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›› Chronique

Yang Jisheng interdit de Harvard

Yang Jisheng et son livre « Stèles » récompensé en décembre 2015 par le prix Louis M. Lyons par la fondation Niemann créée en 1938, dont les membres renouvelés tous les ans comptaient en 2015 des journalistes turcs, chinois, anglais, israéliens, hollandais, brésiliens, australiens, canadiens, polonais et américains. Après sa retraite en 2001, Yang a contribué au journal Yan Huang Chun Qiu 炎 黄 春 秋, qu’il a du quitter en juillet 2015 sous la pression du Parti.

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Récemment les médias occidentaux ont abondamment relayé la nouvelle de l’interdiction opposée par le Parti à Yang Jisheng (75 ans) ancien journaliste de Xinhua de se rendre à Harvard pour y recevoir le prix Louis M. Lyons qui récompense l’éthique et l’intégrité dans l’information.

Auteur de « Stèles » [1], hallucinant compte rendu des affres subies par les Chinois et par son père mort de faim lors du grand bond en avant, Yang Jisheng ciblait directement les aberrations de l’expérience maoïste de rattrapage de puissance à laquelle les Chinois moyens n’ont toujours pas directement accès.

Le journalisme selon Yang

Le 10 mars, le New-York Times publiait le texte du discours que Yang avait préparé pour la cérémonie de remise de son prix à Harvard prévue le 7 mars dernier. Il y exprime son amour pour l’éthique d’un journalisme intègre, « noble métier, à la fois banal et sacré, plein de profondeur et périlleux » et exposait sa recette pour tenir à distance les angoisses de la répression policière aux effets inhibants. « N’attendez rien, ni richesse ni promotion ; ne réfléchissez qu’à votre probité ; écrivez sans vous soucier des réactions ; ne vous attachez pas aux puissants et ne comptez que sur votre force de caractère et votre indépendance ».

Au passage, Yang a rendu hommage aux autres journalistes chinois d’investigation avec lesquels il souhaitait partager son prix et qui, « depuis l’ouverture du pays, avaient contribué à la vérité, dénoncé le mal et aidé à faire progresser la société ». Enfin, rappelant que son livre était toujours interdit en Chine son discours rendait hommage « aux lecteurs d’éditions piratées, amoureux de la vérité, ce puissant explosif capable de mettre à bas les murailles de bronze dressées par le gouvernement » (…) Le texte ajoutait enfin que « les faits mis à jour réduisent le mensonge en miettes et éclairent la route du progrès. »

L’arrière plan idéologique de la censure

Compte tenu de la sévère culture d’occultation et de réécriture de l’histoire encore alourdie depuis 2012, il fallait s’attendre à l’interdiction faite à Yang, d’autant que son sujet renvoie au mythe maoïste, phare historique de la plupart des Chinois que le Parti tente par tous les moyens de protéger. Dès le printemps 2013, le Secrétaire Général avait, dans une réunion interne, défini les « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – », 7 sujets dont l’évocation publique par les médias et les intellectuels serait interdite. Parmi eux figuraient les erreurs historiques du Parti.

Contrairement à la vision occidentale de l’histoire articulée autour de la mise à jour des faits y compris les plus dérangeants pour les images d’Épinal nationales dont la version moderne dérape souvent vers un sentiment repentance accablée, le Parti communiste chinois et son Secrétaire Général rejettent becs et ongles la « démaoïsation », considérant même que la rupture historique et la condamnation du passé furent les principaux ferments de la chute de l’URSS.

Les fervents de la vérité historique se font discrets.

Certes il existe des intellectuels qui continuent à promouvoir la vérité historique. Mais leur position au sein de l’appareil est fragile.

A l’été 2014, Deng Yuwen, ancien rédacteur en chef adjoint du Xuexi Shibao, le journal de l’École Centrale du Parti, démis de ses fonctions en avril 2013 pour avoir critiqué dans le Financial Times la politique nord-coréenne de la Chine, saisissait l’occasion d’un commentaire sur une série relatant la vie de Deng Xiaoping pour suggérer d’officialiser une rupture historique entre Mao et Deng.

Son analyse soulignait qu’à terme le souci de continuité historique se heurtera à la quête de vérité de la société de plus en plus agitée par l’effervescence des nouvelles technologies de l’information. Pour lui, ni les détails du grand bond en avant ni la révolution culturelle, ni la répression de Tian An Men n’échapperont au réquisitoire public. Il suggérait même que l’opinion serait impressionnée par la capacité du régime à revenir sur les errements de son passé et à se remettre en question.

Du coup, ajoutait-il le peuple serait plus porté à reconnaître les réussites du régime telles que la lutte contre la pauvreté, la montée en puissance du pays et la préservation de la paix. L’une de ses dernières phrases renvoyait directement aux controverses internes sur la mémoire de Mao : « Puisque le Parti a déjà reconnu que le lancement de la révolution culturelle par Mao fut un désastre pourquoi ne pas l’admettre officiellement ? (…). L’image de Mao en souffrirait mais pas celle du Parti et ni celle de ses actuels dirigeants ».

L’histoire ferment politique du Parti.

Inutile de préciser que ce point de vue est de plus en plus rare au sein de l’appareil. A plusieurs reprises Xi Jinping a expliqué au Parti que les trajectoires de Mao et Deng étaient les deux faces indissociables de la réalité historique chinoise, l’une n’ayant pu exister sans l’autre.

Derrière ces réticences qui peuvent apparaître aux esprits forts comme une dangereuse frilosité dans un monde de plus en plus épris d’ouverture, de vérité et de transparence, surnage une obsession : la chute de l’URSS que le magazine Qiu Shi et le Centre des recherches du Parti attribuent à la « déstalinisation. ».

L’idée était reprise dans le Quotidien du Peuple : « La raison essentielle de la chute de l’Union Soviétique fut la négation de l’histoire du Parti Communiste de l’Union Soviétique, de Lénine ainsi que des autres figures du Parti, accompagnée par un nihilisme historique qui installa la confusion dans l’esprit des populations ».

C’est bien cette vision sans rupture qui sous tendait les discours de Xi Jinping lors du 120e anniversaire de la naissance de Mao, le 25 décembre 2013 : « Notre expérience socialiste avant la réforme, qu’elle soit positive ou négative, a permis au Parti de se confronter à la réalité. Elle a établi la plateforme à partir de laquelle nous avons construit le futur d’une nouvelle période historique. Sans les succès idéologiques, institutionnels et pratiques accumulés au cours de cette période, l’ouverture n’aurait pu avoir lieu sans heurts ».

Disant cela le Président ne faisait que répéter sa vision « des deux périodes » de la République Populaire, avant et après la mort de Mao qu’il avait déjà exposée au nouveau Comité Central le 5 janvier 2013 : « Même si ces deux phases étaient sous-tendues par deux orientations politiques différentes avec d’importants contrastes dans la manière de construire le socialisme, elles ne peuvent pas être dissociées ».

Il ajoutait que les deux périodes n’étaient pas en opposition, mais complémentaires : « il n’est pas possible de se servir de l’une pour nier l’autre ». Autant dire que le livre de Yang Jisheng n’a aucune chance d’être publié en Chine.

Note(s) :

[1En Chinois 幕 碑 (Mu Bei). Publié à Hong Kong en 2008, le livre est paru en français en 2012 (Ed. du Seuil), lire notre article 墓碑 mu bei de Yang Jisheng, est paru en Français


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