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Rémie Gedoie (pseudonyme), contributeur régulier de QC, sous plusieurs identités (une autre est Louis Montalte) est aussi Conseiller du Commerce Extérieur (CCE) dont l’expérience en Chine en fait depuis trente ans un commentateur critique écouté de l’action économique de la France en Chine.
QC publie sous sa plume iconoclaste souvent râpeuse et crue, un feuilleton - fiction dédié à ses amis CCE sévèrement confinés à Shanghai par les effets de la politique de zéro-Covid mise en œuvre par le gouvernement chinois.
Les péripéties aventureuses des héros Français et Chinois confrontés à la puissante bureaucratie de l’appareil de sécurité sont aussi l’occasion de commentaires éclairés sur le système politique et la société, par ce fin connaisseur de la Chine.
En décembre 2019, après la visite officielle du Président Macron à Pékin du 3 au 6 novembre 2019 (Visite d’État en Chine), il avait signé un article sur QC stigmatisant la survivance anachronique des aides françaises à la Chine dans la cadre des actions de l’AFD (lire : Mais que fait donc l’AFD en chine ?)
La Rédaction.
Ce petit polar est dédié à mes amis CCE de Chine pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls face au COVID et dans les temps difficiles qu’ils traversent.
La FIPEP, Fédération Internationale Pour l’Extermination des Pandas, est et sera toujours, de tout coeur avec eux dans cette épreuve...
Un merci à Michel LABIE et à François SASTOURNÉ qui ont accepté d’émender et de corriger mon texte, avant sa parution et à Bruno Gensburger pour la photo de couverture.
AVERTISSEMENT
Toute ressemblance avec des CCE existants ne peut être qu’amicalement fortuite. Seuls les esprits bistournés et cauteleux verront dans les noms donnés aux personnages de cette nouvelle, des homologies douteuses ou des rapprochements inconsidérés avec des personnes de leur connaissance...
Chapitre 7
Le voyage jusqu’à Chengdu, avec les survivants de la troupe, s’était déroulé sans problème… Tout le monde avait été logé au Sofitel Wanda, dans l’hôtel où devait avoir lieu, la rencontre entre Zhang, Grodègue et le Rimpotché…Cela permettait également à Weng de garder un regard rapproché sur tous ses protégés…
Pour le moment, Grodègue et Weng sirotaient un thé glacé, confortablement installés dans le bar du lobby… La dernière fois que Grodègue était descendu dans cet hôtel, c’était en octobre 2004 pour la visite de Chirac à Chengdu… Des tibétains de l’extérieur avaient fait courir le bruit d’un possible attentat durant la visite à Chengdu…Weng lui avait demandé de se joindre aux précurseurs du GSPR pour assurer une liaison plus facile, le cas échéant… Comme de bien entendu, la menace ne s’était jamais concrétisée… Alors qu’aujourd’hui, la menace était bien réelle…
– Je n’aime pas la tournure qu’ont pris les évènements… répéta Weng pour la énième fois…
– Bon… Tu ne vas pas continuer à me brouter le pistil, jusqu’à la Saint Glinglin ! J’ai perdu deux gars que j’avais sous ma garde… Mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? Ils devaient être sous le choc… Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’ils se font tirer à la roquette… Bon, mais d’après ce que tu me dis, c’est Zhang qui les a récupérés…
– Tu imagines un seul instant ce qui va se passer s’il me tue deux étrangers dont un diplomate… ? Je n’ose même pas y penser… Lui, il m’a dit que c’était pour rééquilibrer le deal…
– Je ne saisi pas très bien en quoi cela le rééquilibre… ?
– D’après lui, toi tu apportais les filles, le Rimpotché lui remettait la mallette et lui, il n’avait aucune monnaie d’échange si ce n’est qu’une promesse qu’il donnait qu’il arrêterait les hostilités… D’après lui, il risquait donc de se faire couillonner…
– Gros Zhang comme devant…
– Hein ?
– Laisse tomber… C’est une plaisanterie… En français on dit « Gros-Jean comme devant »…
– Si c’est une plaisanterie, je suis mort de rire… On peut continuer ?
– Oulla… Ce que tu peux être soupe au lait, ce matin…
– C’est Zhang qui a tenu à ce que la rencontre ait lieu dans cet hôtel… On commence à mieux cerner le bonhomme et cela ne présage rien de bon… Ce type est un pervers narcissique… Il prépare un coup tordu, c’est sûr… J’aurais préféré que la rencontre soit organisée en plein air… Dans le petit espace vert, juste à côté de l’hôtel, par exemple…
– Quoi… ? Le jardin, à gauche ? Le petit trou de verdure où chante une rivière, accrochant follement, aux herbes, des haillons de sacs en plastique blancs… ?
– Qu’est-ce t’as ? Tu as encore fumé ? Qu’est-ce que tu racontes… Appelle ça un trou de verdure si cela t’amuse… Quant à la rivière c’est la Nanhe… Elle a été entièrement dépolluée et il ne reste quasiment plus de détritus qui flottent depuis plusieurs années…
– Tu manques de poésie…
– Oui bah, si tu pouvais « poêter » moins haut que tu n’as ton culte, cela ne serait pas plus mal…
– Oh ! Poêter moins haut que mon culte… Pas mal… Où es-tu allé la chercher celle-là… ?
– N’empêche que si cela s’était passé à l’extérieur, j’aurais eu plus de visibilité… Là, dans l’hôtel, cela sera moins facile de voir venir les coups…
– Tu es sympa de me raconter tout ça… Je te rappelle que c’est moi qui vais être aux premières loges… Tout ça n’est pas très rassurant… C’est quoi ton script pour la rencontre ?
