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›› Politique intérieure

Zhou Yongkang, la chute

« Zhou Yongkang est en résidence surveillée et ses déplacements sont contrôlés. Il ne peut quitter son domicile pékinois et ses visiteurs sont filtrés ». C’est ce qu’un témoin chinois qui souhaite rester anonyme a rapporté l’agence à Reuter le 11 décembre. L’ancien n°9 du Comité Permanent, président de la Commission des Lois et responsable de la sécurité, aujourd’hui encore l’une des figures de l’industrie du pétrole dont il était il y a encore quelques semaines - en tant qu’ancien PDG du géant CNPC – l’un des très influents chefs de file, est sous le coup d’une enquête « pour avoir enfreint la discipline du Parti ».

Aucune confirmation officielle n’est encore venue de la Direction du Parti à part un twitt de CCTV. Mais, selon des sources proches du Parti, le 12 décembre, Wang Qishan président de la Commission d’inspection et de discipline aurait fait le point de l’affaire devant le Bureau Politique. Bao Tong 81 ans, ancien Directeur du bureau des réformes politiques avec Zhao Ziyang en résidence surveillée depuis 1989, vient de souligner que la Chine était à nouveau entrée dans une période de turbulences et de grands défis et a exhorté le pouvoir à tourner le dos aux pratiques du passé, appelant notamment le Parti à rendre publiques les investigations autour de Zhou.

Mais la manœuvre d’encerclement façon jeu de Go est à l’œuvre depuis les prémisses du 18e Congrès. Contrairement à l’accusation officieuse qui le frappe, les reproches faits à Zhou ne se limitent pas à la simple corruption révélée par le correspondant de Reuter. Ils sont peut-être beaucoup plus graves et seraient, selon certaines sources fiables, liés à l’assassinat de sa première épouse déguisé en accident de voiture au Sichuan, où Zhou avait été n°1 du Parti.

Du coup ces accusations, si elles étaient confirmées, simplifieraient la manœuvre d’élimination politique de Zhou en dépit de son rang au sein des grands anciens dont on sait à quel point l’influence reste vive, y compris après leur départ à la retraite. L’inculpation de meurtre faciliterait la mise en accusation pour les autres griefs qui touchent aussi à l’équilibre politique et à la lutte des clans, avec trois objectifs très clairs : la mise au pas des féodalités industrielles, l’instauration de meilleurs rapports entre le pouvoir et la société civile et un avertissement adressé aux partisans résiduels de la mouvance Bo Xilai, imbriqués avec la Nouvelle Gauche qui, de temps à autres, continuent à donner de la voix.

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Entre politique et pratiques mafieuses.

L’offensive frappe de plein fouet un homme naguère puissant mais aujourd’hui très fragilisé. Appuyé jusque récemment par l’industrie pétrolière, il fut aussi le responsable de la sécurité publique pendant 5 ans. A ce titre Zhou prônait le contrôle des mouvements sociaux par une stratégie d’encadrement très serré de la société, associé à une technique de réaction rapide pour contenir les émeutes avant qu’elles ne fassent tâche d’huile.
Lire notre article L’obsession de stabilité sociale, principal obstacle au développement d’une société civile dynamique et responsable.

Aux accusations qui planent déjà au-dessus de la tête de Zhou, il faut encore ajouter celle, éminemment sensible de l’appui qu’il avait apporté à Bo Xilai dans les prémisses de sa destitution entre la fin 2011 et la réunion de l’ANP au printemps 2012, date à laquelle éclata la nouvelle de la chute du Secrétaire Général de Chongqing. A l’époque, des rumeurs avaient même couru dans Pékin qu’un projet de coup d’État fomenté par Zhou, appuyé par les conservateurs et Bo Xilai, allait bousculer l’ordonnancement préréglé de la succession du 18e Congrès.

S’il est vrai que cette hypothèse n’a jamais été vérifiée, une source du consulat américain de Chengdu avait cependant affirmé qu’après le 8 février 2012, date de la tentative de défection de Wang Lijun, alors adjoint Bo Xilai, Zhou Yongkang aurait directement pris le contrôle de l’appareil de sécurité de Chongqing pour éviter que les enquêtes n’aillent trop loin.

