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›› Chronique

La mémoire voilée de Tian An Men

Que sont devenus les dissidents de 1989 ?

La pugnacité de ces nouveaux dissidents fait écho aux anciens protestataires de Tian An Men, dont la répression avait momentanément bâillonné la voix. Beaucoup d’entre ceux qui échappèrent à la répression se réfugièrent hors de Chine, grâce à des réseaux connectés à l’étranger qui allèrent parfois jusqu’à faire appel à la mafia chinoise et aux triades rémunérées pour exfiltrer les étudiants vers Hong Kong.

Une semaine après la répression le Parti publia une liste où figuraient les noms des 21 étudiants les plus recherchés avec leurs photos. 14 d’entre eux furent arrêté rapidement, dont certains se constituèrent eux-mêmes prisonniers. Les autres se sont enfuis par Hong Kong avec l’aide de filières étrangères.

Par la suite, plusieurs des 14 incarcérés furent autorisés à quitter la Chine après leurs peines de prison. Ils vivent à Taïwan ou aux Etats-Unis. Six autres vivent en Chine et ont abandonné l’activisme politique. L’examen des peines infligées révèle une certaine mansuétude du régime à l’égard des étudiants, dont la plupart étaient en filiation directe ou indirecte avec l’oligarchie.

On constate en revanche que les peines s’alourdissent quand il s’agit de professeurs plus âgés considérés comme des instigateurs. Enfin, le maximum est infligé quand le régime juge que les coupables ont été directement soutenus, voire financés de l’extérieur. La liste qui suit, loin d’être exhaustive, jette un éclairage sur ceux qui furent les plus recherchés par le régime.

Wang Dan, 45 ans

Un des leaders étudiants les plus médiatiques lors des manifestations de la place Tian’anmen en 1989, il fut condamné à 4 ans de prison.

Libéré en 1993, il est aujourd’hui Docteur en histoire de l’Université de Harvard et professeur à Taïwan.

Wuer Kaixi, 46 ans

D’origine ouïghour, célèbre pour s’être opposé au premier ministre Li Peng, lors d’une émission télévisée avec les étudiants. Echappé par Hong Kong, il a d’abord séjourné en France avant de se rendre aux États-Unis où il étudia à Harvard mais échoua aux examens. Aujourd’hui à Taïwan, où il travaille comme employé de banque, il est resté un militant politique très actif, toujours interdit de séjour en Chine.

Liu Gang, 53 ans

Après avoir purgé 6 années de prison jusqu’en 1995, toujours harcelé en Chine, il s’enfuit aux États-Unis qui lui accordent l’asile politique. Licencié en informatique et en physique, il obtient un poste chez Morgan Stanley comme analyste des nouvelles technologies de l’information. En 2011, il souleva une controverse en accusant publiquement son épouse Guo Yinghua (Elisa Guo aux Etats-Unis), d’être une espionne chinoise. Dans un récit publié sur son blog, il raconte que, lors d’une réception une de ses connaissances la salua comme un officier de l’APL.

Chai Ling, 48 ans

L’une des étudiantes les plus en vues de 1989. Diplômée de l’Université Normale de Pékin, elle vécut pendant 10 mois dans la clandestinité avec son mari Feng Congde avant de s’échapper en France par Hong Kong. Arrivé aux Etats-Unis, le couple divorça et Chai Ling diplômée de Harvard, créa une société de programmes informatiques avec son nouveau mari américain. Récemment, elle a fondé une ONG pour la défense des droits des femmes (All Girls Allowed) qui milite aussi pour l’abolition de la politique de l’enfant unique en Chine.

Zhou Fengsuo, 47 ans

A l’époque étudiant en physique à Qinghua, et président de la fédération des étudiants autonomes, il avait été livré à la police par sa soeur et son beau-frère qui craignaient pour sa vie. Après avoir purgé plusieurs années de prison, il émigra aux États-Unis où il a obtenu un diplôme d’économie à l’université de Chicago. Plus tard il a travaillé dans les services financiers avant de fonder « Humanitarian China », une association de promotion de l’état de droit et de la société civile en Chine qui collecte des fonds pour venir en aide aux prisonniers politiques.

