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›› Editorial

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

A la mi-mars 2023, 24 heures après le serment d’investiture de Xi Jinping à l’orée de son troisième mandat adoubé par le vote unanime des 2952 délégués présents de la 14e Assemblée Nationale Populaire, Wang Yi, le Ministre des Affaires étrangères chinois mettait magistralement en scène la capacité de la Chine à s’insinuer avec succès sur les plates-bandes de l’Amérique au Moyen Orient. (lire : A Ryad, la Chine anti-occidentale et dépendante du pétrole arabe ébranle l’ambiguïté de la prévalence américaine & Un vent chinois s’est levé au Moyen Orient).

Articulée à la vision planétaire d’une Chine capable de propager la paix dans le monde opposée à la très intrusive agressivité américaine et formalisée par le nouveau mot d’ordre international du Waijiaobu qui, depuis 2022, propose son « Initiative de sécurité globale - 全球安全倡议 Quanqiu anquan changyi -, Pékin est peut-être arrivée au bout de sa logique.

Le fait est que, face au déchainement de violence au Moyen Orient, la manœuvre qui jusqu’à présent, avait tenté de ménager les relations avec les pays arabes autant qu’avec Israël par les projets de développement d’infrastructures, d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, paraît avoir perdu une partie de son efficacité.

Même si en apparence, le « vent chinois » d’appel à la paix et à la concorde par-delà les rivalités enkystées, était le bienvenu, la réalité est que la Chine et ses diplomates n’ont pas l’expérience de la navigation dans les eaux empoisonnées d’une des régions où fermentent depuis des siècles les haines les plus meurtrières de l’histoire du monde.

La réalité est que, depuis le massacre du 7 octobre, Pékin dont la stratégie anti-occidentale bat le rappel du « Sud global », a abandonné son ancestral chemin de prudence et de neutralité, première condition d’une médiation efficace entre belligérants.

Une difficile neutralité.

Pour le chercheur Israélien Mordechai Chaziza, docteur en géopolitique et spécialiste des stratégies chinoises au Moyen Orient, « La Chine [NDLE : Pour l’heure, alors que l’éventail des intérêts stratégiques chinois, s’est ouvert, le premier souci de Pékin reste sa rivalité avec Washington,] qui redoute de renforcer la position de Washington dans la région, n’a aucun intérêt à rejoindre une coalition occidentale dirigée par les États-Unis, dont le premier effet serait d’affaiblir sa position dans la zone. » (lire notre article : A la croisée des chemins, Pékin fait le choix de « la rue arabe » contre l’Occident).

Ce n’est pas tout. La Chine, proche de Téhéran à qui elle achète 90% de ses exportations de pétrole (lire : L’Iran, enjeu historique du défi chinois à Washington), a semblé hésiter à faire peser son influence pour faire cesser les harcèlements des routes maritimes en Mer Rouge par les rebelles Houthi proche de l’Iran.

Les atermoiements chinois installent un doute.

Alors même que les attaques contre l’une des routes maritimes les plus encombrées du monde bouleversent le commerce mondial et attisent l’angoisse d’un élargissement planétaire de la guerre entre Israël et le Hamas, il n’est pas certain que la proximité commerciale et les projets communs de développement entre Pékin et Téhéran puissent se transformer en capacité d’influence géopolitique.

Les réticences de Pékin sont d’autant plus étonnantes qu’il est faux de dire que les intérêts chinois ne seraient pas impactés par les missiles Houthis. Même si ces derniers, agissant sous l’influence de Téhéran contre les intérêts de l’Arabie saoudite, ont publiquement fait savoir qu’ils ne cibleraient pas des navires russes ou chinois, l’examen des flux du trafic maritime montre que les agressions touchent de plein fouet la vaste logistique maritime chinoise.

Mer Rouge, menaces contre la réputation chinoise « de faiseur de paix » par le dialogue.

