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›› Chronique

Tibet. La quête d’autonomie par le feu

Le 3 février dernier, dans le district de Seda, à l’ouest du Sichuan, les immolations par le feu de trois bergers viennent d’accentuer la pression sur les autorités chinoises. L’un est décédé, les deux autres sont gravement blessés.

Les immolations : Une détermination et une ferveur

L’information, diffusée par Radio Free Asia financée par le Congrès américain, précise que les martyrs réclament la libération du Tibet et le retour du Dalai lama. Au total 19 Tibétains, pour la plupart des moines ou anciens moines se sont immolés depuis mars 2011. 13 d’entre eux sont morts de leurs blessures.

Seda se trouve dans la zone montagneuse qui jouxte le Tibet, en proie depuis le mois de janvier à de sévères troubles opposant des manifestants tibétains à la police chinoise, au cours desquels, selon les organisations de soutien au Tibet, 7 manifestants tibétains auraient été tués et plusieurs dizaines d’autres blessés.

Dans une version différente, l’agence officielle chinoise affirme que seulement un manifestant aurait été tué dans une riposte d’auto-défense de la police, contre des manifestants déchaînés qui tentaient de prendre d’assaut les commissariats. Mais l’accès aux régions troublées à l’ouest du Sichuan, au Tibet et aux autres territoires peuplés de Tibétains a été bloqué par des barrages de police et interdit aux journalistes.

A la fin janvier, alors que le Ministère des Affaires étrangères traitaient les immolés de « terroristes », Lobsang Sangrey, le premier ministre du gouvernement tibétain en exil affirmait que le ressentiment des Tibétains n’avait fait que croître depuis les émeutes de mars 2008, qui avaient été suivies par une sévère répression et le quadrillage serré du plateau.

Son appel au gouvernement chinois sonne comme une mise en garde : « Vous n’éteindrez pas les doléances légitimes des Tibétains et vous ne rétablirez jamais la stabilité du Tibet par la violence et les assassinats. Le seul moyen de résoudre la question tibétaine et d’instaurer une paix durable est de respecter les droits des Tibétains et de dialoguer avec eux ».

Wang Lixiong en quête de stratégie.

Alors qu’en 2008 de nombreux intellectuels chinois s’étaient manifestés pour critiquer les politiques publiques et la répression au Tibet, cette fois, peu d’entre eux ont donné de la voix.

Dans les médias occidentaux, seul a surnagé un texte de Wang Lixiong, écrivain contestataire, spécialiste des minorités et sentimentalement lié au Tibet par son épouse, la Tibétaine Woeser. Elle-même est poète, écrivain, journaliste, activiste pro-Tibet, petite fille d’un officier du Guomindang, et fille d’un officier supérieur de l’APL et d’une mère tibétaine.

Dans un message, publié d’abord en chinois le 14 janvier sur le blog de son épouse, puis le 20 janvier sur le site Tibetan Policital Review, Wang Lixiong réfléchit au sens des immolations, au rôle respectif du Dalai Lama et du gouvernement en exil et à la direction à prendre pour parvenir au but politique de l’autonomie du Tibet.

S’il est vrai que les immolations, paradoxalement des actes violents touchant aux frontières extrêmes de la non-violence, exigent un courage hors du commun, elles sont aussi, en l’absence de stratégie, une dilapidation d’énergie.

Compte tenu de la nature même du pouvoir autoritaire chinois, marqué par des structures rigides et la logique froide et sans merci de la bureaucratie, il est même peu probable que les immolations produisent une prise de conscience du pouvoir chinois, comme l’espérait le Mahatma Ghandi ou Martin Luther King : « Nous défierons vos capacités à créer la souffrance, par notre capacité à les endurer… pour désarmer votre haine et éveiller votre conscience ».

L’autonomie par les villages.

Pour Wang Lixiong, l’urgence est donc de canaliser les énergies vers un but réaliste. Tout ne peut pas entièrement reposer sur l’action du Dalai Lama. Le gouvernement tibétain en exil, ne peut se contenter de faire des déclarations.

Il doit réfléchir à une stratégie et l’indiquer au peuple tibétain : « Dites, s’il vous plaît, aux courageux Tibétains ce qu’ils peuvent faire. S’ils savent ce qu’ils doivent ou peuvent faire, alors, ils vivront plutôt que de sacrifier leurs vies dans l’espoir d’attirer une éphémère attention médiatique. »

La proposition de Wang, qui vise à propager l’autonomie dans toute la province à partir de l’expérience locale des villages, s’inspire de l’exemple récent de Wukan dans la province de Canton. (Lire notre article).

Chaque famille était représentée au sein de l’assemblée mandatée pour élire un Conseil de village. Ce dernier a maintenu l’ordre et le fonctionnement rationnel de la communauté, même après la fuite des autorités et la fermeture du commissariat. Au point que, selon un journal de Hong Kong, le Conseil de village de Wukan fut la « première organisation élue par des villageois reconnue par le gouvernement ».

Wang s’interroge cependant lui-même sur la pertinence de ce modèle au Tibet, où toute tentative d’autonomie villageoise sera immédiatement considérée comme un complot séparatiste et tuée dans l’œuf par la répression.

Sur ce point, il conclut son texte par une bravade : « ce que les Chinois sont autorisés à faire, est interdit aux Tibétains. Mais ces derniers, qui ne craignent pas de s’immoler de quoi peuvent-ils encore avoir peur ? »

La référence perdue de Hu Yaobang.

Toute la rhétorique contestataire de Wang Lixiong et des Tibétains de la mouvance mesurée se réfère à l’autonomie de la province, inscrite dans la constitution. A cet égard, on ne peut que relever le contraste entre la situation crispée et fermée d’aujourd’hui et le temps où le gouvernement chinois en avait conscience et avait pris des dispositions pour la mettre en œuvre réellement.

C’est en tous cas ce qui ressort d’un rapport daté de 1994, rédigé par Wang Yao, relatant une mission au Tibet d’un groupe de travail dirigé par Hu Yaobang, alors Secrétaire Général, dont Wang était le proche assistant, cité par Robert Barnett et Shirin Akiner dans leur livre « Resistance and reform in Tibet » (Hurt and Co., Londres, 1994, page 288).

Dans ce document, Wang Yao souligne qu’en plus des promesses de développement de l’éducation, de la santé et de l’agriculture, dont il avait constaté l’arriération, Hu Yaobang avait fait figurer en tête des tâches prioritaires du Parti au Tibet celle de « laisser les Tibétains exercer pleinement leur droit à l’autonomie dans toute la région ». Consigne que le SG avait accompagnée de la décision de rapatrier la majorité de cadres Han affectés au Tibet.

Ces deux mesures s’inscrivent radicalement à contre courant des politiques actuelles du Bureau Politique. Beaucoup d’experts de la question considèrent que ces marches-arrières, qui s’accompagnent d’une stratégie de peuplement massif, de l’alourdissement de la répression et d’un quadrillage serré de la province, ainsi que des zones à majorité tibétaine, sont à la racine des troubles actuels.


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