›› Chronique

La rencontre de Hanoï terminée par le départ abrupt de Trump recèle peut-être un potentiel de progrès. Elle a en tous cas été l’occasion de préciser pour chacune des parties le prix à payer des concessions. Pour Pyongyang plus de clarté et de transparence à propos du complexe nucléaire de Yongbyon et au-delà crédibiliser sa promesse d’abandon du nucléaire militaire. Pour Washington sa disponibilité à maintenir le moratoire sur les manœuvres militaires de l’alliance et à lever les sanctions en échange d’une dénucléarisation par phases, contrôlée par l’AIEA.
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Le 28 février à Hanoi, D. Trump a brutalement mis fin (« sans acrimonie » dit-il « friendly walk-away ») à sa 2e réunion au sommet avec Kim Jong-un. La raison avancée par la partie américaine était que Pyongyang demandait la suppression totale des sanctions, « ce qui était impossible » a dit Trump lors d’une conférence de presse avant son départ. « Parfois il est préférable de couper court. Mieux vaut faire les choses correctement que dans la précipitation ».
Au-delà de l’avalanche des appréciations sur « la méthode Trump » qui tient du vandalisme diplomatique et choque beaucoup les diplomates habitués aux « éléments de langage » effaçant les aspérités, le plus intéressant de la séquence Hanoi est assurément ailleurs que dans cette rupture iconoclaste.
Hanoï un succès ou un échec ?
Premier constat : comparés à ceux de la rencontre de Singapour le 12 juin dernier, les commentaires officiels à Moscou et Pékin et ceux des politiques, experts et intellectuels américains étaient à fronts renversés.
Après Singapour, la Chine et la Russie faisaient l’éloge de Trump, tandis qu’à Washington on le traitait de naïf superficiel, « roulé dans la farine » par Pyongyang. Cette fois les critiques fusent depuis Moscou et Pékin, mais une partie de « l’establishment » américain avec qui le Président est pourtant à couteaux tirés, lui donnait crédit de n’avoir pas cédé à la tentation d’un accord médiatique et sans substance.
Il y eut certes les attaques de Mike Boot ciblant « l’hubris et l’inexpérience de Trump » dans le Washington Post du 28 février. Mais, le même jour, dans Foreign Policy, Peter D. Feaver professeur de Sciences Politiques, habituellement critique des légèretés inconsistantes de la diplomatie de Trump, le créditait de plusieurs points positifs.
La rencontre n’avait bien sûr pas été un succès. Mais elle n’était pas non plus un échec. L’image de brutalité diplomatique de Trump s’était certes aggravée, mais en même temps, la rupture « avait » – écrit Feaver – « augmenté les chances d’un bon accord avec Pyongyang. »
Il explique qu’après avoir démontré que la partie américaine n’était pas prête à accepter toutes les requêtes de Kim, Trump avait aussi fait preuve de mesure, laissant la porte ouverte à d’autres négociations. Non sans voir critiqué sa trop grande complaisance à propos du décès du jeune Warmbier, il le crédite « d’avoir mis fin à la rencontre en des termes élégants et pleins d’espoir. »
A Pékin et Moscou, en revanche, c’est le dénigrement qui tient le haut du pavé, avec cependant la claire volonté chinoise de rester optimiste, moins évidente à Moscou.
Alors qu’après Singapour le Parti Communiste chinois et Poutine avaient loué le pragmatisme et le courage de Trump, le 1er mars, le Global Times à Pékin titrait sur le manque de préparation du sommet par les deux parties, arguant que Washington avait mal interprété les demandes de Pyongyang de lever les sanctions. Kim et Trump étant clairement en désaccord sur la dimension même de la dénucléarisation et le processus à adopter.
Malentendus et intentions cachées.

