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›› Politique intérieure

L’ANP 2012, testament politique de Wen Jiabao

La réunion annuelle de l’ANP et de l’Assemblée Consultative du Peuple Chinois, dont le dernier jour fut marqué par la destitution de Bo Xilai du poste de Secrétaire Général de la municipalité autonome de Chongqing, était l’ultime exercice de ce que les Chinois appellent « Liang Hui », sous l’égide de l’équipe Hu Jintao – Wen Jiabao, qui passera les rênes du pouvoir lors du 18e Congrès à l’automne.

En mars 2013 c’est un attelage tout neuf, avec un nouveau Président de la République, un nouveau Premier Ministre, deux présidents des assemblés fraîchement nommés, et un gouvernement reconstitué après la bataille du Congrès qui présideront aux « Liang Hui », toujours dominées par l’ombre portée et omniprésente d’un Comité Central, dont les 2/3 des membres auront été renouvelés.

A côté des habituels travaux socio-économiques, rapports et votes de confiance, il ne fait aucun doute que c’est la politique, revenue en force dans le paysage chinois, qui a dominé les tous derniers jours de la réunion. Elle a d’abord pointé son nez au-travers de la surprise de plus de 15% des députés – un record - rejetant le budget.

Puis, elle a bruyamment refait surface avec le limogeage de Bo Xilai et la conférence de presse de Wen Jiabao, poussant les feux de la réforme politique, tandis qu’un rapport de la Banque Mondiale, établi conjointement avec le Conseil des Affaires d’Etat, sur une idée de Li Keqiang, complètement en phase avec les analyses du gouvernement, insistait sur l’urgence de réformer le schéma de développement de la Chine.

C’est dans cette ambiance assez peu sereine, où pour la première fois depuis 1989 apparaissait le spectre d’un très sérieux clivage au sein de l’appareil, que Wen Jiabao a livré sont testament qui replace la question politique au centre, affirmant avec force que l’ajustement du modèle de développement, aujourd’hui essoufflé et générateur de profondes inégalités, serait impossible sans une véritable réforme politique.

N’hésitant pas à dramatiser, il ajoutait que l’absence de progrès significatifs dans ce domaine portait le risque d’ouvrir la voie à un chaos rappelant celui de la révolution culturelle. Il est évident que le psychodrame de Chongqing arrivait à point nommé pour donner du crédit aux mises en garde du Premier ministre.

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L’urgence d’ajuster le schéma de développement.

Comme chaque année, l’ANP a donné lieu à la présentation des rapports de travail du Premier Ministre, du Président de la Commission pour la Réforme et Développement et du ministre des finances, traditionnels inventaires de la situation socio-économique du pays, avec leurs listes de problèmes et de défis, assortis des mesures prises ou à prendre pour l’année et le plan quinquennal à venir. Les longues énumérations étaient dans la ligne exacte des analyses effectuées par les experts, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine, qui, depuis plusieurs années, traitent de la situation du pays.

On y retrouve la nécessité de modifier le schéma de développement par la maîtrise de l’investissement public, le contrôle des prix, l’assainissement des institutions financières, une meilleure maîtrise des budgets des provinces, la réforme fiscale et de la propriété – notamment pour renforcer la capacité des municipalités dans le cadre du considérable défi de l’urbanisation accélérée du pays -, et l’augmentation de la demande interne. A quoi s’ajoutent le soutien aux agriculteurs, la restructuration industrielle appuyée par la montée en gamme technologique, l’efficacité énergétique, les économies d’énergie, la lutte contre la pollution, la réforme de l’éducation et l’appui à innovation.

Les rapports portent aussi une forte marque sociale, avec d’indéniables efforts pour mettre en place un service de santé publique performant, créer un système de retraites, construire des logements accessibles pour le plus grand nombre, dans un contexte où, cependant, les efforts pour redistribuer plus équitablement la richesse se heurtent aux freins structurels liés à l’existence de prébendes directement connectés à l’oligarchie.

Cette année, le rapport de travail du gouvernement a coïncidé avec la publication, le 27 février 2012, par la Banque Mondiale, d’un travail de recherche intitulé « Chine 2030. Construire une société moderne à hauts revenus, harmonieuse et créative ». Fait assez remarquable, constituant en soi un geste significatif d’ouverture politique capable de faire pression sur la mouvance conservatrice opposée aux réformes, le rapport de la Banque Mondiale est signé conjointement par le Président Robert Zoellick et par le Directeur du Centre de Recherche du Conseil des Affaires Etat, Li Wei, nommé en avril 2011.