Lancée par Hu Jintao et Wen Jiabao, avec l’assentiment de Xi Jinping, l’offensive contre Zhou aurait commencé quand ses fidèles de la Commission des lois avaient été remplacés. Puis, début décembre 2012, Li Chuncheng n°2 du Parti au Sichuan, proche allié de Zhou avait été démis de ses fonctions. L’attaque s’est ensuite accélérée avec l’arrestation de plusieurs douzaines de cadres et hommes d’affaires du Sichuan où Zhou avait été n°1 de 1999 à 2002.

En juin 2013, les coups se sont rapprochés avec l’incarcération de Guo Yongxiang un de ses anciens secrétaires, promu gouverneur adjoint du Sichuan. Peu après, 4 anciens hauts dirigeants de CNPC ont été mis en examen, dont Wang Yongchun n°2 de Petrochina la filiale de CNPC cotée à New-York et Hong-Kong, avec deux de ses collègues Li Hualin et Ran Xinquan, un autre vice-président de Petrochina.

Toutes ces péripéties prouvent que la manœuvre s’inscrit également dans une charge plus large contre les féodalités des grands groupes et leurs alliés. L’offensive faisait suite à la mise en examen en mai 2013 de Liu Tienan, Directeur du la Commission Nationale pour l’énergie et n°2 de la CNRD, exclu du Parti début août. Après cet assaut contre l’un des fiefs bien connus de la mouvance conservatrice, les coups se sont portés sur un autre pilier des réfractaires aux réformes, Jiang Jiemin n°1 de la SASAC, relevé de son poste.

Il se trouve - et ce n’est évidemment pas une coïncidence -, que Jiang Jiemin avait également été un des successeurs de Zhou Yongkang à la tête du géant du pétrole chinois CNPC, et Président du Conseil d’administration de Petrochina. Effet collatéral du raid contre Jiang Jiemin, le 6 octobre le magazine Caixin révélait que Zhou Bin, 40 ans, homme d’affaires et fils aîné de Zhou Yongkang, marié à une citoyenne américaine d’origine chinoise et résidant aux États-Unis, serait revenu de son plein gré à Pékin où il a été assigné à résidence pour 6 mois, afin d’aider à l’enquête sur Jiang Jiemin et son père.

Un passé glauque. La bonne aubaine de Xi Jinping.

La version glauque du passé de l’ancien n°9 du Parti, ses connivences avec Bo Xilai, les insistants soupçons de meurtre de sa première femme au Sichuan expliquent l’attention portée par l’investigation à la période où Zhou était n°1 au Sichuan. C’est en effet là qu’il fit la connaissance de sa deuxième femme, Jia Xiaoye journaliste de CCTV, de 20 ans sa cadette. Enceinte des œuvres de l’ancien n°9 du Parti, Jia réclama que son amant divorce. Peu après, la première épouse de Zhou fut tuée dans un accident de voiture. Fait étrange, les conducteurs des deux voitures impliquées dans la collision, membres de la Police Armée Populaire furent condamnés à 15 et 20 ans de prison, mais libérés 3 et 4 ans plus tard. Peu après, Zhou épousa la jeune Xiaoye.

Selon des sources proches de l’affaire citées par le site Boxun, les deux conducteurs arrêtés par la police viennent d’accuser Guo Yongxiang, ancien secrétaire de Zhou puis gouverneur adjoint du Sichuan, en détention depuis juin, de leur avoir ordonné au nom de Zhou de maquiller le meurtre en accident. La même source indique que Zhou Han, deuxième fils de l’ancien chef de la sécurité qui tient une librairie à Chengdu, aurait toujours su que sa mère avait été assassinée. Depuis l’accident, il aurait coupé tous les ponts avec son père.

