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›› Editorial

Le rocher de Sisyphe du dialogue sino-américain

Ce qu’il y a de remarquable dans les dialogues entre la Chine et les Etats-Unis, c’est la permanence du discours qui, presque chaque fois, insiste sur les différences culturelles, la nécessité de mieux se connaître, de mettre en place des bases solides pour forger une meilleure relation à l’avenir, sur l’obligation de coopérer, dans un monde de plus en plus interconnecté etc.
Cette fois encore, Hillary Clinton n’a pas manqué à cette tradition. Lors de la dernière session du dialogue stratégique et économique à Washington, à la fin juillet, répondant à Dai Bingguo, en charge pour le Conseil d’Etat des dialogues stratégiques de la Chine, qui insistait sur les « profondes différences culturelles, idéologiques et sociales » entre les deux pays, la responsable du Département d’Etat a noté, avec une pointe de déception, que « même si travail de fond ne débouchait pas sur des résultats concrets immédiats, il constituait un bon investissement pour l’avenir ».

En dépit des multiples canaux de contacts, la relation piétine.

L’observateur en retire l’impression que la relation « tourne en rond », d’autant plus désarmante que les deux pays ont progressivement mis sur place des structures de dialogue plutôt riches qui balayent tout le spectre des échanges, depuis les questions économiques, jusqu’à la coopération internationale et stratégique sur des sujets de plus en plus nombreux (Corée du Nord, désarmement nucléaire, terrorisme, changements climatiques, situation au Darfour et au Myanmar, crise financière).
Le tout est articulé autour de « mécanismes » d’échanges qui pilotent des rencontres très régulières entre décideurs politiques, spécialistes de l’économie, parlementaires, scientifiques, acteurs de la société civile, et même militaires, puisque chaque année les officiers supérieurs et généraux des deux pays effectuent des visites réciproques en Chine et aux Etats-Unis, tandis que, depuis 2008, une ligne rouge, activée en cas de crise grave, relie les deux états-majors. Mais, alors qu’il est indéniable que les deux pays font des efforts notables, l’impression demeure d’un rocher de Sisyphe ne roulant jamais plus haut qu’à mi-pente, et pouvant dégringoler à tout moment.
C’est qu’au fond, en dépit des changements de style, des attentions conviviales et des déclarations d’amitié, la confiance réciproque a du mal à supplanter la prévention, le scepticisme, les soupçons et souvent la crainte qui dessinent encore le fond de tableau immuable de la relation. Il en résulte des blocages d’autant plus inquiétants que sur plusieurs sujets, comme celui de la réforme des Nations Unies, de la situation financière mondiale, de la militarisation de l’espace, de la prolifération nucléaire, ou du changement climatique, les progrès seront difficiles sans une coopération plus efficace entre Washington et Pékin.
Sur les questions du changement climatique et de l’énergie, par exemple, aucun progrès réel n’a été accompli lors la rencontre. Pékin refuse toujours de signer un accord qui limiterait ses émissions de gaz. Xie Zhenhua, le responsable chinois des questions d’environnement dans ce dialogue, a en effet une nouvelle fois déclaré que « c’était aux pays riches de montrer l’exemple de la réduction des émissions et de fournir une aide financière et technologique aux pays pauvres ». Il faudra donc encore attendre le mois de décembre à Copenhague pour vérifier si la Chine acceptera d’évoluer sur ce dossier, pour lequel aucun progrès global n’est à attendre tant que les deux plus gros pollueurs, qui rejettent à eux seuls plus de 50% des gaz à effet de serre, ne parviendront pas à un accord.

Dans le domaine économique, point focal récurrent des tensions entre les deux pays (controverses sur le déficit commercial et le taux de change du Yuan), en dépit du ton très conciliant adopté par les deux délégations (Washington promet de réduire son déficit, tandis que Pékin s’engage à augmenter sa consommation intérieure), les échanges ont quand même été dominés par la nervosité des Chinois.
Ces derniers ayant acheté une énorme quantité de bonds du trésor américains, dont la valeur est estimée à 800 milliards de dollars, sont inquiets de la stabilité de la monnaie américaine, menacée par les 1800 milliards du déficit budgétaire. Mais l’inquiétude chinoise était homothétique de celle de la délégation américaine qui avait en tête les récentes propositions chinoises de mettre en place une nouvelle monnaie de référence mondiale à la place du billet vert. Même s’il est peu probable qu’une autre monnaie remplace le Dollar à cout terme, l’activisme chinois sur ce sujet n’aura pas manqué d’instiller quelques agacements dans le camp américain.