Alors que pour d’évidentes raisons de sécurité, 90% du trafic contourne désormais l’Afrique, entre novembre 2023 et janvier 2024, les tarifs du fret maritime entre Shanghai et l’Europe ont été multipliés par trois. Au milieu des affres du ralentissement de la croissance, la perte sèche met en danger les comptes des exportateurs chinois.

L’inaction de Pékin affaiblit aussi sa réputation de grande puissance d’apaisement auprès des acteurs locaux.

Depuis Abu Dhabi où il réside, Jonathan Fulton, chercheur non-résident de l’Atlantic Council estime que l’inaction de Pékin porte atteinte à sa crédibilité régionale « La perception selon laquelle il s’agirait d’une puissance émergente neutre capable d’imposer la paix ne tiendra pas si la Chine n’essaie pas de s’impliquer  ».(…)

Il ajoute, « alors que la coalition dirigée par les États-Unis et le Royaume-Uni fait le gros du travail, Pékin reste inerte et se contente d’observer. C’est une mauvaise idée ». (…) « Le risque existe que certains pays de la zone finissent par considérer la Chine comme un tigre de papier. »

C’est objectivement le cas de l’Égypte qui perd des millions de Dollars à la suite de l’effondrement du trafic par le canal de Suez, ou de Ryad Engagée, après neuf ans de conflit direct dans des pourparlers de paix avec les Houthis qui continuent de la menacer directement, l’Arabie saoudite attend impatiemment que la posture d’apaisement mise en scène en fanfare avec Téhéran à Pékin le 11 mars 2023, se traduise en actes.

Alors que les missiles Houthis transforment la Mer Rouge en zone de guerre, dans la péninsule arabique on n’a pas oublié le triomphalisme du Ministre des Affaires étrangères Wang Yi, qui, il y a moins d’un an, déclarait que « grâce à la Chine, une vague de réconciliation avait déferlé sur le Moyen-Orient ».

Sept mois plus tard, l’agression barbare du Hamas contre Israël faisait voler en éclats l’optimisme de la posture chinoise.

Quel que soit l’angle de vue, la brutalité meurtrière des évolutions met Pékin en porte à faux. Il lui faut, dit Fulton « trouver un équilibre délicat entre l’Iran, son allié anti-américain [NDLR : Théocratie radicale et proliférante dont la Chine s’est rapprochée par défi à Washington], et les pays du Golfe, ses partenaires économiques les plus importants dans la région. »

En mettant en perspective la vision chinoise des relations internationales que Pékin articule à une vision westphalienne de « puissance à puissance » chacune jalouse de ses intérêts directs non négociables, on perçoit toujours la même constante. La clé de voute de son système international reste sa rivalité avec les États-Unis dont elle exige le respect dû à un rival du même niveau stratégique.

Toujours la priorité à la rivalité de puissance avec Washington.

C’est avec cet arrière-pensée de « Dialogue des puissances  » que les 26 et 27 janvier derniers, Wang Yi a rencontré à Bangkok, Jack Sullivan, Conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden depuis 2021.

Le but était, dit la Maison Blanche, de « faire suite au sommet de San Francisco entre Xi Jinping et Joe Biden de novembre dernier afin de garder ouverts les canaux de communication et de piloter de manière responsable la rivalité stratégique sino-américaine. » (lire : APEC : Xi Jinping – Joe Biden, spectaculaire mise en scène d’une volonté partagée d’apaisement).

C’est à cette occasion que Jack Sullivan, prenant au mot la mise en scène d’apaisement chinoise, a pressé Wang Yi d’exercer son influence sur Téhéran pour que cesse la campagne d’agression en Mer Rouge. Selon Reuters qui le 26 janvier citait des sources iraniennes, le Waijiaobu a demandé à ses homologues iraniens de freiner les agressions Houthis sous peine de mettre en péril leur relation bilatérale.

En substance, d’après une source iranienne anonyme, le discours des Chinois a Téhéran aurait été le suivant : « La mise en danger de nos intérêts impactera les affaires que nous avons avec vous. Alors dites aux Houthis de faire preuve de retenue ».

