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›› Editorial

Les trois images de la politique intérieure chinoise

En politique intérieure l’image compte beaucoup. Presque autant que le fond. La Chine, dont la vie sociale et politique, sur fond de luttes de clans et de rivalités occultes, s’articule autour du nationalisme et du ciment de la révolution, codifiée par les rigidités hiérarchiques de la bureaucratie et la notion de « face » - sorte d’image de marque que chacun (l’Etat comme les particuliers) tente de préserver du mieux qu’il peut -, n’échappe pas à ces règles.

Trois images, dont la netteté va décroissant, se superposent les unes aux autres : La « Grande Image » d’abord, est celle qui renvoie aux mythes fondateurs dans lesquels le peuple et la nation sont sensés se reconnaître : celle d’une Chine pluri-millénnaire, sage et bénévolente, encore proche de ses racines, qui reprend pacifiquement sa place centrale dans le concert des nations, tout en corrigeant les effet pervers d’une modernisation qui ne lasse pas d’étonner le monde. Dans cette image édifiante, qui construit le mythe de la Chine moderne, aujourd’hui à l’aise avec son histoire ancestrale et son passé révolutionnaire récent, préparant activement l’avenir en aidant les plus pauvres et les plus démunis à rester dans la course, il n’y a pas de place pour les querelles des hommes et les rivalités de pouvoir.

La deuxième image est un peu plus floue : c’est celle des arrangements, où l’on voit que derrière les images stéréotypées et un peu fixes s’organisent les compromis, les concessions et les changements de camp qui font bouger les lignes : On croit par exemple y deviner que certains « réformateurs » s’allient aux « conservateurs », ou encore que la « faction de Shanghai » - réputée libérale pure et dure - sous la bannière du Vice-Président Zeng Qinghong se rapproche de la faction Hu Jintao, par intérêt à court terme ou par conviction, pour adopter une ligne médiane que certains disent sages et que d’autres jugent pusillanime.

Sauf que les mots ont parfois perdu leur sens face aux nouveaux défis qui montent. Ici les « réformateurs » sont identifiés aux libéraux qui veulent pousser les feux de l’ouverture économique ; ailleurs on les associe à la quête sulfureuse d’ouverture politique qui, depuis l’intérieur du Parti, prétend promouvoir la démocratie, la séparation des pouvoirs et le renforcement de l’état de droit. Quant au concept de « conservateurs », son audience est large : elle va des nostalgiques du maoïsme à ceux qui, sans retomber dans le dogmes, veulent freiner les emballements du capitalisme sauvage. Ces derniers se reconnaissent dans le discours de l’actuelle équipe au pouvoir, préocupée de réparer les dommages de la course en avant - ce qui nous renvoie à la « Grande Image » -.

Il n’est donc pas facile d’identifier dans ces superpositions une ligne politique autre que celle qui tente de préserver le rôle central du PCC et d’y démêler, chez les uns et les autres, le « sens de l’Etat et de l’intérêt général » de « l’opportunisme politique ». Un chose paraît cependant certaine : pour beaucoup de militants, « opportunisme » et « intérêt général » se confondent dans la nécessité de préserver absolument l’unité de Parti. Un dogme qui, pour l’instant, limite très sérieusement la portée des idées de réformes politiques.

La troisième image enfin, est opaque : c’est celle des hommes tels qu’en eux-mêmes, dont les rivalités et les défauts se confondent souvent - comme ailleurs dans le monde - avec le goût exacerbé du pouvoir, traînant dans son sillage l’orgueil, les désirs de puissance, l’obsession de vengeance et les haines qui menacent la cohésion et la cohérence du pouvoir central. Autant de raisons qui font que cette dernière image n’apparaît qu’au travers des rumeurs, ou de fugaces clartés, vite obscurcies par les démentis ou évacuées dans les charrettes des boucs émissaires.

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A première vue les couteaux sont tirés entre la faction de Shanghai (Jiang Zemin et Zeng Qinghong) et celle de Pékin (Hu Jintao et ses alliés des Tuanpai). A l’automne dernier, par une manoeuvre aussi brutale que soudaine, Le Président avait porté un coup sévère aux Shangaïens en éliminant le sécrétaire du Parti Chen Liangyu, membre du bureau politique, proche de Jiang Zemin, aujourd’hui exclu du PC et probablement bientôt condamné. Mais les choses sont probablement plus complexes : Chen Liangyu n’a pas été remplacé par un fidèle de Hu Jintao mais par Xi Jinping, un proche de Zeng Qinghong, fils du révolutionnaire Xi Zhongxun, purgé pendant la révolution culturelle.

