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›› Société

La lutte contre le harcèlement des femmes fait son chemin en Chine

On pouvait légitimement s’interroger sur les chances du mouvement « Me too » en chine, dans une société politiquement rigide et lourdement marquée par ses traditions patriarcales. Et pourtant, avec un peu de retard, mais une étonnante vigueur, la lutte contre le harcèlement des femmes persiste et prend de l’ampleur.

L’année dernière, la police de Pékin avait annoncé la création de la première brigade d’intervention destinée à réprimer les « harceleurs » dans le métro. Depuis, elle a procédé à plus de 100 arrestations. L’initiative faisait suite à une enquête d’opinion du Quotidien de la jeunesse qui, en 2015, avait établi que plus de 50% des personnes interrogées - hommes et femmes – avaient subi un harcèlement dans un transport en commun, « le plus souvent des attouchements non consentis », dit un récent article du South China Morning Post.

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La prise de conscience est récente. A l’hiver 2015, 5 activistes qui s’apprêtaient à manifester avant la journée internationale des femmes du 8 mars, avaient été arrêtées à Pékin. Après avoir été interrogées sans interruption durant 24 heures par la police, elles avaient été retenues dans un centre de détention pendant un mois.

L’année dernière, au motif que la campagne créait de « l’anxiété dans le public », la police de Canton s’appliquait encore à réprimer un groupe de féministes qui tentaient d’afficher dans le métro des posters incitant les femmes victimes d’attouchements à porter plainte.

Mais cette année, les mêmes affiches fleurissent dans les métros de Pékin, Shanghai, Shenzhen et Canton appelant à la solidarité et au civisme contre les harceleurs. Les réseaux sociaux en font la publicité et les féministes chinoises applaudissent. Enfin, cet été, décision radicale qui, pour lutter contre le harcèlement, installe un apartheid discriminatoire, les métros de Shenzhen et Canton ont mis en service des voitures réservées aux femmes.

Dernière évolution, le 22 octobre on apprenait qu’après la plainte d’une étudiante, et l’embrasement des réseaux sociaux, l’université des techniques agricoles de la province de Jilin avait licencié un assistant accusé de conduite inconvenante au cours d’une séance de Karaoké.

Selon le South China Morning Post, il s’agissait du dernier incident d’une longue série d’accusations ayant mis en cause depuis 2017 des enseignants de plusieurs universités de Pékin (Beida, Renmin, Beihang), et de Canton (Sun Yat Sen). L’ubiquité des réseaux sociaux a même compromis l’affectation à l’Université Nationale de Taïwan d’un professeur d’anthropologie sino-thai accusé d’avoir harcelé de jeunes étudiantes chinoises alors qu’il enseignait à Shanghai et à Sydney.

Etonnante résilience du mouvement.

Au total, expliquent Maria Repnikova et Zhou Wei dans Aljazeera, plus de 20 intellectuels, personnalités des medias et enseignants ont été pointés du doigt et licenciés, tandis que les autorités ont promis de faire voter une loi anti-harcèlement par le parlement. Dans ce système très contrôlé, la résilience du mouvement est remarquable.

Initialement il a réussi à survivre grâce à la réactivité des réseaux sociaux et à l’activisme solidaire et inventif des avocats et des victimes qui contournèrent la censure par la mise en ligne de dessins montrant du riz (米 – mi -) donné à un lapin (兔 – tu -) homophones de « Me Too » ; il a ensuite utilisé les logiciels de cryptage des transactions de Bitcoin et des techniques telles « Blockchain », logiciel de stockage sécurisé des données ; tandis que des activistes anonymes ont créé un site « baptisé flocon de neige 雪花 新闻 » où les victimes sont encouragées à raconter leurs histoires.

A force de persévérance et d’ingéniosité technique, la vague s’est maintenue malgré la censure et la fermeture des sites des activistes et des ONG de l’égalité des sexes. Elle montre aussi que, plus que les aînés, les jeunes générations osent s’exprimer ouvertement contre les opinions établies et les institutions, d’une société encore très patriarcale.

Il est exact que le mouvement ne touche qu’un mince frange de l’élite intellectuelle, tandis que la masse s’intéresse plus aux scandales comme celui récent des vaccins frelatés ou à la lutte contre la corruption des cadres dont l’un des derniers épisodes en date a précisément frappé Lu Wei, n°2 du département de la propagande, grand maître de la censure du net.

Pourtant, il est probable que la dénonciation publique des harcèlements est irréversible, même si apparaissent des ripostes s’insurgeant contre les inévitables abus des dénonciations en ligne.

En contrepoint de la campagne est en effet né un mouvement adverse porté par certains intellectuels et professeurs. Exemple : Madame Liu Yu professeur à l’Institut de sciences politiques de Qinghua a notamment mis en garde contre les dénonciations abusives des réseaux sociaux, devenus, dit-elle, des tribunaux médiatiques, contraires au droit.

A la fois preuve d’un conflit de générations et signe de la contestation du mode de pensée conservateur dont la virulence ne peut que mettre le pouvoir mal à l’aise, Liu Yu s’est aussitôt attirée les critiques acerbes de Zhu Xi, activiste militante qui l’accusa d’être « déconnectée de la réalité ».


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