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›› Editorial

14e ANP : Une page se tourne

Alors que pour la première fois en six mois l’indice des prix à la consommation de février était à la hausse de +0,7%, mais dans un contexte international toujours tendu [1], le parti a, du 4 au 11 mars, tenu la réunion annuelle des deux assemblées « 两会 – Liang Hui - » [Conférence Consultative du Peuple Chinois et Assemblée Nationale Populaire].

Leurs cérémonies de clôture ont eu lieu les 10 et 11 mars avec les discours de leurs Présidents Zhao Leji 赵乐际 et Wang Huning 王沪宁, respectivement nº3 et 4 du Comite permanent du Bureau Politique (voir leurs biographies : Membres du 20e Bureau politique).

A sept mois du 75e anniversaire de la République Populaire de Chine, les deux sessions ordonnées pour ne laisser paraitre aucune aspérité politique, ont comme chaque année mis en scène l’efficacité de l’appareil tiré au cordeau.

A la suite du rapport profil bas et étonnamment court (moins d’une heure) en partie axé sur la sécurité du Premier Ministre Li Qiang, la succession des discours, approuvés par acclamation ou/et les votes unanimes des quelques 3000 délégués, a dévoilé les intentions de réforme du gouvernement dans un large éventail de secteurs, allant de l’économie et du commerce à l’environnement, en passant par l’armée populaire, le système productif et les relations internationales.

De cette revue surnageait clairement la volonté de porter la Chine en tête de l’innovation technologique mondiale, fond de tableau des efforts dédiés au rattrapage dans l’industrie des microprocesseurs.

« Cerveau » universel de la modernisation tous azimuts, le secteur est dominé par une liste de champions où, à côté des Coréens, les groupes américains tiennent le haut du pavé, héritage d’une histoire commencée en 1959, avec Jack Kilby, ingénieur originaire du Texas créateur du premier circuit intégré, prix Nobel de physique en 2000 [2].

*

Cette année pourtant, au-delà du style convenu et apprêté, les sessions baignaient dans une claire intention de resserrement politique autour de la pensée de Xi Jinping articulée à la prévalence absolue du parti à l’intérieur et au rejet des influences occidentales à l’extérieur. La note qui suit analyse cette tendance par deux exemples.

Le premier est lié à la prise de contrôle sans esprit de recul du système financier et bancaire par l’appareil ; le deuxième concerne la relation avec l’extérieur et aux références occidentales d’échanges ouverts avec les médias de la planète, sèchement renvoyées au second plan par la suppression pure et simple de la conférence de presse finale du premier ministre dont le rite remontait à plusieurs décennies.

Un système financier resserré, levier opérationnel du pouvoir.

Dans la foulée du branlebas confié en novembre 2023 à He Lifeng chargé par Xi Jinping de tenir la Chine à l’écart d’une crise financière (lire notre article : Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances) la nouvelle Administration Nationale pour la Régulation financière et la surveillance boursière 国家 金融 监督局 a absorbé certaines missions de la Banque Centrale dont le Directeur Yi Gang, 易纲, 66 ans en poste depuis 2018 formé à l’indépendance politique de la Banque Centrale, fervent de l’obédience au marché, bien introduit au FMI et à la Banque Mondiale, a été remplacé par Pan Gongsheng, 潘功胜, 61 ans.

Docteur en économie de Renmin, ancien chercheur associé à Cambridge et Harvard, familier de la régulation bancaire et de la surveillance des réserves de change, son mandat est clairement de démarquer la Banque de Chine des pratiques occidentales pour lui conférer un rôle politique d’urgence.

Les défis sont importants.

Il s’agit de prévenir la contagion de la crise immobilière, de contenir les effets indésirables de la dette des provinces menaçant les banques de second rang et d’attirer les investissements étrangers dans les bourses de Shanghai, Shenzhen et Hong Kong, dans un contexte où la capacité d’attraction de la Chine a reculé.

Au total, Pan est investi de la tâche de déconnecter les finances chinoises du système international ; de transformer le rôle régulateur de la banque centrale en un outil de surveillance financière et politique ; surtout, d’en faire le relais opérationnel direct des projets de développement définis par Xi Jinping.

