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Mettre les alarmes sur la dette chinoise en perspective

Depuis deux mois le Vice-premier ministre Liu He, placé sous la double pression des attaques douanières de Donald Trump et de l’exigence de poursuivre les réformes, a réuni 10 fois la Commission des affaires économiques et financières dont il a la charge.

A elle seule, cette fréquence témoigne de la perplexité du Bureau politique face aux enjeux que J.P. Yacine avait résumé dans sa note du 20 août dernier citant une synthèse du magazine Capital :

« L’économie chinoise est à la peine. Elle a montré de nouveaux signes d’essoufflement en juillet, avec un ralentissement surprise de la consommation et une baisse drastique des investissements, reflets d’une demande affaiblie et d’une conjoncture fragilisée sur fond de guerre commerciale avec les États-Unis. L’équation se complique pour Pékin : comment muscler sa demande intérieure et ménager l’activité, tout en poursuivant ses efforts de désendettement et en limitant l’impact du périlleux conflit douanier avec Washington ? »

Alors que la croissance a freiné à 6,5% au 3e trimestre - taux le plus bas depuis 2008 -, dans un climat général morose, à la mi-octobre deux analyses du Financial Times (FT) et de Bloomberg ajoutaient à l’inquiétude.

Insistant sur l’accumulation des dettes toxiques non comptabilisées dans les bilans des provinces évaluées dans une fourchette allant de 4000 à 6000 Mds de $ (3500 Mds à 4800 Mds d’€ - soit près de 2 fois le PIB français) conséquence de la rémanence des prêts de la « finance grise » non contrôlés par le gouvernement, le FT évoquait, dans un titre au ton hyperbolique, des « risques titanesques » face à « un iceberg de dettes ».

Bloomberg, quant à lui, pointait du doigt les effets de la guerre commerciale à l’origine du « ralentissement de l’économie, de l’affaiblissement de la monnaie et la plus forte baisse de la bourse chinoise depuis 2016 ». Dans le même temps, Caixin, le magazine chinois de l’économie évoquait l’accélération de la hausse des prix en septembre.

Commentant l’inflation, le Wall Street Journal ajoutait son grain de sel morose en titrant « An ugly price equation for China – une détestable équation des prix pour la Chine », expliquant que Pékin déjà en difficultés, se serait passé des risques sociaux causés par la conjonction de la hausse des prix alimentaires et de ceux résultant d’une industrie lourde encore « bancale ».

*

Toutes ces alarmes viennent après un rapport de l’agence d’analyse financière S&P Global - la première à évoquer « les risques titanesques » - mettant en garde contre un désastre financier et commenté par un article d’Asia Times à la mi-octobre.

Au passage, l’analyse revenait sur une déclaration de Liu Shijin, membre de la Commission Financière de la Banque de Chine qui, en septembre, avait souligné les effets pervers des excès d’investissements d’infrastructures.

Insistant sur la nécessité de modifier le paradigme économique chinois, il notait que la construction de routes, de voies ferrées et de logements pouvait certes prévenir un déclin brutal de la croissance, mais qu’elle ne pouvait plus constituer le principal adjuvant de la croissance du pays sur le long terme. Il ajoutait que « rester sur un schéma d’investissements ne ferait que compliquer le désendettement du pays ».

Nuancer les risques chinois.

On ne peut nier que ce survol empilant les analyses alarmistes pose clairement le problème de l’ajustement nécessaire de l’économie chinoise dont l’endettement se nourrit des mauvaises pratiques comptables des acteurs économiques – entreprises et administrations provinciales – qui dans le fonctionnement centralisé de l’économie ont jusqu’à présent toujours eu l’assurance qu’en cas de faillite ou d’endettement excessif ils seraient renfloués par les finances publiques.

Plus encore, toutes les analyses pointent du doigt qu’en dépit du renforcement des règles comptables « l’addiction » à la dette, dévoreuse de capitaux freine les budgets de la santé, de l’assurance maladie et de la lutte contre la pollution.

