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Alors qu’en France les tests ADN sont juridiquement très encadrés, en Chine, à la suite des engouements américains, ils sont devenus une mode à la recherche de certitudes et l’objet d’un très lucratif marché. Les offres de tests sont disponibles sur internet à des prix défiant toute concurrence.
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Impossible d’ignorer le récent engouement des Chinois pour la dernière initiative de la « start-up » Genebox spécialiste des tests ADN. Pour seulement 3 $, elle propose à la fois la meilleure stratégie pour perdre du poids, améliorer la texture de la peau, prévenir des risques de développer un diabète ou un cancer, et même, de plus en plus en vogue, de retrouver les ancêtres ou de confirmer sa filiation aux Han.
Sise à Pékin, la « start-up » est l’une des nombreuses sociétés privées – plus d’une centaine selon un article de Bloomberg de novembre 2019 dont les ventes pourraient, disent les responsables, atteindre plus de 400 millions de $ en 2022.
En 2016, la Commission Nationale pour la Réforme et Développement, mois prudente que le législateur français et dont les références sociétales sont dans ce domaine lucratif plus proche des États-Unis, avait inscrit les tests génétiques dans le paragraphe « biologie » du 13e plan quinquennal (2016 – 2020). Trois ans plus tard, en 2019, déjà plus de 2,2 millions de Chinois avaient envoyé des échantillons de leur salive à des sociétés de tests ADN.
Le 11 décembre, Genebox fondée en 2018 déclarait avoir levé des dizaines de millions de $ par un tour de table organisé par Centrium Capital domicilié à Mumbai en Inde, spécialiste, entre autres, de la microfinance et dont les investissements ciblent le vaste marché des soins de santé.
Alors qu’en Chine, la plupart des tests sont toujours effectués à des fins médicales, l’offensive « marketing » des nombreuses sociétés de biotechnique proposant leurs tests génétiques par internet cible directement deux créneaux : les ascendances et l’estimation des risques de santé.
Genebox, entré sur le marché en 2018, n’est pas le pionnier chinois du secteur. Depuis 2017, 23Mofang basée à Chengdu a déjà investi le créneau. Avec un nom copié sur celui de la société américaine 23andMe, créée il y a 15 ans à Mountain View, véritable précurseur des tests ADN populaires, 23Mofang, propose depuis trois ans à ses clients des indices sur leurs risques de développer une maladie héréditaire.
Mais son créneau le plus lucratif objet d’une ferveur particulière est celui qui confirme les longues ascendances chinoises des clients. Le summum étant les tests qui les rattachent à Liu Bang, héros rebelle issu du peuple, tombeur des Qin et fondateur des Han.
Fureur commerciale et questionnements éthiques.

La soif de certitudes médicales et la quête d’identité et de racines font fureur à la suite des modes américaines. L’aventure n’en est qu’à ses débuts. Plongée dans les incertitudes vitales, elle est aussi une exploration des racines individuelles et une quête d’identité. Dans un État où le contrôle politique a été érigé en système, au mépris des considérations éthiques, elle porte un risque important pour les libertés individuelles et la préservation de la sphère privée. Ainsi, au ministère de la sécurité, des chercheurs tentent de restituer les visages à partir des tests ADN. Photo montage, New-York Times du 3/12/2019.
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Le discours commercial de 23Mofang n’a pas manqué cette aubaine. D’après la publicité de la société, 1,81% des Chinois – soit 25,3 millions – seraient des descendants de Liu Bang. Compte tenu de l’appétence pour la quête de racines historiques, avec un tel bilan, le « Business Plan » à venir de la société est assuré.
En 2017, 23Mofang facturait les tests entre 65 et 90 $ soit en moyenne seulement 25% du prix courant de l’époque pratiqué par la santé publique chinoise. Le surgissement des tarifs Genebox à 3 $ modifie brutalement le marché.
Le but n’est cependant pas de faire des analyses précises mais de capter l’attention du public avec des promesses spectaculaires et de perpétuer l’idée que le patrimoine génétique serait toujours déterminant.
A ce prix, la fiabilité des tests reste en tous cas à prouver.
Au plan médical s’il est vrai que la détection d’éventuelles prédispositions génétiques à certaines maladies est un progrès, force est de constater que la méthode de calcul comparatif qui ne considère qu’une partie des mutations génétiques connues, peut induire des erreurs.
Enfin, s’il est vrai que la recherche de racines ouvre un champ encore assez largement inexploré, en revanche, la quête de soi-même par le génome, en dehors de l’environnement et des expériences vécues, pourrait bien n’être qu’une utopie.
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Plus de 10 millions d’Américains – dont nombre d’Afro-Américains à la recherche de leurs ancêtres du Continent noir, ont déjà eu recours à un kit de test ADN pour connaître leurs origines et/ou leurs prédispositions à certaines maladies.
23andMe, AncestryDNA, FamilyTreeDNA et MyHeritage sont les principaux champions outre-Atlantique de ce nouveau marché dont l’arrière-plan philosophique est l’élimination des incertitudes vitales, la maîtrise des ascendances et la quête d’identité individuelle. L’appât du gain aidant, la soif de certitudes porte en elle les risques toujours plus grands de violation de la vie privée.
En France, ils seraient 100 000 à avoir cédé à l’engouement, alors que cette pratique est interdite. Acheter un test génétique sur Internet quand on réside en France est passible de 15 000 € d’amende et d’un an de prison.