Le 5 juin dernier, le New-York Times publiait un article révélant que Zhou avait réussi à obtenir un visa d’entrée de 72 heures en Chine dans les premiers jours de juin. Pendant son séjour qui était un pèlerinage, il a été arrêté et interrogé pendant 18 heures avant d’être relâché et expulsé. Zhou dit avoir pris sa décision de revenir en Chine après l’arrestation début mai du très pugnace avocat des droits et des dissidents Pu Zhiqiang et d’une dizaine d’autres activistes qui avaient participé à un séminaire privé destiné à commémorer le 4 juin 1989.

Lire l’article de Brice Pedroletti dans le Monde L’avocat Pu Zhiqiang en croisade contre les abus de la lutte anticorruption.

Li Lu, 48 ans

Devenu célèbre pour sa grève de la fin en 1989, il fut exfiltré de Chine après 10 jours de cavale. Aux Etats-Unis, après un diplôme d’économie obtenu à l’Université de Columbia, il devint gestionnaire financier et créa « Himalaya Capital » en 1997, conseillant des fonds américains pour leurs investissements en Chine.

En 2010, il effectua un voyage en Chine en compagnie de Warren Buffet qu’il assista pour l’acquisition de parts dans le groupe automobile BYD. En 1990, il a publié un livre sur ses expériences en Chine : « Moving the mountain. My life in China » ISBN 0-399-13545-6. En 2004, il a basculé de la gestion de fonds spéculatif vers le management plus classique de fonds à long terme. Li Lu est aujourd’hui très introduit dans l’establishement de la finance américaine, au point qu’un moment la rumeur l’avait identifié comme le probable successeur de Warren Buffet.

Xiong Yan, 50 ans

Étudiant en droit en 1989 à l’université de Pékin il était dans la période probatoire pour entrer au Parti. D’abord désigné par ses camarades pour négocier avec les autorités, il renonça au parti après la répression et entra dans la clandestinité, avant d’être arrêté et condamné à 19 mois de prison. Après sa libération, il s’échappa vers Hong Kong à bord d’un chalutier.

En 1992, il obtint l’asile politique aux États-Unis, puis, converti au christianisme, il devint aumônier dans l’armée des États-Unis, qui l’envoya en Irak. En 2009 il obtint un doctorat de théologie à l’institut de théologie Gordon-Conwell à Boston. En 2009 son livre « De la place Tian An Men à l’Irak » a été publié à Hong Kong.

Wang Juntao, 51 ans

Emprisonné plusieurs une première fois en avril 1976, alors qu’il n’était qu’un lycéen de 17 ans, pour avoir organisé deux rassemblements d’étudiants à Tian An Men durant la fête des ancêtres (Qing Ming Jie) et avoir publié 4 poèmes « contre-révolutionnaires », il fut arrêté une 2e fois suite à la répression du 4 juin 1989, après avoir été violemment critiqué par le Quotidien du Peuple en décembre 1989 qui le désigna comme « l’homme clé qui instigua, organisa et dirigea les émeutes contre révolutionnaires ».

Condamné à 13 ans de prison, il fut cependant relâché sous condition en 1994 et expulsé aux États-Unis où il obtint un diplôme de sciences politiques à l’Universté de Columbia en 2006. La même année 2006 il fut élu vice-président du Parti démocratique chinois, interdit en Chine depuis 1998.

Wang Youcai, 48 ans

En 1989, Wang étudiant à Beida, fut condamné à 4 ans de prison en 1991 puis relâché grâce à la pression des Etats-Unis.

En 1998 il fonda le Parti Démocratique Chinois aussitôt interdit par le régime qui condamna Wang à 11 ans de prison. En 2004, il fut expulsé aux États-Unis où il obtint une licence de physique, puis un doctorat en 2011. Simultanément, toujours investi dans la promotion du Parti démocratique, il continua ses activités d’opposant politique au régime chinois,

Su Xiaokang, 65 ans

Ecrivain auteur d’une série documentaire réaliste en 6 épisodes intitulée « L’élégie du fleuve » (He Shang), diffusée par la télévision chinois de 1988 à 1989 qui racontait de manière à peine voilée le déclin de la culture chinoise, mettant en évidence les contrastes entre la « transparence » démocratique et l’opacité des dictatures, critiquant indirectement le magistère du Parti.