Enfin, la vérité oblige à dire que les pratiques d’investissements sans contrôle rigoureux des comptes ont abouti à placer la Chine en tête des facteurs de l’endettement mondial dont le FMI explique qu’il a atteint un niveau jamais égalé en temps de paix à 164 000 Mds de $ (au passage notons que l’Institut of International Finance situe la dette globale à 237 Mds de $ - soit 44% au-dessus du FMI).

*

En réalité, une analyse détaillée de la dette mondiale montre un « palmarès toxique » plus partagé avec par exemple un ratio dette/PIB équivalent en Chine (257%) et aux États-Unis (254%) avec tout de même un endettement par habitant considérablement inférieur en Chine (20 000 $) qu’aux États-Unis (145 300 $) ou au Japon (134 000 $) [1].

Surtout - et rares sont les analystes qui le mentionnent -, la dette chinoise à 95% interne, avec seulement une exposition extérieure de moins de 500 Mds de $ - largement couverts en cas de crise par les 3000 Mds de réserve de change -, présente un risque de contagion globale bien inférieur à la dette américaine dont plus de 19 000 Mds est externe [2].

Si on examine les autres chiffres structurels de la dette chinoise en pourcentage du PIB, on s’aperçoit que la dette des ménages est comparable à celle des autres émergents à 44% du PIB contre 80% aux États-Unis et 74% en moyenne dans les économies développées. L’examen permet aussi de mettre en perspective nombre d’analyses spéculant sur le risque de contagion globale d’une explosion de la bulle immobilière.

La réalité est en effet que la forte épargne (36% des revenus) massivement injectée dans l’achat d’un logement a un impact direct sur la hausse de l’immobilier. Mais, à l’inverse, la rigueur des contrôles publics et les restrictions dans ce secteur réduisent l’offre et maintiennent un niveau de prix élevé tenant à distance les risques d’effondrement.

D’autant que Pékin, alerté par les analyses pessimistes d’une évolution catastrophique du secteur, a pris ses précautions en maintenant par ses régulations un très fort ratio entre les emprunts et la valeur des propriétés.

Ici comme ailleurs, si les risques existent, ils ne viendront pas de Chine où le ratio dette des ménages/valeur des propriétés détenues est de 8,4, alors qu’aux États-Unis il n’est que 2,3 pour la plus forte dette des ménages – 15 000 Mds – de la planète, contre seulement 4700 Mds de $ en Chine.

*

En déportant l’analyse économique vers la politique étrangère, on retrouve les même reproches comptables adressés à la Chine, accusée d’attirer ses partenaires des « nouvelles routes de la soie » dans le piège de dettes financièrement insoutenables. A Pékin, le Bureau Politique dont les objectifs sont ailleurs n’en a cure.

Son intention est d’accumuler une influence rivale de l’Occident et des États-Unis dans les pays en développement par la pertinence des projets d’infrastructure mis en œuvre par les groupes de construction chinois.

Ayant pleinement conscience du risque de ne jamais être remboursée, la Chine apporte savoir-faire et finances pour relancer les économies et les échanges locaux, dont, selon elle, la première vertu est de lui attacher une clientèle et de se payer en capacité de rayonnement.

Si par ce moyen, elle réussissait à sortir certaines économies en développement de leur léthargie, elle aurait, en dépit des comptables, gagné un pari que l’Occident n’a, notamment en Afrique, pas toujours réussi à relever. Du même coup elle se serait définitivement taillé le statut de puissance globale, portée par un corpus de valeurs politiques rivales de celles de l’Occident, au moment même où celui-ci s’interroge sur le fonctionnement de ses démocraties.

Note(s) :

[1Le ratio dettes / PIB par pays et grands ensembles de pays (moyenne) est le suivant : 1er : Japon : 371% ; 2e : Pays développés : 265% ; 3e : Chine : 257% ; 4e : États-Unis : 253% ; Pays émergents : 184 %.

[2Le palmarès de l’exposition extérieure place les États-Unis en tête avec 19 000 Mds de $. Suivent la zone Euro avec 13 000 Mds de $, le Royaume Uni, 9 Mds de $, l’Allemagne, 4,7 Mds et la France, 4,7 Mds de $.


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