Selon un commentateur chinois en marge de l’ANP « La nouvelle banque centrale sera concentrée sur moins de tâches ; mais celles qui lui incombent désormais, que les banques occidentales accomplissent rarement, doivent à la fois lutter contre les risques et servir directement l’économie. »

La feuille de route est claire : devenir un outil capable d’attirer et de canaliser les financements dédiés aux 5 priorités définies par Xi Jinping : les sciences et les technologies de pointe ; l’économie verte ; les soins au troisième âge ; l’économie digitale et « la finance inclusive (ou responsable) ».

La notion de « finance inclusive » désigne l’idéal d’une structure financière – mais il y a loin de la coupe aux lèvres - capable d’embrasser tous les acteurs d’une chaine de valeur, depuis les individus bénéficiaires, jusqu’aux investisseurs ou bailleurs de fonds en passant par la microfinance, tout en ayant conscience de l’impact des projets sur l’environnement, l’intensité énergétique et l’équilibre général de l’économie.

Le Parti attend aussi de la nouvelle banque centrale qu’elle se montre plus agressive dans sa lutte pour que la Chine augmente son poids dans les affaires internationales en renforçant ses liens avec les pays étapes des Nouvelles Routes de la soie et avec le bloc des économies émergentes des BRICS, tout en gagnant pour ses représentants une place plus importante à la Banque Mondiale et au FMI.

Un autre point clé de sa nouvelle mission est monétaire. Il s’agit à la fois de stabiliser le taux change du Yuan pour freiner la fuite des capitaux et de rehausser son rôle dans les transactions mondiales.

A cet effet, l’action de soutien à la monnaie chinoise est déjà visible au travers du recul de plus de 40% du volume des bons du trésor américains, passés en dix ans, entre octobre 2013 et octobre 2023 de 1300 Mds à 770 Mds de $.

Le recul est directement lié au fait que les banques ont été sommées de vendre leurs actifs en dollars pour freiner une nouvelle chute du Yuan qui, entre mars et octobre 2022, avait perdu 15% de sa valeur face au Dollar. Mais le compte n’y est pas. Après un rebond de +7% en janvier 2024, le 12 mars suivant, il était retombé à 7,69 Yuan pour un Dollar, soit 15% au-dessous de sa valeur de novembre 2014.

La diminution de la part des réserves investies dans des emprunts américains, participe aussi de l’intention de réduire la dépendance au système financier occidental.

L’épine dorsale du projet s’articule à un système de paiement interbancaire transfrontalier facilitant les règlements internationaux en monnaie chinoise dont le statut de monnaie de réserve globale restera cependant hors de portée tant que le Yuan ne sera pas librement convertible.

Ce handicap s’exprime clairement dans le fait que la part du Yuan chinois dans les réserves de change globales stagne à 2,4% alors que celle du Dollar, il est vrai en baisse de 16% depuis 2000, est encore à 59%.

Il n’en reste pas moins que dans un paysage global des transactions mondiales dominé à plus de 80% par le Dollar, l’utilisation du Yuan progresse lentement. En 2022, elle a concerné 4,4 millions transactions commerciales pour un total de 96000 Milliards de Yuan, soit 13 000 Mds de $.

En 2023, cette tendance - cependant limitée au marché chinois [3] -, encore été accélérée par la faiblesse du Yuan qui rend plus attractives les obligations chinoises émises à Hong Kong (« DimSum Bonds ») ou par la Banque des BRICS à Shanghai (« Panda Bonds »).

A côté des difficiles tâches de protéger le Yuan orienté à la baisse et de promouvoir son internationalisation, le nouveau dispositif du système financier laisse présager une inflexion vers une relance plus vigoureuse que celle prudente de Yi Gang, prédécesseur de Pan Gongsheng et critiquée par les observateurs internationaux (lire : La reprise est difficile et le chemin du réajustement socio-économique laborieux).

Surtout, la nouvelle équipe est décidée à traquer plus fermement les dysfonctionnements des bourses chinoises et à promouvoir si nécessaire leur résistance à l’influence des marchés occidentaux. Wu Qing, 60 ans, le nouveau Président de la Commission de régulation boursière nommé le 7 février, a été clair.

L’obédience au marché en question. Feu sur les institutions financières internationales.

S’exprimant immédiatement après Li Qiang le jour de l’ouverture de la réunion de l’ANP, Wu Qing a martelé : « Il est vrai que le marché a ses propres règles dans lesquelles, en temps normal, le pouvoir ne doit pas interférer. Il reste que si le marché devient incontrôlable, provoquant d’importantes secousses, menaçant de saper la confiance des investisseurs, ou créant une panique, il est du devoir de la Commission de prendre des mesures pour réparer les dysfonctionnements. »

Wu qui réagissait à la récente crise boursière (lire : Brève et brutale crise boursière. Le prix de la défiance) s’inscrivait aussi dans le contexte plus large de la Conférence Centrale sur les finances de fin octobre où le Président avait manifesté le souhait que la Chine devienne une « Superpuissance financière » sous la supervision de He Lifeng (lire : Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances).

