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Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique

La récente visite du président Hu Jintao au Japon (6 au 10 mai) mérite attention. Les deux géants de l’Asie de l’est, (2e et 3e économies mondiales), dont la mémoire collective est hantée par une longue cohorte de fantômes, de méfiances et de rancoeurs viennent de se livrer à un exercice de tolérance diplomatique assez rare pour être souligné. Contrairement à ce que disent certains médias, le changement de posture des deux voisins n’a que peu de rapport avec une manœuvre tactique de Pékin pour redorer son image dégradée par les récentes effervescences autour de la question tibétaine.

La nécessité de mettre fin aux graves tensions bilatérales qui avaient marqué les années 2004 et 2005 est en effet apparue très tôt aux responsables à Pékin. Dès septembre 2006 le départ du premier Ministre Koizumi, dont les visites répétées au temple Yasukuni avaient déclenché de violentes réactions anti-japonaises, avait permis une première détente, marquée par la visite en Chine de son successeur Shinzo Abe (octobre 2006) et les voyages au Japon du premier Ministre Wen Jiabao et du ministre de la Défense Cao Gangchuan (avril et août 2007).

Mais avec Shinzo Abe aux commandes, la Chine n’était qu’à demi rassurée. Le remplaçant de Koizumi était en effet lui aussi membre de la droite conservatrice (son grand-père maternel, Nobosuke Kishi, était ministre de l’industrie et du commerce du général Tojo), et s’il est vrai qu’il semblait avoir renoncé aux provocantes visites du sanctuaire, il n’en avait pas moins poursuivi une politique visant à rehausser le profil stratégique du Japon qui inquiétait Pékin (projet de révision de l’article 9 de la Constitution et remplacement de l’Agence de Défense par un véritable ministère de la Défense en janvier 2007).

La détente ne s’installa vraiment qu’avec le départ précipité de Shinzo Abe et son remplacement par Yasuo Fukuda, venu en Chine en décembre 2007. Définitivement rassurée par l’abandon du projet de révision de la Constitution, la Chine pouvait lancer sa politique de réconciliation, à laquelle le président HU vient de donner un sérieux coup d’accélérateur. Le changement de ton par rapport à la visite au Japon de son prédécesseur en 1998 est en effet remarquable.

Alors que Jiang Zemin avait jeté un froid en reprochant aux Japonais de ne pas avoir suffisamment fait amende honorable pour leurs crimes de guerre, Hu a, dans un discours remarqué, réuni les souffrances des deux peuples, placés pour la première fois dans l’histoire sur un même plan par un dirigeant chinois : « Cette histoire malheureuse n’a pas seulement causé des souffrances extraordinaires au peuple chinois, elle a aussi gravement blessé le peuple japonais »... « S’il est vrai qu’il est important de commémorer l’histoire, nous ne devons pas en nourrir des rancoeurs ».

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Ces paroles tranchent radicalement avec la manière habituelle dont la Chine aborde sa relation avec le Japon. Elles font écho à celles que l’empereur Akihito avait prononcées lors d’une visite en Chine en 1992 : « il y a une période dans le passé où mon peuple a infligé des souffrances indicibles au peuple chinois. Cela demeure une source de profond chagrin personnel ». Il est probable que HU Jintao avait en mémoire cet acte de contrition impérial lors de l’audience que le souverain lui a accordée.

Avec l’explosion des relations économiques et commerciales (en 2007 les échanges bilatéraux ont augmenté de plus de 15% pour atteindre 236 milliards de $ - soit plus du 2/3 des échanges de l’ensemble de l’UE avec la Chine, mais sans déficit japonais - et 20 000 entreprises japonaises sont installées en Chine), cette bascule du regard que la Chine porte sur le Japon est de nature à favoriser une approche apaisée des différends entre les deux pays. Si elle était maintenue dans la durée - mais rien n’est moins sûr -, elle porterait en elle les prémisses d’un bouleversement stratégique en Asie du nord-est.

Certes les contentieux ne seront pas effacés d’un coup de baguette magique. (Lire à ce sujet « Relations Chine - Japon, les non dits de l’irrationnel », paru dans QC le 2 avril 2007). Il faudra en effet encore longtemps avant que les disputes sur les limites maritimes et les ressources gazières en mer du Japon soient résolues. De même, la posture stratégique de Tokyo, son alliance avec les Etats-Unis et son attitude à l’égard de Taiwan continueront d’inquiéter ou d’agacer la Chine, tandis que l’archipel observera avec vigilance la montée en puissance militaire de son voisin. Surtout, les Japonais accepteront de plus en plus difficilement que Pékin continue à bloquer leur accession au statut de membre permanent du conseil de sécurité.

Mais au moins Tokyo et Pékin donnent-ils le sentiment de vouloir tourner le dos au cercle vicieux des sentiments négatifs qui, depuis la fin de la guerre, plombent leur relation. Il restera à confirmer que cette nouvelle direction sera tenue fermement en dépit des nationalismes - expression récurrente de la xénophobie et de la peur de l’autre - qui, en Chine et au Japon, continueront à tirer les relations vers les abîmes stériles et mortifères des sombres réminiscences de l’histoire.

 

 

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