La vérité est que Zeng Qinghong, ancien appui fidèle de Jiang Zemin, a d’autres atouts dans sa manche qui consolident sa position et lui permettent sans dommages de se désolidariser de la faction de son ancien mentor, aujourd’hui très affaiblie. La marge de manoeuvre de ce « fils de prince », dont le père, vétéran de l’APL, fut vice-maire de Shanghai en 1949, puis ministre de l’intérieur en 1960, et dont la mère, Deng Liuqin, ancienne de la Longue Marche fut, dans les années 50 la directrice du jardin d’enfants des cadres du Parti à Shanghai, s’est en effet construite grace à l’influence de ses semblables, eux aussi fils de révolutionnaires connus. Ces derniers inspirent toujours le respect et sont la base arrière politique de Zeng.

Dans ce contexte, où il a quelques atouts et toujours beaucoup d’influence, le Vice-Président, se serait dit-on rapproché de Hu Jintao, dans une sorte de « paix des braves », visant à éviter les querelles mortifères. De son côté le Président, mesurant le poids de Zeng, serait déjà acquis à l’idée d’une « cohabitation » à la chinoise pour associer au pouvoir les meilleurs talents de la faction de Shanghai. Hu Jintao se satisfait de ce compromis qui, chez les Shanghaïens, sacrifie la faction Jiang Zemin en protégeant celle de Zeng.

Signe de la complexité des situations, qui ne peuvent pas se réduire à une lutte de clans, les noms qui émergent dans ces arrangements recoupent à la fois le réseau de Zeng et celui de Hu. Outre Xi Jinping, on rencontre dans cette liste des étoiles montantes qui, selon toute vraisemblance, entreront au bureau politique à l’automne : Liu Yandong, fille de Lui Ruilong, révolutionaire du Jiangsu, ancien chef de la propagande de l’armée rouge, puis secrétaire du parti de Shanghai après 1949, décédé en 1988. Cette femme à poigne de 62 ans, également proche de Hu Jintao, à la tête du département du « Front Uni » et Vice-Présidente de la Conférence Consultative du Peuple, diplômée de Qinghua, a une telle aura dans le Parti qu’on parle d’elle pour remplacer Zeng Qinghong à la Vice-Présidence en 2008. A côté d’elle se détachent Wang Qichan et Xu Caihou. Le premier, 59 ans, maire de Pékin, nommé après les destitutions de 2003, conséquences de la gestion catastrophique de l’épidémie de SRAS, est président du Comité d’Organisation des JO. Il est le gendre de Yao Yilin, ancien commissaire politique de l’APL, lui aussi purgé pendant la révolution culturelle puis réhabilité par Deng, qui en fit un vice-premier ministre en charge des réformes à la fin des années 70. Quant au général Xu Caihou, 64 ans, commissaire politique de l’APL, Vice-Président de la Commission Militaire Centrale et membre du secrétariat du Comité Central, il est le fils de Xu Lefu, ancien commissaire politique de l’armée de l’air à Shenyang et à Pékin. Troisième dans la hiérarchie militaire derrière les généraux Guo Boxiong et Cao Gangchuan, il pourrait remplacer ce dernier, (72 ans) au bureau politique.

Alors que l’alliance Zeng - Hu dessine un compromis au sommet, le Président continue en revanche de réduire l’influence de Jiang Zemin à la portion congrue. Après la mise à l’écart de Chen Liangyu qui avait commis l’erreur politique majeure de se heurter de front à Hu Jintao, critiquant ouvertement le coup de barre social de la politique économique, le Président semble maintenant vouloir affaiblir Jia Qinglin, très proche de Jiang Zemin, membre du Comité Permanent du Bureau Politique et Président de la Conférence Consultative du Peuple. Ce dernier est dans le collimateur de la lutte anti-corruption depuis que son ex-femme et son fils Jia Yan avaient été compromis dans une affaire d’évasion fiscale massive à Xiamen en 2000. En avril dernier deux de ses plus fidèles soutiens, responsables politiques du quartier de Haidian, où sont concentrées les universités de la capitale chinoise, ont été limogés pour une affaire de corruption.

Certains observateurs y voient les prémisses du départ de Jia Qingling (68 ans) qui pourrait être écarté du Bureau Politique pour corruption, lors du Congrès du PC à l’automne. Après l’éviction de Chen Liangyu, le décès de Huang Ju et le départ probable de Luo Gan (72 ans), atteint par la limite d’âge, le Bureau Politique aurait été ainsi débarrassé des plus sérieux opposants à la politique de Hu Jintao. Le départ de Jia Qinglin porterait à quatre le nombre de postes à pourvoir dans le saint des saints du pouvoir chinois.

Il y a donc du pain sur la planche en perspective pour les 2217 délégués du 17e Congrès, à la fois spectateurs et acteurs d’une pièce politique, dont les grandes scènes sont déjà écrites. La foule des représentants des provinces qui viendront à Pékin accompagnés de leur logistique (au bas mot 20 000 personnes pour la totalité du Congrès) seront aussi le témoin des tractations et marchandages qui, du Comité Central du Parti au Comité Permanent du Bureau Politique, en passant par les instances locales, démultipliées jusque dans les villes et les villages, accompagnent l’accouchement gigogne du pouvoir politique chinois.

 

 

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