– Le plus simple et le plus court possible… Elle aura lieu, au quatrième étage. C’est l’étage de la grande salle de réunion, le ballroom…
L’hôtel va tirer des cloisons mobiles pour nous faire un petit espace dans le grand ballroom… J’ai préféré cela à leurs salons privés qui m’ont paru trop exigus et trop oppressants… Le Rimpotché arrivera en premier, accompagné d’un bonze, avec la mallette et s’installera vous en attendant…
Zhang arrivera, lui aussi, avec un homme de main et ses deux otages, à 10.00 heures pétantes… C’est une façon de parler… et toi, tu descendras de ta chambre, avec les filles, à la même heure… Sitôt arrivées, les filles se rangeront à côté de leur grand maître et celui-ci remettra le porte-documents à Zhang, avec la clé…Zhang vérifiera qu’il s’agit bien de la bonne valise et que les serrures n’ont pas été forcées… Si tout est O.K., et il n’y a pas de raison pour que cela ne le soit pas, Zhang relâchera alors ses deux prisonniers. Zhang et son sbire partiront ensuite, pas de blabla, pas de verres de l’amitié et aucune poignée de mains…
– Et nous avons quelles garanties que Zhang ne va pas continuer ensuite à nous chercher des poux ?
– On peut penser qu’il n’aura pas grand intérêt à poursuivre la vendetta… Il est assez malin pour comprendre qu’il y a eu assez de mauvaises publicité autour de cette affaire… Zhang est un businessman ; il a le sens des affaires et les gens puissants qui sont plus ou moins compromis avec lui, savent qu’il existe des limites qu’il ne vaut mieux pas franchir…
– Dieu t’entende…
– Je ne vois vraiment pas ce que ton dieu vient faire là-dedans… Ce qui me fout les boules…
– Weng ! Ton langage châtié !
– Ce qui m’énerve disais-je donc, c’est que ce Zhang va sans sortir sans trop d’égratignures… Il a certes perdu des droits à l’erreur pour le futur et ses marges de manœuvres seront plus étroites mais il va pouvoir continuer son business, tranquille, sans avoir à payer pour ses crimes…
Au bout du compte, c’est surtout moi qui ai le plus à craindre… Je ne trouve aucun document pour prouver son implication directe et pour dévoiler ses trafics douteux… Les fameux « gens puissants » qui le soutiennent vont sûrement essayer de me faire porter le chapeau pour toutes ces violences « gratuites »… J’espère pouvoir éviter les promenades à heures fixes, en pyjama rayé, dans la cour d’une prison, pour le restant de mes jours…
– Ce n’est pas les moment de broyer du noir… Je vois une bouteille de Cointreau égarée sur l’étagère du bar… On va rajouter le moitié-plein à nos verres de thé glacé à moitié vides… Faut que l’on se remonte le moral… Et au pire, si demain ton ciel ne s’est pas éclairci et si je n’ai pas perdu deux types au combat, je t’emmènerai avec moi, à Paris… Cela sera quand même plus rigolo qu’un séjour en camp de travail…
– Tu vois quelque chose que j’aurais pu oublier… Ou des grosses lacunes dans mes préparatifs ?
– Non… le synopsis a l’air de tenir… On verra bien comment se déroule la pièce… Croisons les doigts et prions le Seigneur…
Le jour J était arrivé.
Comme prévu, le Rimpotché était arrivé, avec son moine, vers 09h30… Il s’était installé sur son fauteuil-trône sans pieds. Devant lui, encadré par deux fleurs de lotus posées sur de petites coupelles en argent, il avait disposé un bronze noir de Mahakala à six bras, qu’il surnommait affectueusement mon « mGon-Po protecteur »…
Assis en tailleur, iI tenait la mallette de cuir noir, précautionneusement sur ses genoux…
Zhang pénétra dans la pièce à 09h59 avec son garde du corps qui poussait Yaume et Billon, penauds et menottés… et Grodègue, entouré des trois filles, pointa à 10 heures pile…
Suivant le plan, les trois filles se dirigèrent vers le Rimpotché tandis que ce dernier tendait le porte-documents à Zhang…
Ce dernier, toujours suivant la procédure établie, vérifia que les serrures n’avaient pas été violées et tapa le code secret pour entrouvrir la mallette et vérifier son contenu… Puis il attendit sagement…
– C’est à votre tour de libérer vos otages… Lui signifia poliment Grodègue…
– Avec plaisir, mais je les échangerai contre les trois petites ici présentes…
– Mais, ce n’est pas du tout ce qui a été négocié ! S’indigna Grodègue…
– Bien sûr que si, rétorqua Zhang… Le deal, c’était : vous rendez les trois filles, Monsieur le Rimpotché me rendait ma valise et moi, j’arrêtais toutes représailles… C’est ce qui a été négocié et je respecterai ma parole… Par contre, j’ai maintenant deux prisonniers de guerre et je suis prêt à les échanger contre ces trois charmantes jeunes filles… Vous comprenez, elles ont été promises à mon ami Mouloud du Nigéria qui a eu le cœur déchiré par leur fuite… Il est éperdument amoureux et n’a qu’une idée en tête, c’est de remettre la main sur elles…
Ce fut, à ce moment que Guy Yaume qui, fort de ses deux ans d’apprentissage de la langue chinoise, avait plus ou moins suivi les échanges et qui avait fort bien saisi la tournure que prenait la situation, s’écria d’une voix forte :
– Ne cédez pas au chantage !
A ses côtés, Pascal Billon, qui avait fait suffisamment d’études pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond, sans doute plus prosaïque, semblait ne pas partager totalement les convictions de son ami…