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›› Chronique

Un tigre de papier, sinon rien

Un tigre ferait-il des vagues dans les salles de rédactions ? L’animal en question, un panthera tigris amoyensis, vivant d’habitude dans le sud (le terme amoyensis fait allusion à la ville d’Amoy), aurait été découvert dans la province nordique de Shaanxi. Relayée par la très officielle Agence Chine nouvelle le 3 octobre dernier, la nouvelle a fait le tour du pays.

Pour illustrer le propos, la dépêche était accompagnée d’une image de félin sagement posé dans un bois. La photo aurait été prise par un paysan du coin, du nom de Zhou Zhenglong, sherpa à la tête d’une mission scientifique dont l’objet était justement d’étudier la réimplantation de tigres dans ladite province.

Heureuse trouvaille alors ? Des lecteurs attentifs n’ont pourtant pas manqué de relever certaines anomalies. Hormis le cliché visiblement unique, il n’y avait pas d’autres indices prouvant le passage du tigre en ce lieu, comme des empreintes plantaires ou des déjections au sol. Et puis, certains détails de la photo suscitaient des interrogations quant à son authenticité. Le contraste de couleurs semblait trop fort entre la fourrure de la bête et les feuilles qui l’entourait (le marrons trop vif et le vert trop pâle). Le regard du tigre semblait trop figé et le contour de ses yeux trop régulier.

Le doute s’installait donc peu à peu tandis que toute la presse officielle défendait bec et ongle l’authenticité de l’information. Il y aurait même eu non pas un, mais huit tigres dans le bois, pouvait-on lire dans un article publié par la même agence. Par ailleurs, quoi de plus normal qu’en Chine, la mission première de la presse ne soit pas de diffuser des informations vraies mais de servir la politique du Parti. La protection de l’environnement était le mot d’ordre du moment et la réinsertion des tigres un résultat attendu. Malgré toutes les interrogations, le bel animal a survécu plus d’un mois, jusqu’au 18 novembre lorsqu’éclata la vérité. Des internautes avaient fini par publier « l’original » du félin, un tigre tiré d’une peinture sur un almanach paru en 2002, bien avant la « découverte » du Shaanxi.

Derrière les controverses sur le vrai-faux tigre, c’est bien la crédibilité de la presse officielle qui est remise en cause. Ce n’est certes pas une chose nouvelle. La masse des Chinois n’a jamais eu une haute opinion des journaux et des médias de leur pays, connus pour être la voix de son maître, à savoir le département central de propagande du Parti. La nouveauté était de le dire maintenant haut et fort dans les forums de discussions sur Internet qui leur donnent un espace d’expression.

S’y profila alors un passionnant débat autour du « tigre de papier ». D’un côté, on voyait défiler tous les défenseurs du système, à commencer par le photographe lui-même qui avait empoché 20 000 yuans (environs 2 000 euros) de droits d’auteur, suivi des autorités locales pressées de défendre leur projet de réimplantation des tigres. Sans preuves décisives de l’authenticité de la photo, ils se contentèrent alors de déclarer qu’elle avait au moins sensibilisé les gens à une cause louable, en l’occurrence la protection de l’environnement.

En face d’eux, émergeait une sorte de « conscience collective » émanant des gens de tous horizons qui demandaient simplement la véracité des informations publiées. Il ne s’agit pas encore d’une revendication ouverte de liberté de la presse « menaçant » directement les autorités politiques. C’est sans doute la raison pour laquelle les contestations contre ce tigre de papier ont été tolérées, du moment qu’elles ne débordaient pas du cadre d’Internet.


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