L’idée d’un rapport conjoint avait été avancée en septembre 2010 par Robert Zoellick et Li Keqiang, probable futur premier ministre, lors du 30e anniversaire des relations de la Chine avec la Banque Mondiale. La cosignature du Conseil des Affaires d’Etat constitue un signal fort de l’implication de Li Keqiang en faveur de la réforme.

Comme le rapport du Premier Ministre, les six directions d’effort préconisées par le rapport qui énumère les grands défis de la Chine ont toutes un lien avec le réajustement du schéma de développement : 1) Poursuivre et compléter la transition vers une économie de marché ; 2) Augmenter les efforts d’innovation ; 3) Privilégier les énergies vertes pour transformer le stress environnemental en opportunité de croissance et de développement ; 4) Elargir à tous l’accès à la santé publique à l’éducation et au travail ; 5) Moderniser et consolider le système fiscal ; 6) Intégrer les réformes structurelles aux modifications de l’économie globale afin de développer des relations positives avec le monde.

Il n’est pas anodin de signaler que tout un paragraphe du travail de la Banque Mondiale et du gouvernement chinois traite, en une dizaine de pages, des obstacles à la réforme et de la manière de les surmonter (p.65).

On peut notamment y lire l’analyse suivante qui pointe sans ambiguïté les responsabilités de l’oligarchie politique et affairiste : « le groupe qui résistera le plus aux réformes sera, sans conteste, celui des intérêts corporatistes, tels que les entreprises en situation de monopole sur leur marché, les groupes, institutions ou personnes qui bénéficient de privilèges particuliers ou de traitements préférentiels rendus possibles par l’actuel fonctionnement du pouvoir et des institutions (…) »

« Ces groupes, qui profitent de rentes de situations découlant de leurs relations privilégiées avec les décideurs politiques, protègeront résolument leurs intérêts grâce à leur pouvoir, leurs ressources et leurs connexions. Pour surmonter ces obstacles, le gouvernement devra, à son plus haut niveau, faire preuve de courage, de détermination, de clarté dans l’exposé de ses objectifs et d’un grand charisme politique ».

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La réforme politique, héritage spirituel de Wen Jiabao.

Le rapport de Wen Jiabao prononcé lors de la séance d’ouverture avait effleuré les questions politiques et stratégiques, comme à l’habitude rejetées en fin de discours. Il évoquait de manière stéréotypée le socialisme et la démocratie à la chinoise, la lutte contre la corruption, l’indépendance de la justice, les troubles ethniques des régions excentrées, dont, disait-il, l’autonomie serait respectée – allusion aux graves problèmes du Tibet et du Xinjiang -, la modernisation de la défense, la protection des ressortissants chinois à l’étranger et, enfin, la question de Taïwan, dont « les compatriotes » étaient invités à considérer le succès des Région Administratives Spéciales de Hong Kong et Macao, dans le cadre de la formule « un pays deux systèmes ».

Mais c’est lors de la conférence de presse, sa dixième et dernière qui signait la fin prochaine de son mandat, que Wen Jiabao a, non sans émotion, déroulé pendant trois heures un vrai discours politique en faveur d’une réforme dépassant les questions sociales ou économiques.

On pourra y voir l’habileté d’un homme à l’étonnante longévité au pouvoir, posant pour la postérité, surtout préoccupé de son image de réformateur modeste et humble, conscient des lacunes de son mandat. Mais on peut aussi le considérer comme l’héritier spirituel de Hu Yaobang et Zhao Ziyang, les deux réformateurs de l’histoire moderne, dont il était proche, limogés en 1987 et 1989, et dont la carrière avait trébuché sur le conservatisme fermé de l’oligarchie.

Le 14 mars dernier, les prises de position publiques de Wen furent en effet les plus proches d’un discours politique libéral, livrées depuis longtemps par un homme politique chinois en fonction à ce niveau et face à autant de témoins. Dans l’ambiance tendue entourant la destitution de Bo Xilai, les perspectives de réformes dessinées étaient à elles seules une attaque directe contre les conservateurs.

Elles ont en effet appelé sans ambiguïté à des réformes politiques cruciales et urgentes, prenant directement le contrepied de la mouvance Wu Bangguo, qui avait verrouillé l’ANP 2011, en affirmant que la libération politique conduirait la Chine au chaos.

La vision du Premier Ministre sortant est très exactement inverse. Ciblant directement Bo Xilai dont le style rappelait les réminiscences populistes de l’ère maoïste, Wen a en effet mis en garde contre le risque d’une « nouvelle révolution culturelle » si le Parti tardait à mettre en œuvre les réformes politiques nécessaires.