Par la suite le régime le désigna avec une cinquantaine d’autres intellectuels comme l’un des principaux instigateurs des manifestations de Tian An Men, qualifiées « d’émeutes » par le Parti. Avant le 4 juin 1989, il fut pourtant de ceux qui tentèrent de faire cesser les grèves de la faim dont il prévoyait qu’elles conduiraient à un affrontement sanglant.

Il fut exfiltré en France par Hong Kong puis retrouva son épouse aux Etats-Unis. Il est le fondateur du magazine en ligne « Democratic China ». En 1997, il publia en Chinois une douloureuse introspection qui raconte les difficultés de son exil et l’accident d’automobile qui paralysa son épouse, Li Hun Li Zi Xu) traduite en anglais en 2001 : « A Memoir of misfortune ». En 2003, il a été autorisé à rentrer en Chine pour assister aux funérailles de son père à la condition d’éviter le contact avec les médias et les activistes et de ne pas s’exprimer publiquement. En 2013 il dénonça les atrocités du maoïsme avec « The era of slaying the dragon », remise en cause directe de la légitimité historique du Parti.

Liao Yiwu 56 ans

fils d’un couple de dissidents, poète populaire devenu subversif, il faillit mourir de faim peu après sa naissance lors du grand bond en avant. En 1990 il est condamné à 4 ans de prison pour avoir tenté de mettre en scène une pièce de théâtre en vers à la mémoire des victimes de Tian An Men (« Poèmes de prison : le grand massacre », traduction Shanshan Sun et Anne-Marie Jeanjean, L’Harmattan, 2008).

Après sa sortie de prison où il apprit à jouer de la flute de bambou (xiao) avec un moine tibétain incarcéré avec lui, il entreprit de raconter la vie des misérables et des laissés pour compte de la croissance (« L’Empire des bas-fonds », traduction de Marie Holzman, Editions Bleu de Chine, 2003).

En mai 2008 après le séisme au Sichuan il dénonça les officiels corrompus qui laissèrent construire des écoles trop fragiles avec des matériaux frelatés, en rassemblant les interviews de survivants dans un ouvrage traduit en français « Quand la terre s’est ouverte au Sichuan : journal d’une tragédie », paru en 2010, préface de Marie Holzman, traduction de Marc Raimbourg (Buchet / Chastel).

Après le séisme du Sichuan, il signa la même année la Charte 08 avec 300 intellectuels chinois réclamant l’instauration de la démocratie. En janvier 2013 paraît en France édité par François Bourin « L’empire des ténèbres » qui raconte son incarcération. Robert Badinter a considéré l’ouvrage comme l’un des grands livres de la littérature pénitentiaire, à côté de l’archipel du goulag de Soljenitsyne. Liao vit en Allemagne depuis 2011.

Liu Xiaobo, 59 ans. Décédé en prison d’un cancer en 2017

Docteur en littérature, il a été enseignant-chercheur à l’Université de Hawaï, puis de Columbia, très influencé par les thèses occidentales sur la démocratie. Américanophile affiché, il sera plus tard un maillon essentiel des ONG anglo-saxonnes, bêtes noires de Pékin, sponsorisées par le gouvernement américain pour promouvoir la démocratie. Lors des événements de Tian An Men il participe par solidarité aux grèves de la faim des étudiants. Le 6 juin 1989, il est arrêté et condamné à 18 mois de prison pour « émeutes contre révolutionnaires ».

Entre 1996 et 1999 il subit une rééducation par le travail dans un Laojiao en Mongolie pour avoir réclamé l’instauration de la démocratie et la libération des prisonniers politiques de Tian An Men. Entre 2003 et 2007 il est président de l’Independant Chinese Pen Center financé par les Etats-Unis, affilié au PEN American Center (PEN), créé en 1922 à New-York pour promouvoir la littérature et la liberté d’expression.

En mars 2008, après les émeutes de Lhassa il dénonce avec Wang Lixiong et 28 autres intellectuels les méthodes brutales du Parti au Tibet et au Xinjiang. En décembre 2008, il est l’un des instigateurs et signataire la Charte 08 avec 300 autres intellectuels et citoyens chinois connus.