Au fond, si elles étaient avérées ces péripéties sordides faciliteraient grandement la tâche de Xi Jinping. Avec Zhou Yongkang impliqué dans un crime de sang crapuleux, la manœuvre extrêmement risquée de s’attaquer aux anciens en brandissant le combat contre la corruption dont peu de cadres chinois peuvent s’exonérer, devient moins aventureuse puisqu’elle cible d’abord un homme soupçonné de meurtre.

Tandis que l’omerta entourant ce nœud d’intrigues inavouables préserve et rehausse l’image d’un Président courageux pourfendeur des corruptions, y compris jusqu’au plus haut niveau. De surcroît l’évènement conforte la réputation d’un Secrétaire Général assez intrépide pour affronter le conservatisme retranché des grands groupes publics, le lobby de l’énergie, de la Commission de surveillance des actifs de l’État et celui de la mouvance des planificateurs rattachée à la Commission Nationale pour la Réforme et Développement.

L’attaque contre Zhou Yongkang soupçonné de meurtre fait suite à l’offensive éclair menée contre son protégé Bo Xilai en mars 2012. Celui-ci était pressenti pour remplacer Zhou à la Commission des lois du Parti, mais fut destitué et condamné à vie après la mise à jour d’une première affaire crapuleuse où étaient impliqués Wang Lijun l’adjoint de Bo et Gu Kailai sa femme convaincue de l’assassinat du consultant britannique Neil Heywood.

Les dérapages meurtriers de la famille de l’un ajoutés aux soupçons d’implication directe de l’autre dans la mort de sa femme créent une césure dans la population des anciens du Parti. Elle met théoriquement la plupart d’entre eux à l’abri de l’offensive et protège du même coup Xi Jinping d’éventuelles représailles venant des anciens alliés de Zhou et Bo, comme Jia Qinglin, Li Chanchun, Wu Bangguo et quelques autres, tous rattachés au clan Jiang Zemin.

Muni de ces pièces très sulfureuses qui vont de l’appui à Bo Xilai, insupportable pour le Parti, à la suspicion de meurtre en passant par la tentation d’un coup de force, à quoi s’ajoutent une série de corruptions et de népotismes à la tête de CNPC et au Sichuan, Xi Jinping n’a pas eu de mal à convaincre le Bureau politique de s’attaquer à Zhou. Après les premières réactions des internautes qui reprenaient la vieille expression populaire « du tigre » à qui on avait « arraché les dents », 拔光了老虎的牙齿 , les derniers commentaires vont plus loin et se demandent si « le tigre ne sera pas dépecé ». La rumeur court en effet que Zhou subirait comme Bo Xilai la même humiliation d’un procès public.

Nouvel ébranlement du Parti. Une obligation de sanctions lourdes.

Ces péripéties provoquent de sévères ébranlements du fonctionnement habituel très opaque du parti confronté aux défis de sa modernisation politique économique et sociale. Après l’affaire Bo Xilai à laquelle il est connectée par la connivence entre Bo et Zhou, le choc de l’assignation à résidence de l’ancien n°9 du Parti rappelle que le paysage politique chinois reste assombri par un arrière plan mafieux et criminel construit par des cadres qui s’estiment au-dessus des lois.

Au moment où l’on parle beaucoup de modernisation liée au rêve chinois, ressurgissent du néant des histoires que les protagonistes auraient aimé oublier, mais qui jettent une lumière crue sur leur personnalité réelle et troublent gravement l’image du Parti. La nouvelle classe moyenne adepte d’internet et des réseaux sociaux qui observe et juge, est d’autant moins portée à la patience qu’elle a le sentiment que les sacro-saints secrets d’État qui verrouillent l’information ne sont en fait que des expédients pour dissimuler les ribauderies et les forfaitures des puissants.

Héritier d’une culture politique d’expédients, opaque et au-dessus des lois qui contredit et insulte la devise maoïste d’un Parti « au service du peuple », Zhou pourrait être lourdement sanctionné par une machine politique pressée de redorer l’image qu’elle donne d’elle-même. Pour l’heure cependant, quatre jours après la nouvelle diffusée par Reuter, les médias officiels du Régime gardent le silence sur l’affaire.

 

 

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