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Tatouages à Langfang et légendes chinoises

A la foire au tatouage de Langfang.

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La politique intérieure chinoise est aujourd’hui marquée par un sévère contrôle de l’expression et de l’information où l’on voit par exemple que, contrairement aux ouvertures autorisées par le précédent politburo, les accès aux études critiques de l’Académie des Sciences Sociales, aux informations sur la situation au Xinjiang ou à celles relatives aux tensions sociales sont sévèrement filtrés ou bloqués.

Le contexte général est que la liberté d’Internet semble se réduire de plus en plus à celle d’un réseau purement chinois séparé de la toile globale. Goggle, Twitter et Facebook sont bloqués en Chine et remplacés par Baidu, Weibo et WeChat au succès commercial foudroyant, mais dont les échanges sont passés au crible de la censure, avec, comme critère ultime, l’impossibilité absolue d’émettre la moindre critique politique de la prévalence du Parti.

Contrôle politique. Tolérance sociale et culturelle.

En dehors de ces limites qui veillent à préserver la spécificité du « socialisme aux caractéristiques chinoises », ce qui revient en clair à tenir à distance les valeurs occidentales de démocratie (liberté d’information et d’expression, recherche de la vérité historique, séparation des pouvoirs) jugées porteuses de conflits et dangereuses pour la pérennité du régime, la tolérance sociale et culturelle du système chinois est étonnante.

Elle laisse en effet se développer des tendances exprimées par la nouvelle jeunesse branchée contrastant avec certains préceptes de la vieille culture confucéenne articulée autour d’une classification sociale verticale laissant peu de marge aux excentricités individuelles ou à l’expression artistique non calibrée par la « recherche d’unité » et non soumise à l’ordre social lui-même expression d’un ordre cosmique supérieur. Pour s’en convaincre il suffit de jeter un œil aux extraordinaires débridements esthétiques, explosions de couleurs, de formes et d’arabesques de la foire aux tatouages de Langfang.

Arabesques et couleurs corporelles à Langfang.

Un atelier de tatouage à Lanfang, fin mai.

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Dimanche 29 mai, les artistes tatoueurs de la planète s’étaient donnés rendez-vous dans cette grande banlieue de Pékin à une trentaine de kilomètres au sud de Tian An Men pour y retrouver des centaines d’adeptes chinois portant sur tout ou partie de leurs corps d’extraordinaires dessins incrustés dans leur épiderme, parfois au prix de longues et douloureuses séances qui relèvent d’un rite de passage. Si on en croit les analyses psychologiques selon lesquelles le fait de marquer son corps à vie de signes indélébiles n’est pas une démarche anodine, mais témoigne presque toujours d’une recherche de repères et d’appartenance, le phénomène mérite attention.

Sans prétendre qu’ils pourraient constituer aujourd’hui des modèles pour les jeunes de Lanfang, on ne peut éviter de faire un bref retour sur les célèbres tatoués de l’histoire chinoise.

Héros et tatouages

Une représentation de Lu Zhi Shan, le bonze tatoué.

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En Chine, la tradition du tatouage appelée 刺身 (ci shen, percer le corps) ou 纹身 (wen shen marque corporelle) remonte à plusieurs milliers d’années, mais n’avait jamais été populaire. On la retrouve dans le roman du bord de l’eau 水浒传 (shui hu zhuan) qui relate les exploits de 108 bandits révoltés contre la corruption et les hauts fonctionnaires de la cour de l’Empereur à l’époque de la dynastie Song du Nord, dans le Shandong où trois des personnages portent des tatouages sur tout le corps.

Le plus connu est Lu Zhi-Shen. Fonctionnaire zélé et justicier radical, devenu rebelle après avoir assassiné un notable qui harcelait une pauvre chanteuse, Lu se transforme en moine bouddhiste au corps tatoué de fleurs. Doté d’un grand cœur, mais affligé d’un caractère ombrageux et brutal, il était incapable de réfréner ses pulsions violentes et son goût pour l’alcool, ce qui lui interdisait de séjourner longtemps dans un monastère. Il finira par devenir l’un des capitaines valeureux de Song Jiang, le chef des rebelles des marais des Monts Liang.

Yue Fei, loyauté et sacrifice.

Yue Fei tatoué par sa mère, gravure extraite d’une biographie du général.

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Un autre personnage historique du haut moyen âge chinois dont la légende constitue toujours une référence vertueuse, symbole de loyauté trahie, est le général Yue Fei (1103 – 1142) de la dynastie des Song du Sud. Ayant toujours victorieusement combattu les Jurchen, il se forgea une redoutable renommée militaire au point qu’elle inquiéta l’empereur Gaozong qui, craignant pour son trône, le fit mettre à mort.

Exécuté à l’âge de 39 ans avec son fils Yue Yun et son gendre, Yue Fei portait sur son dos le tatouage 盡忠報 國(Jin zhong bao guo - être loyal à la patrie jusqu’au sacrifice -) dont la légende dit que les caractères avaient été tracés par sa mère. Les chroniques disent aussi qu’à son procès en trahison, il arracha sa chemise pour montrer son tatouage à la cour.

En Chine moderne où les tatouages étaient il y a seulement 10 ans encore associés au monde interlope des triades ou à la stigmatisation des repris de justice, marqués à vie par des signes infamants, la perception du phénomène par la jeunesse a évolué. A Shanghai, Canton et Pékin les studios de tatouages se multiplient. Preuve que le phénomène prend de l’ampleur, après la foire de Langfang, une autre aura lieu à Nanning du 23 au 28 octobre prochain.

 

 

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