Arrêté en juin 2009, il est condamné à 11 ans de prison pour subversion. Simultanément, le Quotidien du Peuple accusa Liu de travailler pour les « forces anti-chinoises de l’Occident ». Le 8 octobre 2010, Liu Xiaobo est distingué par le prix Nobel de la paix pour ses « efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine. » Son décès en prison en juillet 2017 d’un cancer fit la une de tous les médias.

Yan Jiaqi, 68 ans

Yan était en 1989 le Conseiller politique de Zhao Ziyang après avoir été le Directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de l’Académie des Sciences sociales. et désigné par le Front Uni pour négocier avec les étudiants pour faire stopper la grève de la faim. Mais, le 26 mai, prenant partie pour les étudiants, il publie avec Bao Zunxin et quelques autres, un communiqué accusant le Parti « d’abuser de son pouvoir et de gouverner la Chine de manière inhumaine et irresponsable ».

Après la répression, il s’enfuit en France où il crée la Fédération des démocrates chinois dont il est le président, avant d’émigrer aux Etats-Unis où il est maître de conférence à l’Université de Columbia. Il est exclu du Parti en 1991 et ses oeuvres « Théorie du gouvernement » et « Révolution culturelle, dix ans d’histoire » sont toujours interdites en Chine.

Bao Zunxin, décédé en 2007

Emporté à 70 ans par une attaque cérébrale, en 1989 il était chercheur à l’Institut d’histoire de l’Académie des Sciences Sociales et professeur à l’Université Normale de Pékin.

Après avoir été désigné pour négocier avec les étudiants, il épousa leur cause. La signature d’une pétition qui accusait Deng Xiao Ping de gouverner la Chine de manière impériale, lui valut 5 ans de prison pour propagande contre révolutionnaire et incitation à la révolte. Il fut relâché après 3 ans et-demi.

Xu Wenli, 71 ans

Philosophe et politologue autodidacte, Xu fut l(un des auteurs des appels à la démocratie en 1979. Condamné deux fois (1981 et 1998) à un total de 28 ans de prison, il a purgé 16 ans de prison pour avoir successivement proposé une réforme de la société chinoise, puis la fin du système de Parti unique, avec, à l’appui, la création en 1998 d’un parti démocratique d’opposition à Pékin et Tianjin. En 2002 il a été autorisé à émigrer aux États-Unis. En 2003, il fut nommé Docteur honoris causa de l’Université Brown Rhode Island où il enseigne l’histoire chinoise et la situation de la démocratie en Chine.

Fang Lizhi, décédé aux États-Unis en 2012

Cet astrophysicien de formation ayant beaucoup voyagé à l’étranger, fut jusqu’en 1987 vice-recteur de l’Université des Sciences et Technologies de Hefei (Anhui), quand il fut révoqué de son poste et exclu du parti à la suite des manifestations étudiantes que le Parti l’accusa de soutenir.

Pendant les troubles de Tian An men, il se réfugia avec son épouse à l"Ambassade des États-Unis où les deux sont restés confinés une année avant que Pékin et Washington tombent d’accord pour les autoriser à émigrer.

Après un passage aux Universités de Cambridge et Princeton, Fang devint en 1992 professeur de physique et d’astronomie à l’université d’Arizona à Tucson.

Wei Jingsheng, 64 ans

Un des plus célèbres dissidents chinois, Wei était en prison en 1989. Ancien garde rouge, instigateur du « mur de la démocratie » qui, en 1979, réclamait la « 5e modernisation », il dénonça les réformes de Deng Xiao Ping comme un leurre et fut condamné le 29 mars 1979 à 15 ans de prison. Libéré en 1994, il est la même année à nouveau condamné à 14 ans.

Relâché trois ans plus tard en 1997, il est expulsé aux Etats-Unis après avoir été incarcéré au total 18 ans pour motifs politiques. Aux États-Unis où il a reçu plusieurs prix (Prix Kennedy des droits de l’homme, Prix Sakharov pour la liberté de pensée), Wei Jingsheng participe à la promotion de la démocratie en Chine.

Voir, publiée par Bleu de Chine, la biographie de Wei Jingsheng par la sinologue Marie Holzman.


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