« Il faut promouvoir à la fois les réformes économiques et politiques, notamment au sein de la direction du Régime, au Parti et pour le pays, sans quoi nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes de la société chinoise (…) Sans réforme politique, le réajustement des structures de l’économie sera impossible et nous pourrions perdre les bénéfices des progrès accomplis ».

Enfin, s’il est vrai qu’il a entouré ses appels à la démocratie de considérations pragmatiques, Wen s’est tout de même directement engagé en faveur de l’extension des élections libres à d’autres niveaux administratifs que celui des villages : « l’expérience a montré que les paysans étaient capables d’élire directement les comités villageois. Ils pourraient le faire tout aussi bien dans les cantons et les districts. Nous devrions encourager les Chinois à continuer l’expérience ».

Tout en précisant que la démocratie se développerait « pas à pas en fonction de la situation du pays », il n’a cependant pas manqué d’affirmer sa conviction que la Chine se trouvait aux prises avec une tendance irréversible « qu’aucune force ne pourrait freiner ».

Une chose est certaine, la crise qui secoue le système politique chinois n’est pas anodine. Elle est probablement la plus violente que l’appareil ait connue depuis 20 ans. La destitution de Bo Xilai n’a pas fini de projeter ses secousses dans les rangs des apparatchiks inquiets des réactions suscitées par son départ au sein de la masse des frustrés du développement qui voyaient dans le Secrétaire Général de Chongqing leur porte drapeau.

Sans parler de ceux des intellectuels qui percevaient l’expérience de Chongqing comme une solution purement chinoise aux contradictions du développement, d’autant plus pertinente qu’elle était protégée des risques mortifères portés par une démocratie à l’occidentale, dangereuse pour le Parti.

L’anxiété de la classe politique se manifeste par la rapidité des mesures prises pour éteindre la flambée populiste. Depuis le 15 mars, tous les sites maoïstes ont été fermés, et le nom de Bo Xilai banni, de même que les critiques contre Wen Jiabao. A Chongqing, les chants révolutionnaires ont été mis sous le boisseau par la police au prétexte qu’ils gênaient les voisins, tandis que les manifestations en faveur de Bo étaient rapidement dispersées.

Derrière toute cette agitation inquiète se profile peut-être la crainte, justifiée ou non, qu’un retour de flamme populiste, lancé par les laissés pour compte de la modernisation et la foule des indignés du capitalisme sauvage, ne vienne perturber l’ordonnancement du 18e Congrès. Déjà courent sur la toile chinoise les rumeurs d’un coup d’état par les partisans de Bo.

Ayant déjà perdu la face lors de l’épisode néfaste de Chengdu, le Parti, obsédé par son image et l’obligation de cohésion, au moins de façade, fera tout pour éviter un nouveau camouflet public. Mais le fait qu’au comité permament, le responsable des affaires politiques et juridiques, grand ordonateur de la sécurité publique, soit Zhou Yongkang, un allié de Bo Xilai, ne facilitera pas les choses.

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Notes de contexte.

Misères et espoirs des perspectives de démocratisation.

Une décision du ministère de la justice datant du 21 mars oblige les avocats qui renouvèlent leur licence à jurer fidélité au Parti. Le serment imposé aux avocats s’énonce comme suit : « Je jure d’accomplir fidèlement la mission sacrée du socialisme aux caractéristiques chinoises et de rester loyal à la Patrie, au peuple et aux dirigeants du Parti ».

Le porte parole du ministère a justifié la mesure en expliquant que « le serment d’allégeance au Parti était nécessaire pour confirmer la loyauté des avocats au « socialisme aux caractéristiques chinoises » et pour améliorer leur éducation idéologique. »

Cette tendance à contrôler les avocats, qui s’exprime pour la première fois avec autant de netteté, s’inscrit radicalement à contre courant d’une évolution de l’appareil judiciaire et des procédures vers plus d’indépendance. Elle souligne les obstacles à une ouverture politique du Régime et place clairement le ministère de la justice dans le clan des conservateurs, de la mouvance Wu Bangguo et Zhou Yongkang. Il est probable qu’elle provoquera des tensions entre le pouvoir, les avocats et les défenseurs de la démocratie en Chine.