D’autres sujets épineux ont troublé la bonne ambiance diplomatique de ce sommet, dont les résultats concrets furent minces, en dépit du ton très convivial donné par le Président Obama lui-même. Le catalogue des désaccords ou des défiances susceptibles de déraper vers une crise reste en effet très fourni. On y retrouve notamment la question des Droits de l’Homme, évoqués à propos des heurts ethniques au Xinjiang. Ces derniers ont braqué les projecteurs de l’actualité sur Rebiya Kadeer, l’emblématique porte parole des Ouïghours, réfugiée aux Etats-Unis, que Pékin considère comme la principale instigatrice des troubles. En dépit de la discrétion tactique de Washington, on peut douter que l’actuelle administration se lave les mains du sort des Ouïghours.
Le serpent de mer des ventes d’armes à Taiwan a une nouvelle fois été évoqué par le Vice Ministre des Affaires étrangères Wang Guangya, ancien représentant de la Chine à l’ONU. Ce dernier a rappelé que la dernière crise provoquée par la vente d’équipements militaires à Taïwan par l’administration Bush, datait seulement de 2008. Sa mise en garde à la délégation américaine a été d’autant plus cinglante et teintée d’inquiétude, qu’il avait en tête une demande d’achat de 66 chasseurs F.16 adressée par Taipei à Washington et actuellement à l’étude par l’administration Obama.
Même la question nord-coréenne, habituellement considérée comme un point de consensus entre les deux pays, est, au-delà des bonnes paroles, matière à irritations réciproques. S’il est vrai que le test nucléaire nord-coréen du 25 mai dernier a finalement incité Pékin à appliquer, avec plus de deux ans de retard, les sanctions votées après le premier tir nucléaire de Pyongyang en octobre 2006 (blocage des exportations d’armes, boycott des personnels impliqués dans le programme nucléaire et gel de leurs avoirs à l’étranger), la Chine refuse toujours d’augmenter ses pressions sur ses exportations d’énergie et de nourriture vers Pyongyang, de crainte de provoquer un effondrement du régime. Tout comme elle refuse obstinément de considérer les demandes répétées de Washington pour l’étude conjointe de plans d’urgence, en cas de secousse politique grave de l’autre côté du Yalu.

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La méfiance réciproque persiste, nourrie par une rivalité stratégique globale.

Plus largement, la très tenace défiance réciproque se nourrit des nombreuses rivalités stratégiques globales qui pèsent sur la relation. Depuis la suspicion de militarisation de l’espace ou les analyses divergentes sur les causes du terrorisme, au complexe d’encerclement, nourri par les stationnements militaires américains en Asie Centrale, au Japon et en Corée du Sud, jusqu’à la proposition de Washington d’une alliance des pays démocratiques d’Asie (Inde, Japon, Australie), en passant par l’appui des Etats-Unis aux mouvements d’opposition dans les Républiques d’Asie Centrale, l’implication du Pentagone dans la question de Taïwan, la présence insistante des bâtiments de 7e Flotte et de ses navires espion en mer de Chine du Sud, la liste est longue des motifs chinois d’inquiétude.
De la même façon, aux Etats-Unis, on observe la montée en puissance de la Chine avec des sentiments mêlés, allant de la méfiance ou de l’hostilité qui s’arc-boutent, au pragmatisme qui incite à la coopération, jugée indispensable. Alors qu’à Washington un courant de pensée, prône la coopération étroite avec la Chine, y compris dans un secteur sensible comme l’espace, d’autres, plus nombreux, s’interrogent sur les méthodes chinoises en Afrique, au Moyen Orient (notamment en Iran et en Arabie Saoudite), en Asie du Sud-est et en Amérique latine, où les investissements massifs pour l’exploitation des ressources locales s’accompagnent parfois de lourdes aides financières, qui sont autant de vecteurs efficaces d’influence politique.
Les progrès de l’APL, et en particulier de sa marine, induisent des inquiétudes souvent injustifiées, ou à tout le moins très prématurées. De même beaucoup d’Américains, qui gardent en tête les revendications chinoises en Mer de Chine du Sud, la mise en place systématique par la Chine de bases navales de plus en plus militarisées le long de ses lignes de communication, les relations étroites de Pékin avec le Soudan, le Myanmar et l’Iran, ou encore les pratiques de dumping commercial et le vol des technologies protégées, considèrent la théorie chinoise d’un « monde harmonieux » comme un stratagème d’influence globale et ne croient pas au développement pacifique de la Chine.

La Chine veut préserver son système, l’intégrité de son territoire et la stabilité de la société.

Comme le rappelle Wang Jisi, expert des relations sino-américaines à l’Académie des Sciences Sociales, « il ne suffit pas de multiplier les relations pour que la confiance réciproque s’installe ». Le professeur Yuan Peng, Directeur du département d’études américaines à l’Institut des Relations Internationales Contemporaines, va plus loin dans le pessimisme et la méfiance, en soulignant que « les Chinois ne peuvent pas être certains qu’une relation stable entre Pékin et Washington soit, en fin de compte, favorable à la Chine (...) » Ce qui en dit long sur les inquiétudes et les suspicions chinoises.
Cette réflexion, qui renvoie peut-être plus à l’intérêt du Parti, préoccupé de son maintien au pouvoir, est d’ailleurs éclairée par un commentaire de Dai Bingguo lui-même : « Pour s’assurer que la relation sino-américaine se développe de manière stable, il est important que chacun s’applique à défendre ses intérêts vitaux (...). Pour la Chine, ces derniers sont le maintien et la sécurité de son système politique, la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale, ainsi que le développement stable de l’économie et de la société ».
Dans ce contexte, où précisément Pékin considère que ses intérêts vitaux ainsi définis pourraient être menacés par une interaction trop étroite et mal contrôlée avec un pays tiers, surtout aussi puissant, influent et charismatique que les Etats-Unis, il est logique de conclure avec le professeur Yuan Peng, que « l’objectif d’une paix à long terme et d’une coopération sans arrières pensées entre Washington et Pékin était encore très éloigné ».

 

 

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