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Dans l’imaginaire culturel des jeunes Chinois, les études assidues symbolisées par l’expression imagée 寒窗 读 书 « étudier près d’une fenêtre glacée » pour réussir au Gaokao restent le passage obligé et vertueux vers une vie sociale réussie.
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Récemment les réseaux sociaux, analysés par Andrew Methven, ont, à partir d’une plaisanterie, évoqué à la fois l’insuffisance des offres d’instruction publique de haut niveau, l’élitisme du système éducatif, la dure réalité des examens d’entrée à l’université 高考(Gao Kao) et les longues heures de travail acharné pour les préparer sans garantie de succès « 寒窗苦读 han chuang ku du - » littéralement « Étudier dans la douleur près d’une fenêtre glacée. »
L’organisation générale de l’enseignement supérieur date des années 90. En 1995, le projet 211 - 211 工程 - (100 universités pour le XXIe siècle) était destiné à relever le niveau des universités. Trois années plus tard, en 1998, année du centième anniversaire de l’Université de Pékin, le projet 985 - 985 工程 - créait le réseau des « universités d’élite ».
Il reste que leur densité est insuffisante et leur répartition inégale. Pour les trois millions et demi de candidats au Gaokao des provinces du Shanxi, du Shandong du Hebei et du Henan, il existe seulement 4 collèges et universités au niveau du projet 211 et 2 au niveau 985 tous les deux au Shandong.
Début juin en pleine période du Gaokao, les internautes qui brocardaient l’indigence du maillage universitaire de qualité, imaginèrent la création et le financement d’une université fictive, à cheval sur les 4 provinces, dont le coût serait assuré par la contributions des étudiants eux-mêmes.
« Si chacun des 3,43 millions de candidats au Gaokao payait 1000 yuans, la collecte permettrait de récolter 3 milliards de Yuans (375 millions d’Euros.) »
Autrement dit, suffisamment de fonds pour construire 打 造 une université à vocation inter-provinces à la jonction du Shandong, du Shanxi, du Henan et du Hebei 一所四省交界的综合性大学 Yi suo si sheng jiaojie de zonghe xing daxue.
Baptisée « Université Shanhe 山 河 – combinaison des premiers caractères Shan 山 de Shandong 山 东 et Shanxi 山 西 et He 河 de Hebei 河 北 et Henan 河 南 – l’établissement imaginaire échauffa le net.
En seulement quelques jours, les internautes lui trouvèrent une devise et un emblème, créèrent un site Internet et publièrent des brochures d’admission fictives. On imagina même une liste d’anciens élèves parmi les célébrités historiques et on lui désigna un principal.
Pour le poste c’est Du Fu 杜甫, le fameux poète des Tang (712-770) qui fut sélectionné. Un vers célèbre d’un de ses poèmes fut adopté comme devise. « Si j’avais un vaste manoir de mille chambres j’y logerais tous les pauvres savants du monde, qui rayonneraient de leurs sourires. -安得广厦千万间, 大庇天下寒士俱欢颜 - », dernier vers du poème « 茅屋为秋风所破歌 – Le vent d’automne a détruit ma cabane », écrit en 761.
Au passage le choix du poème rappelle à quel point, en passant par le relais de Du Fu, plus de onze siècles après elle, la trace confucéenne « Ayez des enseignements pour tout le monde, sans distinction de classes ou de rangs. » reste vivace dans l’esprit et dans le cœur des étudiants chinois.
Un forme de démocratie directe ?

A gauche la page d’accueil du site de l’Université imaginaire Shanhe 山河大学, mise en ligne par les internautes. A droite, une statue du poète Du Fu 杜甫 de la dynastie Tang.
L’un des poètes chinois les plus éminents et les plus influents, Du Fu dont l’œuvre touche à la fois à la littérature, à la morale, à l’histoire et aux rapports de la société au pouvoir, est souvent appelé le « Shakespeare chinois ».
Après avoir échoué deux fois aux examens impériaux, Du Fu, père de cinq enfants a, un temps, exercé les fonctions de juge dans un tribunal local. Mais sa vie fut bouleversée par la révolte d’An Lushan. Aidé financièrement par le gouverneur de Chengdu, il a dans la droite ligne confucéenne concentré sa réflexion et son art poétique sur les préoccupations de l’individu dans le flot plus large de l’histoire.
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L’affabulation ne resta pas lettre morte. Le 6 juillet, lors d’un point de presse, le ministère de l’Éducation s’est engagé à accélérer l’amélioration de l’enseignement supérieur dans les quatre provinces concernées.
Selon le Vice-ministre Wu Yan, l’État allait « continuer à améliorer les structures de l’enseignement supérieur et optimiser (équilibrer) la répartition des ressources, 将不断优化高等教育资源的布局结构 ; à soutenir les régions du centre et de l’ouest 支持中西部地区, en particulier les provinces peuplées 特别是人口大省, augmenter les ressources de l’enseignement supérieur 扩大高等教育资源的规模, et améliorer leur répartition régionale 优化类型结构和区域结构 ».
La séquence qui débuta par une plaisanterie des réseaux sociaux, se poursuivit par une affabulation plongeant avec Tu Fu dans l’imaginaire des Tang et des préoccupations sociales du poète, pour aboutir à une réaction des pouvoirs publics, avait un parfum de « démocratie directe ».
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Au-delà des ironies et des échauffements du net, la séquence traduit les réelles tensions du système éducatif dont l’offre de haut niveau est insuffisante avec un processus de sélection dont l’extrême élitisme laisse sur le carreau une proportion importante de méritants recalés malgré leur travail intense, souvent au milieu des angoisses de toute la famille.
Le sujet est récurrent. QC en avait évoqué un autre aspect par le truchement de Lu Xun et Lao She, dans un article traitant du chômage des jeunes (lire : Le chômage des jeunes diplômés. Lu Xun et Kong YiJi ; Lao She et Xiangzi le chameau).
Avec en tête la fiction de l’Université Shanhe, l’amertume d’un internaute recoupe cette tension entre la somme de travail consentie par les candidats et l’impossibilité d’accéder à l’enseignement supérieur.
« En arrière-plan subsiste 背后承载的是 l’impuissance et l’autodérision 无奈与自嘲 de la plupart des candidats de quatre provinces 山河四省大多考生 qui ont étudié avec ardeur de longues années 寒窗苦读多年,mais 却 ne réussirent jamais à quitter 翻不出 leur pays natal 浪浪山 » (« Vagues-vagues-montagnes » expression imagée qui désigne le plus souvent la région ou la province de naissance).
Enfin, indiquant une permanence des références littéraires, quand les précédentes effervescences du net ayant évoqué les affres de la sélection et du chômage des jeunes, convoquaient deux auteurs du XXe siècle, Lu Xun (1881- 1936) et Lao She (1899-1966), celles-ci renvoient à Du Fu 杜甫 (712-770) l’un des plus célèbres poètes des Tang.
Confucéen connu pour l’esthétique et la rigueur austère de ses méditations poétiques, l’homme, dont la conscience politique était agitée par les angoisses du chaos de la révolte d’An Lushan (750-763), était également attentif à la misère du peuple, preuve d’un altruisme social qui lui vaut aujourd’hui, les appréciations positives du Parti.