Après le départ impromptu de Trump, la partie nord-coréenne a convoqué au milieu de la nuit une conférence de presse pour contredire ses déclarations. Sur la photo (AFP- Jiji) publiée par le Japan Times, Ri Yong Ho, ministre des AE et Choe Sun Hui, directrice générale du bureau Amérique du Nord du ministère nord-coréen des Affaires étrangères. Le ministre dont il faut noter qu’il n’adopta pas un ton agressif, précisa que Kim avait proposé de démanteler le site de Yongbyon en échange d’une levée partielle des sanctions. Il oublia de mentionner que durant le sommet Kim est resté flou sur l’extension réelle du site de Yongbyon. QC avait déjà évoqué Choe Sub Hui dans une note du 24 août 2017 : Corée du Nord. Le jeu croisé des menaces et du dialogue. Pékin spectateur de premier rang, Washington à la manœuvre.
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Les dissensions entre Pyongyang et Washington à propos du sommet sont le deuxième constat clairement mis en évidence par une conférence de presse donnée bien après le départ de Trump, en urgence et au milieu de la nuit du 28 au 1er mars, par le MAE nord-coréen Ri Yong-ho.
Le but était de contredire les affirmations de la conférence du Président américain. « Nous n’avons pas exigé l’arrêt complet des sanctions, mais seulement celles imposées en 2016 et 2017 qui pèsent sur la vie quotidienne du peuple ».
Ri ajouta qu’en contrepartie Kim avait proposé de promettre par écrit de cesser ses tests missiles, de démanteler définitivement le site nucléaire de Yongbyon et de détruire les stocks d’uranium et de plutonium sous la vérification d’experts américains.
Mais ces controverses publiques par lesquelles la partie nord-coréenne chercha à rependre la main, n’ont fait qu’effleurer l’iceberg des dissensions cachées entre Pyongyang et Washington, dont certaines touchent aussi aux malentendus entre Pékin et la Maison Blanche, tandis que d’autres sont l’objet de controverses entre le système militaro-industriel américain et Trump lui-même.
1. Pour l’heure, Washington qui sait bien que Yongbyon n’est pas le seul site nucléaire actif en Corée du Nord, considère que la proposition de Kim est un leurre. De fait les photos satellites identifient au total 7 sites nucléaires en plus de celui de Pyongyang et 4 sites missiles. Voir le document publié la veille du sommet par Nikkei Asian Review.
A cela s’ajoute le fait que la désignation « Yongbyon » est elle-même floue.
Situé à 100 km au nord de Pyongyang, ses limites géographiques, scientifiques et universitaires sont physiquement imprécises entre, le laboratoire de recherche lui-même, le réacteur ayant produit le plutonium de l’explosion de 2006, arrêté sous contrôle de l’AIEA en le 18 juillet 2007, puis remis en route le 19 septembre 2008.
Le site est complété par ses extensions universitaires connues ou secrètes, le tout sur un site comprenant 300 infrastructures dont un rapport américain de l’université de Stanford explique qu’il est en extension en dépit de la détente en cours.
2. Le complexe militaro-stratégique américain, John Bolton en tête, très sceptique à l’égard de la bonne foi nord-coréenne, considère que l’arrêt des manœuvres militaires de l’alliance conjointe n’est pas une option durable, alors que pour Pyongyong et Pékin, il est la contrepartie du moratoire nord-coréen sur les expériences nucléaires et les tests missiles.
Dans une interview à chaud du 28 février, Sue Mi Terry et Lisa Collins du CSIS estimaient que l’arrêt des manœuvres au-delà du printemps 2019 affaiblirait gravement la capacité de dissuasion de l’alliance face au Nord et réduirait la marge de négociation de la Maison Blanche.
3. Aux yeux de Pyongyang et de Pékin, un accord final conduisant à un traité de paix devrait être accompagné du démantèlement de l’Alliance entre les États-Unis et la Corée du sud et le départ des troupes américaines, alors que pour Washington la question qui n’est pas liée à la Corée du Nord, n’est pas négociable.
4. Pékin qui souhaite rester dans la course de ce processus dont Washington détient la clé, s’est, depuis Singapour fait l’avocat d’un allègement progressif des sanctions, concession que Washington rejette tant que la dénucléarisation n’aura pas été dûment vérifiée.