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Les BRICS jettent un pavé dans la mare des finances mondiales

Avant le sommet des BRICS à Fortaleza, Xi Jinping et le nouveau premier ministre indien Narendra Modi se sont rencontrés pendant plus d’une heure. En septembre Modi que Tokyo courtise autant que Pékin se rendra en visite officielle au Japon.

Une connivence anti américaine.

Alors que la décision survient au moment où, la Russie ayant été exclue du G8 après l’annexion de la Crimée, les relations de Moscou avec Washington sont plus que tendues, on ne peut que remarquer la similitude entre le raidissement des BRICS qui cible la désinvolture du Congrès américain et la répétition des critiques chinoises contre la politique de Washington en Asie orientale qui enflent depuis 2008 et se sont exacerbées après le 18e Congrès et l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe. S’il fallait trouver un liant à la connivence des BRICS, ce ressentiment anti-américain tiendrait une des premières places dans la panoplie des raisons qui poussèrent les 5 à sauter le pas envisagé depuis longtemps mais toujours reporté.

…de portée globale.

La création de la banque a été accompagnée par un traité établissant le fond de réserve et par une longue déclaration commune des 5, à la fois manifeste de politique générale en faveur du multilatéralisme, profession de foi pour le développement économique et les échanges commerciaux, facteurs de paix, et document technique d’organisation de la gouvernance financière mondiale.

Après avoir affirmé leur accord avec les principaux objectifs des NU, (développement, lutte contre la pauvreté et contre les causes du changement climatique), l’article 5 du texte, exprime une critique sans nuance contre le FMI et ses organismes annexes. « Créés dans un contexte de rapport de forces différent, les institutions de l’après-guerre ont été affaiblies dans leur légitimité et leur efficacité par l’utilisation abusive d’arrangements ad hoc et de mesures transitoires, le plus souvent au dépens du multilatéralisme ».

Dans ce contexte, les Cinq affirment être « un ferment important de la réforme des actuelles institutions vers un schéma de gouvernance mondiale plus représentatif et plus équitable, capable de générer une croissance mieux partagée source d’un monde prospère et pacifique ». Ces critiques qui s’adressent en priorité au Fonds Monétaire International sont répétées dans l’art 18, tandis que l’article 19 reconnaît en revanche le travail de la Banque mondiale.

Dans la rédaction on perçoit à plusieurs reprises la main de la Chine et de la Russie dans la dénonciation du terrorisme, la défense des entreprises publiques - critique indirecte adressée aux tenants du « tout marché » - et la nécessité exprimée de respecter les particularités sociales politiques et culturelles de chaque pays qui renvoie à l’exigence chère à Pékin de non ingérence dans la politique intérieure des États. Le document exprime également une appréciation du travail de l’OMC dans la résolution des conflits commerciaux, garantie de la stabilité des échanges internationaux.

Enfin, on ne peut que remarquer la volonté exhaustive de la déclaration, qui non seulement balaye tous les secteurs de l’activité humaine et tous les défis du monde, du terrorisme à l’espace en passant par le nucléaire, les énergies vertes, la prolifération, le cyber-espionnage, la sécurité alimentaire, les biotechnologies, les droits de l’homme ou la discrimination sexuelle, mais recense également les conflits de la planète, dont l’énumération donne l’occasion d’une profession de foi très utopique pour un schéma de résolution basé sur la bonne volonté, le respect mutuel, la confiance et l’observation de la charte des NU.

Questions sur les conditions d’attribution des prêts.

Au-delà des critiques de la domination américaine exprimées dans la mise en cause des institutions où pèse le poids de Washington, une question à la fois technique et politique surgit dans la plupart des commentaires : quels seront les critères d’attribution des crédits de la nouvelle institution ?

Il est déjà évident que la banque s’affranchira des critères d’ouverture dogmatique au marché, de privatisation des entreprises publiques ou d’abaissement systématique des tarifs douaniers qui, pendant des décennies, furent ceux du FMI, critiqués par nombre d’économistes de renom dont le prix Nobel Joseph Stiglitz qui accusent le Fonds d’assécher les économies et de provoquer des récessions.

Mais la Nouvelle Banque ira t-elle jusqu’à faire l’impasse sur les critères de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, qui dans nombre de pays en développement où ils ne sont pas respectés favorisent l’enrichissement d’une oligarchie qui pille les pays au lieu de le développer ?

