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La culture « Sang 丧 », entre dérision, cynisme et rébellion

Quand les observateurs occidentaux évoquent la Chine, ils le font souvent en référence à sa puissance, soit que celle-ci est vue comme « une menace », soit qu’elle répond à un besoin de trouver ailleurs que dans les références occidentales un standard de succès dont les normes et le chemin seraient différents, articulés à d’autres références culturelles.

Le débat sur « l’altérité de la Chine » est aussi ancien que la sinologie et il ne sera pas clos de si tôt. D’autant que le pouvoir politique chinois vient lui-même de le relancer en traçant un chemin de développement « aux caractéristiques chinoises » à l’écart des standards occidentaux du droit et de la justice, rejetant aux calendes grecques les principes d’indépendance des tribunaux et des assemblées. Sur l’altérité de la Chine et des Chinois lire l’article de François Danjou, à propos de la querelle entre François Jullien et J.F. Billeter.

C’est peu dire que ce choix que l’actuel mandature, articulé à un puissant discours nationaliste, laisse dans l’ombre de lourdes vulnérabilités sociales et politiques internes. C’est la raison pour laquelle, par les temps qui courent, le viseur unique de la « puissance » dont certains s’effrayent quand d’autres y voient un salutaire contrepoids à l’omnipotence des États-Unis, manque une partie importante de la complexité de la société chinoise.

Une préoccupante dissonance.

Alors que le 19e Congrès unanimement aligné sur la pensée « des caractéristiques chinoises », somme de critères culturels définissant un schéma de développement à l’écart des « valeurs universelles » de la démocratie et du droit, s’est efforcé d’afficher une image de grande cohésion autour du « rêve chinois », un examen plus approfondi de l’état d’esprit d’une partie de la jeunesse met à jour quelques dissonances impossibles à passer sous silence.

Preuve que la psychologie des jeunes générations (380 millions de Chinois sont dans la frange d’âge de 18 à 35 ans) est au cœur des préoccupations du régime, le 15 août dernier le Quotidien du Peuple publiait un éditorial pour décrire et dénoncer la nouvelle mode de la « culture sang 丧 文化 sang wenhua » où le caractère « sang 丧 » (funérailles) imprime un tenace sentiment de désespoir à contrecourant de la musique de puissance et d’optimisme diffusée par le « rêve nationaliste de renaissance » qui fut, avec les « caractéristiques chinoises », l’épine dorsale idéologique du 19e Congrès.

Sur la « justice aux caractéristiques chinoises » et ses limites, lire : Une réforme judiciaire aux caractéristiques chinoises.

Décrivant la « culture sang », le journal officiel du régime hésitait entre la dérision et l’alarme ; finalement il concluait que le phénomène ayant un arrière plan désespéré et nihiliste, était un « opium mental » 精神鸦片. Après quoi, il exhortait les jeunes à se ressaisir « , levez vous 站起来, refusez de boire le « Thé Sang 拒绝喝丧 茶 », choisissez la voie juste 走正途 et, dans cette ère nouvelle, efforcez vous d’être à l’unisson de notre retour de puissance 自强。 »

Recruté par le régime, le média social Tencent a lui aussi lancé une contre offensive articulée autour du concept de « Ran – 冉 - » qui signifie « progressivement » et recèle l’arrière-pensée optimiste d’un lent rétablissement après une maladie ou une intoxication.

Les slogans de Tencent focalisent sur l’espoir d’un « long chemin de renaissance » comparé à la lente « 冉 » ascension du soleil dans le ciel. Un autre slogan qui renvoie à l’actuel mantra politique de renouveau dit « 每一次 探险 都是重生- toute expérience est une renaissance - »

Réminiscences rebelles de la « Beat Generation ».

Mais les exhortations nationalistes et les slogans politiques pourraient ne pas suffire à persuader cette partie de la jeunesse d’adhérer à la propagande du parti spéculant sur « le rêve chinois » auquel elle ne croit pas. Désabusée et saisie par un sentiment de désespérance mêlé d’autodérision, elle exprime des symptômes de désarroi mélancolique et désenchanté qui, à bien des égards, rappellent ceux de la « Beat Generation » aux États-Unis.

Culture de la désillusion « épuisée » (« beat signifie à bout de souffle, exténué, brisé) cette vision qui devint un puissant mouvement international, à la fois artistique et politique, avait ébranlé la société américaine à partir des années 50. Elle fut à l’origine des mouvements d’opposition à la guerre du Vietnam et de la remise en question de la culture de puissance et de succès du mythe américain et, par contagion, de l’Occident.

Elle a accompagné les « théories » de la « déconstruction » dont la racine fut la pensée complexe autour de la réalité de « l’Être » du philosophe allemand Heidegger affilié au parti Nazi et popularisée en France par Jacques Derrida et le sociologue Pierre Bourdieu dont toute l’œuvre fut une remise en question des modes de pensée logique des classiques grecs et romains.

Quand on lit les échanges sur les réseaux sociaux chinois autour du phénomène, on ne peut pas manquer de noter quelques similitudes avec le mouvement de la « Beat Generation », au moins dans les symptômes et l’attitude, même, si pour l’heure, ce qui n’est peut-être qu’une mode passagère est très loin d’avoir la puissance du courant de pensée « Beatnik » qui, en France, avait produit les contestations de mai 68.

L’ordre vertueux de la réussite à tout prix en question.

Il reste que la contestation de l’ancienne culture morale confucéenne de la vertu du travail articulée au respect des lignages familiaux paternalistes transparaît ça et là.

Zhao Zengliang 27 ans, jeune femme adepte de la culture sang écrit : « j’ai seulement envie de rester dormir au lit en attendant de me réveiller pour prendre ma retraite ». Elle a publié un livre où elle explique qu’elle rêve d’une vie où il serait possible de ne pas toujours évoquer le « succès dont les médias ne cessent de gaver la jeunesse ». Un autre internaute, moins élégant écrit « je “nique“ l’énergie positive ».

Un article de Reuter explique que l’attitude de relâchement désabusé adoptée par ces jeunes s’est inspirée d’une série télévisée des années 90 « j’aime ma famille 我爱我家 » où l’acteur vieillissant Ge You 葛优 qui joue un inventeur sans succès, reste allongé sur un divan les yeux dans le vague.

Ce qui, sur les réseaux sociaux, a lancé l’expression 葛优 躺 – Ge You Tang (« tang » signifiant « se coucher ») - devenu synonyme de « se vautrer »,position favorite des adeptes de ce nouveau nihilisme en vogue dans les maisons de « thé sang ».


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