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›› Editorial

Fragilités d’EDF et d’AREVA. Le nucléaire franco-chinois menacé par les écologistes et l’après Brexit

Les tribulations du projet nucléaire de Hinkley Point.

A la suite du Brexit, les vents contraires soufflent aussi sur les projets d’exportation du nucléaire franco-chinois. Même si les médias l’évoquent peu, préférant analyser les tensions entre Londres et Pékin, la décision de Theresa May de mettre en attente la construction des réacteurs de Hinkley Point alors même qu’EDF allait lancer les travaux, porte un coup à l’alliance nucléaire entre Paris et Pékin.

Le projet est aujourd’hui pris dans la tourmente politique aux accents nationalistes évoquant les risques de sécurité industrielle posés par l’implication d’un opérateur chinois.

Pour faire bonne mesure, la polémique aux accents xénophobes très anti-chinois est aggravée par une affaire d’espionnage aux États-Unis frappant la China General Power – CGN - (33% du capital dans le projet Hinkley Point) accusée de vols de secrets technologiques par le truchement de Ho Szuhsiung, un ingénieur nucléaire américain d’origine chinoise recruté par CGN après Fukushima pour améliorer la sécurité des centrales en Chine.

En prison à Atlanta depuis avril 2016 en attente de son procès, il est accusé d’avoir recruté des ingénieurs américains payés pour capter des secrets technologiques au profit de CGN.

Les inquiétudes financières et la témérité d’EDF.

Mais derrière cette polémique aux accents de roman d’espionnage, se cachent quelques réalités bien concrètes qui pointent du doigt la témérité financière d’EDF dénoncée en avril dernier par l’ancien directeur financier de l’électricien français Thomas Piquemal auditionné par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Pour ce dernier, sur la même ligne prudente que Theresa May, le projet Hinkley Point évalué à 23 Mds d’€ contesté par les syndicats français s’appuyait sur un montage financier mal assuré très fragilisé par une baisse du prix de l’électricité alors même qu’EDF avait déjà investi 14 Mds d’€ soit 58% de ses fonds propres en partie consacrés à accompagner depuis 10 ans le développement et la construction aléatoire des EPR. Voir à ce sujet l’article du Point du 4 mai dernier

Le caractère acrobatique du financement a encore été accentué par le retrait des capitaux d’AREVA lui-même embourbé dans d’importantes difficultés.

La polémique qui agace d’autant plus le politburo chinois que le président Xi Jinping s’était lui-même investi dans la signature du projet lors de sa visite au Royaume Uni à l’automne 2015 [4] n’est pas terminée.

La voilà qui prend un tour franco-français empêtré dans les difficultés financières et industrielles d’AREVA et d’EDF, épines dorsales des nouvelles coopérations nucléaires franco-chinoises. Alors qu’AREVA a renoncé à son investissement dans le projet, début août, l’intersyndicale d’EDF dénonçait « le passage en force » du projet après que le tribunal administratif ait rejeté le recours du comité d’entreprise visant à suspendre le feu vert donné par le conseil d’administration.

Mise à jour du 17 septembre 2016.

Alors que le 15 septembre Theresa May a finalement donné son feu vert pour la construction des centrales de Hinkley Point dont le budget s’élève à 18 Mds de £ (21 Mds d’€), Vince Cable, ancien ministre de l’industrie et de l’énergie (2010 - 2015) a rappelé qu’aucun des problèmes sous-jacents au projet (prix très élevé du KW garanti pour 35 ans et interrogations de sécurité liées à la présence d’un groupe nucléaire chinois parmi les maîtres d’œuvre) n’avaient été réglés. Quant à Barry Gardiner, le ministre de l’industrie du shadow cabinet, il a, sans trop de nuances, souligné que Londres avait cédé au chantage chinois.

Greg Clark, successeur de Vince Cable a défendu la décision en argumentant autour de l’absence d’alternative financière et industrielle et du choix écologique pour une centrale non polluante. Il a cependant concédé que pour les futurs projets chinois au Royaume Uni, le gouvernement prendra part aux financements pour se réserver le droit de veto en cas de menace sur la sécurité.

Côté français, Manuel Valls a, sans surprise, exprimé le soulagement du gouvernement et souligné que le projet était une garantie d’emplois pour l’industrie nucléaire française. Quant aux Chinois de CGN, ils peuvent à nouveau caresser l’espoir de construire au RU la centrale de Bradwell (Sussex) indépendante des Français. Si CGN remportait l’appel d’offres - la soumission est imminente -, le projet de Bradwell deviendrait le premier de l’industrie nucléaire chinoise dans un pays développé.

Même si, comme le souligne le Guardian, la décision britannique à propos de Bradwell n’interviendra pas avant 4 ans, un succès de CGN modifierait les perspectives d’avenir de l’industrie nucléaire chinoise. Pour autant, compte tenu des vents écologique adverses qui soufflent en Occident depuis la catastrophe de Fukushima, rien n’est sûr. A suivre donc.

*

Les tribulations compliquées du nucléaire franco-chinois empêtré dans la nostalgie de la rassurante suprématie technologique des héritiers de FRAMATOME témoignent des difficultés d’un réajustement stratégique dont les acteurs peinent à trouver les nouvelles marques entre l’audace téméraire de grands projets et le réalisme comptable de gestionnaires.

En France et en Angleterre, ces derniers qui craignent le creusement de gouffres financiers ingérables, constatent qu’en Chine aussi les arrières plans politiques – qu’ils soient ceux de la nouvelle conscience écologique des classes moyennes ou ceux de l’image d’un pouvoir craignant de perdre la face - créent des rigidités embarrassant sérieusement l’approche rationnelle d’une relation d’affaires embrouillée par l’intrusion de l’incohérence politique.

Lire aussi : Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme

Note(s) :

[4Par une de ses déclarations très contreproductives à l’arrière plan politique lourd où perçaient des menaces de représailles contre les affaires britanniques sur le marché chinois, l’ambassadeur de Chine au Royaume Uni Liu Xiaoming a renchéri en déclarant que « les relations sino-britanniques se trouvaient à un point crucial ». La déclaration intempestive motivée par la volonté de protéger l’aura politique du n°1 chinois très engagé derrière le projet, manquait cependant la partie essentielle de l’image qui fonde les soucis de Theresa May.

Depuis la naissance du projet en 2013, ses bases financières ont été sérieusement remises en question, autour de deux évolutions lourdes et contraires évoquées par le Financial Times le 9 août. Tandis que le coût de construction des réacteurs augmentaient, les prix de l’électricité baissaient, alors que le gouvernement britannique s’est, dans le cadre du projet, engagé à la payer pendant 35 ans 92,50 £ le MWh, soit deux fois le prix actuel du marché.


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Par Philippe Le 15/08/2016 à 16h19

Fragilités d’EDF et d’AREVA. Le nucléaire franco-chinois menacé par les écologistes et l’après Brexit.

Interessant...

1) Hinkley Point C is the name of the project not Hinkelpoint.
2) British Energy does not exist anymore, EDF Energy now.
3) « Greenpeace à l’affut de toutes les opportunités pour affaiblir la filière demandait l’arrêt de toutes installations en France et à l’étranger jusqu’à ce que les incertitudes pesant sur la sécurité radiologique soient levées » LOL, sure, excellent idea, let’s shutdown 75% of france electricity supply, at least maybe it will stop Greenpeace France making some stupid suggestions once the battery of their laptop has run out.

Phil

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