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En Europe Centrale et Orientale, pour la Chine, le vent a tourné

Récemment, deux diplomates de haut rang du Waijiaobu ont fait le tour des capitales du Centre et de l’Est européen à un rythme accéléré. La première, Huo Yuzhen, représentante spéciale pour la région a commencé son périple du 18 au 30 avril en République tchèque, avant de se rendre en Slovaquie, en Hongrie, en Croatie et en Slovénie.

Du 1er au 4 mai, évitant la Lituanie récemment en froid avec Pékin pour cause de relations avec Taïwan (lire notre article La Lituanie sous le feu de la vindicte chinoise à propos de Taïwan), elle était en Estonie et en Lettonie. Enfin, du 5 au 7 mai, elle terminait ses visites en Pologne.

Pendant ce temps, au sud, du 12 au 19 avril, Ma Keqing, ancienne ambassadeur en Finlande et aux Philippines visitait la Grèce et l’Albanie.

Pourquoi cet empressement diplomatique au pas de charge ?

La vérité est que dans la plupart des pays d’Europe Centrale et Orientale a surgi un désenchantement à l’égard de Pékin et à son schéma de relations 16 +1 (17+1 avec la Grèce).

Bien que selon les données chinoises le commerce entre la Chine et la région ait augmenté de 85% au cours de la dernière décennie, le déséquilibre commercial s’est creusé et les investissements chinois sont restés faibles par rapport aux promesses de Pékin et comparées à ceux de l’Europe qui après une latence, a fini par réagir à ce que Bruxelles a perçu comme l’intrusion d’un cheval de Troie sur ses arrières.

La vigueur de la réaction européenne se lit dans le fait que, fin 2021, la valeur cumulée des transactions dans les 10 États de l’UE participant au schéma 16 +1 chinois, s’élevait à 13,8 milliards d’euros. Sur ce montant, cent millions d’€ concernaient des échanges avec la Lituanie qui a récemment tourné le dos à Pékin pour considérer une relation avec Taïwan.

Avec la République tchèque et la Slovaquie, Vilnius exprimait en effet un malaise politique. Lire : Le sénat tchèque à Taïwan. Pékin perd son calme. Le fossé se creuse entre l’Île et les Chinois. A la fureur de Pékin, les trois se sont tournés vers Taipei, avec qui ils partagent des valeurs démocratiques.

La coercition économique punitive infligée en représailles par Pékin à la Lituanie ayant suivi cette décision, fut peut-être le facteur décisif qui a rendu l’engagement commercial avec la Chine moins attrayant. Lire : La Lituanie sous le feu de la vindicte chinoise à propos de Taïwan.

Dans une note datée du 5 mai, l’Institut MERICS doutait qu’à court terme, les efforts diplomatiques chinois pourraient renverser la tendance, d’autant que « l’alignement de Pékin avec Moscou » a élargi le fossé entre les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) et la Chine.

Comment en est-on arrivé là ?

Tout avait pourtant bien commencé. Le schéma 17+1 a débuté en avril 2012 par une rencontre à Varsovie entre le Premier ministre chinois de l’époque, Wen Jiabao, et des représentants de 16 pays d’Europe centrale et orientale, dont 11 membres de l’UE. Wen promettait des investissements d’infrastructures qui stimuleraient les économies régionales.

Pour la Chine, la région ouvrait un accès par le sud et l’Est aux marchés européens. Une année plus tard, les « Nouvelles Routes de la soie » de Xi Jinping donnaient de la consistance au projet de Wen Jiabao. Quand en 2019, la Grèce devint le 17e membre du schéma, la manœuvre a pris corps.

Le 11 novembre 2019, Xi Jinping était à Athènes pour négocier la prise de contrôle au Pirée d’un 4e quai de conteneurs par COSCO, le géant chinois du transport maritime. A cette époque, grâce au commerce chinois destiné à l’Europe centrale, le trafic du Pirée avait augmenté de 700% depuis 2008. Fin 2019, le port grec était déjà en passe de rattraper le port de Valence au rang de 1er port méditerranéen avec 5 millions de conteneurs par an.

En 2019, QC avait décrit l’ampleur globale de la manœuvre chinoise. « En même temps, COSCO avait négocié avec Hewlett Packard le déménagement au Pirée de son centre logistique depuis Rotterdam en lui faisant valoir les accès directs aux pays d’Europe Centrale et Orientale desservis depuis la Grèce par une voie ferrée construite par la Chine. » (…)

(…) « Acheminant vers l’arrière-cour de l’UE, à la fois les produits chinois débarqués au Pirée et les composants des ordinateurs HP destinées à la filiale d’assemblage taïwanaise de Foxconn installée en République tchèque, la liaison ferroviaire pénétrant au cœur de l’Europe par son flanc sud, devenait un des tronçons des « Nouvelles routes de la soie » dont l’activité était amplifiée par l’explosion du trafic maritime initié par COSCO. »

Suspicions, rancœurs et analyse des causes.