La réalité est cependant que l’efficacité de la démarche est enveloppée dans un brouillard d’incertitudes.

Outre qu’il n’est pas certain que Téhéran puisse contraindre les Houthis qui disent défendre la cause palestinienne et dont plusieurs missiles détruits en vol ont déjà ciblé des navires de guerre de l’US Navy, l’influence de Pékin sur les Mollahs iraniens n’est pas absolue.

Toujours selon des sources iraniennes anonymes, certains au sein de l’establishment à Téhéran remettent en question la valeur du partenariat avec Pékin.

La rémanence des intérêts chinois en Arabie Saoudite et la difficile accommodation des contraires.

Les sceptiques soulignent qu’hormis les achats de pétrole, les investissements Chinois n’ont pas été à la hauteur des promesses de 2021. En février 2023, J-P Yacine avait exploré les contours de la déception iranienne : Les limites de l’accommodement des contraires au Proche Orient

L’impatience de Téhéran attisée par le retard des investissements chinois, ressortait clairement dans les déclarations du Président Raïsi inhabituellement critique de Pékin, lors de sa visite en Chine des 14 et 17 février 2023 : « Le développement des relations entre l’Iran et la Chine a avancé, mais ce qui a été fait est loin de ce qui aurait dû être fait ».

Concrètement les médias officiels iraniens affirment que les entreprises chinoises n’ont investi au total que 185 millions de dollars. Pire encore, au cours des cinq premiers mois de 2023, les exportations iraniennes non pétrolières vers la Chine ont chuté de 68 %, tandis que creusant le déficit commercial, les importations iraniennes en provenance de Chine ont augmenté de 40 %.

Dans le même temps, les entreprises chinoises se seraient engagées à investir plusieurs milliards de $ en Arabie Saoudite.

Selon le quotidien Arab News, lors de la conférence sino-saoudienne sur les investissements, tenue à Pékin à la mi-décembre 2023, « les liens commerciaux et économiques entre l’Arabie saoudite et la Chine devraient encore se renforcer, avec la signature de plus de 60 mémorandums d’accords évalués à 25 milliards de dollars. »

Sans commune mesure avec la beaucoup plus modeste implication chinoise en Iran, hors importation de pétrole, la conférence, en prélude ou dans son sillage, fut l’occasion d’autoriser une dizaine d’entreprises chinoises à ouvrir leur siège régional en Arabie Saoudite.

Parmi elles, couvrant un vaste éventail de secteurs : Huawei et China Communication Services (« Télécoms ») ; Dahua (caméras de surveillance) ; China Railway Construction Corp. ; China Harbour Engineering Co. ; China Civil Engineering Construction Corp. (Infrastructure) ; BGI Group, (biologie de pointe), Nuctech (fabricants de scanners d’équipements de sécurité) et iMile (Service de livraison du commerce en ligne).

Des protocoles d’accord ont également été signés avec les bourses de Shenzhen et Shanghai et entre la Banque Populaire de Chine et la Banque Centrale saoudienne. Les deux ont conclu un accord « Swap » de 6,93 Mds de $, permettant des transactions financières en permutant les taux d’intérêts des devises.

Alors que vient de surgir un urgent besoin de sécurité, l’ambition chinoise de concurrencer l’influence de Washington par une stratégie faisant la promotion vertueuse d’une « sécurité globale » basée sur le dialogue, plutôt que sur la confrontation, se heurte à la dure réalité des conflits, éloignée de la propagande.

Surnagent alors, non seulement les pertes économiques dues a la perturbation des flux logistiques vers Shanghai, mais aussi l’exigence de sécuriser les intérêts chinois au Moyen-Orient, articulés à la difficile « accommodation des contraires » supposant un grand écart, difficile à tenir, entre Téhéran soutien du Hamas et des Houthis et Ryad, pas encore complètement débarrassé de l’influence de Washington.


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