus communiqué sur le sujet voilà que, sans concertation avec Paris qui, apparemment n’avait pas prévu de s’afficher publiquement sur la question, le 14 février, la Commission Nationale pour la Réforme et Développement (CNRD) annonçait que « récemment » elle avait conclu un accord avec Bercy pour coopérer dans des pays tiers, sur sept projets d’une valeur globale de 1,9 Milliards de $.
Incidence remarquable, la communication de la CNRD confirmée au passage le 17 février par le porte-parole du Waijiaobu qui n’a pas donné de détails [1] exprimait une opinion laudative des capacités industrielles françaises tout en soulignant les avantages d’une coopération franco-chinoise sur les marchés tiers.
Pour la CNRD, « les entreprises françaises avaient un avantage unique dans la “fabrication de pointe“, la protection de l’environnement et l’ingénierie industrielle, tandis que les Chinoises avaient acquis une solide expérience dans la construction d’infrastructures de base (énergie et transport), la production d’équipements industriels (travaux publics, chaînes d’assemblage) à quoi le communiqué ajoutait avec une sérieuse dose de mauvaise foi pour un pays dont la « toile » est contrôlée par le département de la propagande, “l’utilisation d’Internet“. »
Étrangement, le compte-rendu de l’Élysée de l’échange téléphonique du 16 février entre Xi Jinping et Emmanuel Macron n’évoquait pas la question, la conversation ayant seulement porté sur la crise ukrainienne et les différents sujets de la coopération bilatérale (aéronautique, nucléaire civil, spatial, ouverture du marché chinois à la filière agricole française, suivi de la levée de l’embargo chinois sur le bœuf).
En réalité ces dissonances cachent une tension. Si la volonté de coopération exprimée par Pékin traduit la prise de conscience que son « cavalier seul » pourrait créer des contrefeux, notamment en Afrique quand les accusations de « répliquer les méthodes coloniales » rencontrent un écho chez les acteurs locaux, à Paris on ne veut pas donner le sentiment que les accords sur les projets puissent être interprétés comme une caution apportée sans réserve à la vaste entreprise chinoise des Nouvelles Routes de la soie.
Au contraire, souligne Marc Julienne, chercheur à l’IFRI, la discrétion de Paris révèlerait l’intention française – NDLR peut-être naïve - de pousser Pékin à plus de transparence et à mieux conformer son action aux normes écologiques et sociales.
Note(s) :
[1] Il est remarquable que l’ampleur des projets de la coopération franco-chinoise inscrite par le porte-parole à la fois dans le cadre du « partenariat stratégique » et dans celui, à l’étage subalterne de la coopération « infranationale » directement entre les entreprises, évoquait aussi le point insolite rarement mentionné dans les relations franco-chinoises d’une adhésion des banques françaises au système de paiement interbancaire transfrontalier en RMB. L’allusion inscrit directement la relation franco-chinoise dans le paysage plus large de la lutte contre la prévalence du Dollar et dans celui des sanctions à la Russie.
La déclaration non confirmée par la partie française stipulait que « la coopération franco chinoise donnerait l’exemple aux autres pays de la zone euro pour qu’ils acceptent le yuan comme monnaie de réserve et diversifient leurs réserves de change afin d’éviter les risques financiers ». Lire le compte-rendu de l’ambassade de Chine en France.