Pourtant quelques indices révélaient déjà que tout n’allait pas pour le mieux. Au Pirée, des voix plus sceptiques commencèrent à s’exprimer. A la mi-novembre 2019, peu après la visite de Xi Jinping, un responsable grec du port soulignait que les investissements chinois avaient certes apporté des emplois et un surcroît de revenus en taxes.

Mais il précisait avec aigreur que toutes les valeurs ajoutées commerciales (hôtels, centres commerciaux, terminal des croisières) étaient en totalité empochées par COSCO. Quant au droit du travail, les responsables syndicaux se plaignaient que les représentants chinois sur place le considéraient au mieux comme un parasitage inconfortable.

Au printemps 2020, cinq mois après le passage de Xi Jinping au Pirée, les affres de la Pandémie née à Wuhan contribuèrent à augmenter la distance avec les PECO. Un mois plus tard, en juin 2020, à l’exception notable de la Serbie, de la Grèce et de la Hongrie quatorze des pays du schéma 17 +1 étaient absents d’une visio-conférence sur les « Nouvelles routes de la soie » organisée par Pékin.

*

Pour expliquer ce qu’il faut bien appeler une rupture, l’Institut MERICS avance trois séries de raisons. La première est que la Chine n’a pas tenu les alléchantes promesses d’investissements à grande échelle, faites à la région. Leur stagnation s’inscrit dans un mouvement général de retrait chinois après le pic de 2016 où ils avaient atteint 43 Mds de $ pour toute l’UE.

Trois années plus tard, ils étaient retombés au niveau de 2012. La perspective était qu’en 2020, ils baisseraient encore. Dans les PECO, ils représentent aujourd’hui à peine plus de 1% du total des investissements destinés à l’UE.

Plus embarrassant, après plusieurs sommets 17 +1, a surgi chez les responsables des PECO, le sentiment d’une manœuvre superficielle où l’événement et la publicité qui l’entourait importait plus aux visiteurs chinois en quête de notoriété en Chine que le fond des dossiers.

La deuxième raison est politique et historique. Dans la mémoire des Européens de l’Est, la récente mise au pas de Hong Kong par la Chine a ravivé le poids du contrôle soviétique et leur propre combat contre l’oppression. En juillet 2019, en pleine visite du MAE Wang Yi, le Président Slovaque Zuzana Caputova était même allé jusqu’à critiquer la Chine pour le traitement infligé aux activistes des droits.

La troisième raison est stratégique. Elle est liée aux tensions qui montent entre la Chine et l’Occident. Concrètement, la réévaluation de la relation avec Pékin est associée à la guerre technologique entre les États-Unis et la Chine et aux embargos qui frappent Huawei. Suite aux pressions de Washington, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et l’Estonie se sont associées à l’interdiction d’utiliser les équipements du groupe chinois pour le développement de leur réseau 5G. Alertée par les tentatives chinoises de cyber-espionnage, la Lettonie a même désigné la Chine comme une menace pour sa sécurité nationale.

Alors que fermentaient les raisons de la rupture avec la Chine, une initiative venue de la Pologne et de la Croatie a porté un coup sévère à l’influence chinoise, dont elle est concurrente. En 2015, Zagreb et Varsovie qui furent rejoints par 12 PECO et appuyés par la Commission Européenne, les États-Unis et l’Allemagne, lancèrent l’Initiative des Trois Mers (en Anglais Three Seas Initiative - 3SI -).

Renversant la perspective stratégique habituelle de la région historiquement orientée Est - Ouest, le projet envisage d’améliorer la connectivité économique et commerciale dans le sens sud – nord, depuis la mer Noire et l’Adriatique au sud, jusqu’à la Baltique au nord.

Outre son importance géopolitique éventuellement destinée à freiner l’influence russe, premier souci de la Pologne encore exacerbé depuis la guerre en Ukraine, le projet 3SI est également une réponse aux Nouvelles Routes de la Soie chinoises qui, elles aussi, viennent de l’Est.

Le forum qui rassemble 12 pays Européens tous membres de l’UE, dont 9 PECO a contribué à stimuler les relations avec l’allié américain et avec l’OTAN, à freiner les perspectives économiques de la Chine dans la région et, disent les concepteurs, à faire obstacle à ses aspirations géopolitiques.

Pékin n’a cependant pas complètement perdu pied dans la région. Les relations étroites perdurent avec la Grèce, la Serbie et la Hongrie.


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