Cette mesure a été adoptée à peine une semaine après que l’ANP ait révisé le code pénal sur les détentions provisoires. La nouvelle loi limite les prérogatives de la police dans les cas d’assignation à résidence et de détention provisoire, où la police est désormais obligée de prévenir la famille. En Chine la plupart des avocats des droits de l’homme doutent que ces nouvelles dispositions seront correctement appliquées.

Les dernières promesses de Wen Jiabao.

Au cours de sa conférence de presse, Wen Jiabao a promis de faire avancer quelques uns des dossiers les plus sensibles encore en suspens comme la consolidation de la propriété foncière des paysans, l’aide aux plus démunis (200 millions aux revenus inférieurs à 1,5 $ par jour), la hausse des dépenses d’éducation, aujourd’hui encore située en moyenne à 25% en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, ou la poursuite des efforts pour ramener les prix immobiliers à des niveaux acceptables pour la classe moyenne. Il a aussi promis d’augmenter la marge de fluctuation de la monnaie.

Plusieurs de ces promesses renvoient aux tensions posées par l’accumulation des responsabilités sociales et éducatives non encore assumées par l’Etat chinois. A côté des exigences du renflouement du budget de l’éducation, pèsent aussi celles de la santé publique, où les investissements de l’état sont au moins 6 fois inférieurs à ceux des pays de l’OCDE (source Banque Mondiale), et dont la faiblesse constitue aujourd’hui un des principaux obstacles à l’augmentation de la consommation intérieure.

Quant à l’immobilier, les prix des logements ont baissé depuis 2012 dans 72 des 100 villes couvertes par l’indice China Real Estate Index System (CREIS) (Bulletin économique de la Mission Economique et Financière de l’Ambassade de France) -. L’Académie des Sciences Sociales estime que les prix pourraient baisser de 5,3% en 2012. Cette chute reste en deçà des espoirs du gouvernement, par ailleurs placé sous la pression de développeurs, pour alléger les mesures de restriction du crédit.

S’agissant de la fluctuation du Yuan rien n’indique qu’elle s’élargira au-delà de la marge actuelle. Malgré les pressions à la hausse, la plupart des responsables financiers chinois ont indiqué que le mouvement continuera au même rythme. Le 27 décembre dernier, le secrétaire d’état américain au trésor Geithner a accusé la Chine de freiner l’appréciation de la monnaie chinoise.

En 2011 le Yuan s’est apprécié de 5,1% face au dollar et de 8,4% depuis le 18 juin 2010, date de l’abandon de la parité fixe après la crise. Depuis le 21 juillet 2005, date du premier abandon de la parité, le Yuan s’est apprécié de 22,3%, soit au rythme moyen de 3,6% par an. Il est peu probable que ce rythme sera accéléré. Un mouvement inverse est même possible si les tendances actuelles de fuite des capitaux et de baisses de réserve de change se confirmaient.

L’adoption du Yuan comme monnaie de réserve internationale se heurte toujours à son inconvertibilité. C’est ce qu’a confirmé Christine Lagarde qui a incité la Chine à « consolider son économie de marché ». S’il est vrai que la proportion des échanges avec la Chine libellés en Yuan augmente vite, ils ne comptent encore que pour 6% des échanges.

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Urbanisation. Services sociaux. Fiscalité.

Le rapport de la Banque Mondiale anticipe que, d’ici 2030, les 2/3 de la population chinoise résideront dans les zones urbaines.

S’il est vrai que cette tendance qui regroupe les talents, la main d’œuvre et les opportunités d’emploi est un facteur de croissance, le rapport indique que la Chine doit prendre garde à l’accompagner d’une amélioration des services sociaux, d’une meilleure interaction avec les nouvelles exigences de la classe moyenne, et de l’attribution aux municipalités de ressources fiscales suffisantes et réparties équitablement d’une région à l’autre pour éviter que les gouvernements locaux ne se financent par les spéculations foncières.

Ces suggestions touchent au cœur de la réforme du schéma de développement de la Chine. Elles renvoient à la très complexe question des revenus de l’état et des provinces. Pour l’heure la Chine se trouve encore en deçà de la moyenne de taxation des pays de l’OCDE avec 18,6% du PNB contre 26,7% pour la France et 29,3% pour l’Australie et 21,3% pour les Etats-Unis.

Son retard sur les taxes sociales est encore plus grand avec 3,41% du PNB contre 18% pour la France, 16% pour l’Allemagne, 7% pour les Etats-Unis, 11% pour le Japon. Par ailleurs, Pékin, qui s’est toujours heurté au refus des provinces les plus riches, n’a jamais réussi à faire basculer les ressources d’une province à l’autre.

 

 

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