Alors que par ces reformes financières décidées après la nomination de He Lifeng, et rendues publiques à l’occasion de la réunion de l’ANP, la Chine de Xi Jinping indique que la règle du marché ne serait plus le critère absolu de fonctionnement des bourses chinoises, dans un contexte où il est aujourd’hui encore plus improbable que sa monnaie devienne librement convertible, l’intention de tourner le dos au système financier international est sans équivoque.

Exprimant ainsi indirectement une volonté de réformes des institutions financières internationales, directement pointées contre la prévalence sans partage de Washington, Pékin est loin d’être isolé.

Lors de la crise américaine des « subprime » en 2008, des voix s’étaient élevées pour promouvoir – par un nouveau Bretton Woods – un système financier international rénové. En mars 2010, dans un article publié dans l’International Herald Tribune, le PM grec Papandreou avait lui aussi appelé les démocraties à une « refonte audacieuse » de Bretton Woods.

Depuis une dizaine d’années le FMI lui-même dont le rôle de « prêteur en dernier ressort » s’est renforcé au fil des crises, mais souvent critiqué pour les mesures de redressement antisociales qu’il préconise, a évolué et assoupli son obédience absolue au « marché », prenant en compte les critères sociaux et environnementaux.

On le voit le branlebas qui tente de tenir à distance les affres d’une crise financière interne recoupe la rivalité sino-américaine à hauteur des institutions internationales dont le révisionnisme de Pékin réclame la refonte.

*

L’autre symptôme de la volonté de rupture avec les efforts chinois de s’adapter au monde calibré par l’Occident fut la décision de supprimer la conférence de presse du premier ministre, rite de clôture des réunions de l’ANP depuis plus de trois décennies.

Note(s) :

[1Dans son discours sur l’état de l’Union, le 8 mars, Joe Biden a, tout en répétant sa volonté d’éviter un conflit direct avec la Chine, critiqué ses pratiques économiques déloyales et justifié ses embargos destinés à, dit-il, « éviter que les technologies américaines les plus avancées puissent être utilisées en Chine. ».

En réponse, sur un ton nettement moins conciliant que celui qu’il avait employé dans le sillage du sommet de l’APEC à San Francisco (lire : APEC : Xi Jinping – Joe Biden, spectaculaire mise en scène d’une volonté partagée d’apaisement), Wang Yi qui s’exprimait en marge de la réunion de l’ANP, a une nouvelle fois accusé les États-Unis de contenir la Chine par le biais de sanctions.

« Les moyens de réprimer la Chine sont constamment mis à jour, la liste des sanctions unilatérales est constamment allongée et le désir d’infliger une punition à la Chine ont atteint un niveau inimaginable ».

[2Sur les 10 premières sociétés mondiales de microprocesseurs, deux sont sud-coréennes (Samsung, nº1 et SK Hynix, nº7), six sont américaines (Nvidia, nº3 ; Intel, nº4 ; Broadcom, nº5 ; Qualcom, nº6 ; Applied Materials -AMAT-, nº8 ; Advanced Micro Devices – AMD – nº10) ; une est Taiwanaise, TSMC, nº2 ; une est européenne (Pays-bas) ASML, nº9 et un des leaders mondiaux avec deux Japonais et trois américains des machines de photolithographie pour la fabrication des microprocesseurs les plus avancés.

Leurs cotations en bourse au NASDAQ, au NYSE ou au Korean Exchange procurent des retours allant de +218% pour Nvidia à +18,9% pour Samsung.

[3Les exportateurs comme Volkswagen ou Mercedes-Benz utilisent les obligations chinoises (Panda ou DimSun) en Yuan essentiellement pour leurs activités en Chine.

Selon Mark Williams économiste chez « Capital Economics » l’internationalisation du Yuan ne se déroule pas aussi bien que le suggèrent les chiffres officiels chinois.

La vérité est que 50% des transactions en Yuan s’effectuent entre le Continent et Hong Kong, dessinant un paysage où une part importante de « l’internationalisation » du Yuan est en réalité « locale »


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