Encore inapte à émettre sa propre monnaie du fait de la non convertibilité de la devise du principal contributeur, la Banque de Shanghai, dopée par les formidables réserves de la Chine aura probablement assez vite une force de frappe financière au moins égale à celle de la Banque Mondiale. Mais son plus difficile défi consistera à mettre sur pied un conseil d’administration suffisamment solide et indépendant capable de résister aux ingérences des membres dans la gestion des personnels comme dans l’attribution des crédits.

A défaut, l’institution sera assez vite confrontée aux complications bureaucratiques qui pèsent sur l’efficacité du FMI où la lourde influence de Pékin (70% du PNB des BRICS) remplacera celle de Washington et où les rivalités entre les membres installeront des obstacles politico-bureaucratiques et une guerre des lobbies générateurs de retards dans l’attribution des crédits.

Une volonté de compromis en dépit des graves différends.

Pour l’heure en tous cas, la désignation du siège de la Banque à Shanghai et la décision de nommer un président indien auquel succèdera par rotation un représentant des Cinq, montrent clairement la volonté de dépasser les frustrations de Pretoria qui espéraient abriter le siège de la Banque et les querelles historiques, culturelles et territoriales enkystées entre Pékin et New Delhi, également rivaux stratégiques en Asie. Ces bonnes intentions renforceront la crédibilité de la nouvelle institution financière et pourraient contribuer à bousculer l’inertie des anciennes structures de la gouvernance mondiale.

Le désir de compromis est également apparu dans l’empressement mis par Xi Jinping à rencontrer le nouveau premier ministre indien Narendra Modi dans un tête à tête de près d’une heure et-demie avant le sommet des BRICS. Le chef de l’État chinois aura ainsi été le premier dirigeant d’un grand pays à rencontrer le nouveau premier ministre indien après le report de la visite officielle de Modi à Tokyo initialement prévue début juillet et déplacée en septembre.

Auparavant le premier ministre indien avait reçu la visite du ministre des Affaires étrangères Wang Yi. Elle faisait suite à celle que Li Keqiang avait effectué à New Delhi au printemps 2013. Au programme de la rencontre de Fortaleza, les échanges commerciaux déséquilibrés en faveur de la Chine (31 Mds de $ de déficit indien en partie du aux obstacles mis par Pékin aux échanges de services). Ont également été abordés les conditions d’une coopération à venir, vue par Pékin comme un moyen d’apaiser la relation. Enfin, il est plus que probable que Xi et son ministre des Affaires étrangères auront exposé à Modi la conception chinoise de la sécurité asiatique, débarrassée des ingérences américaines et articulée autour de la coopération économique.

Pour les dirigeants chinois le défi de l’apaisement n’est pas simple, car le positionnement politique très nationaliste du nouveau premier ministre indien pourrait être un important irritant pour Pékin.

Ayant réussi à développer mieux que d’autres l’État du Gujarat au Nord-ouest de l’Inde bordant la mer d’Arabie à la frontière sud de la République islamique du Pakistan, principal allié de Pékin dans la région, le très nationaliste à tendance populiste Modi est un Hindouiste animé d’une profonde méfiance à l’égard des Musulmans qu’il a souvent stigmatisés. Durant la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir il avait violemment accusé la Chine de nourrir des ambitions expansionnistes. Aujourd’hui il ne semble pas prêt à abandonner ses bonnes relations avec le Japon.

Mais preuve que le pire n’est jamais sûr et que, pour l’instant, l’heure est à la conciliation, selon la presse indienne, les questions de frontières n’auraient pas été évoquées au Brésil, tandis que Xi Jinping aurait promis de relâcher le contrôle sur son marché des services, ce qui pourrait contribuer à réduire le déficit commercial de New-Delhi.

Enfin, compte tenu des menaces terroristes qui pèsent sur le Xinjiang et la Chine, on ne peut pas exclure que les plaques tectoniques des relations stratégiques bougent et que les deux trouvent un terrain d’entente dans leur manière de considérer l’épineuse question du refuge offert aux Islamistes radicaux dans les zones tribales pakistanaises. Il restera à observer comment chacun des membres gèrera, indépendamment des 4 autres, ses relations avec les États-Unis qui, pour l’heure sont toujours, au moins en Europe et au Moyen Orient, un passage obligé de l’ordre mondial.

Lire aussi notre article Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.


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