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Les grandes mutations de la Chine vues par un chanteur de rock sino-américain

L’enchevêtrement des cultures chinoises et américaines produit une très riche nébuleuse d’artistes et d’intellectuels métis ou biculturels, à cheval sur les deux civilisations. Ils ont une vision de la Chine qui mérite d’autant plus attention qu’elle met en perspective la situation et l’évolution politique et sociale sur de longues périodes, offrant des éclairages insolites et passionnants, à mille lieues des raccourcis répétitifs des médias grand public.

Ainsi Kaiser Kuo : (郭 怡廣 - Guo Yigiang -), étonnant sino américain, né en 1966 aux États-Unis de parents chinois émigrés, écrivain indépendant qui fut membre de plusieurs groupes de rock dont « Tang Dynasty » et « Chun Qiu 春秋 – printemps et automne -). Egalement investi dans la publicité, il a été le patron des relations internationales de « Baidu 百度 » le très rudimentaire « Google » chinois et, pendant dix ans, jusqu’en 2011, le contributeur régulier du magazine en Anglais « The Beijinger ».

En 2010, il a lancé le « Sinica Podcast » aujourd’hui rapatrié aux États-Unis produisant des émissions diffusées sur le net et les réseaux sociaux auxquelles contribuent des « China watchers » et des journalistes connus s’exprimant en toute liberté sur la situation de la Chine.

Après plusieurs visites en 1981, 1986 et pendant la période cruciale d’août 1988 à juin 1989 achevée par l’engagement de l’APL contre les manifestants de la place Tian An Men, le 4 juin 1989, marié à une Pékinoise, il s’est, de 1996 à 2010, installé en Chine après avoir abandonné des études de doctorat.

Récemment, il a partagé ses réflexions sur le saisissant télescopage entre le poids de la tradition et la puissance du changement. « Pour avoir longtemps vécu en Chine, j’ai mesuré la lourdeur des “bagages“ historiques et culturels inscrits dans l’ADN des Chinois, tout en prenant conscience de leur extraordinaire souplesse et de leur étonnante capacité à changer et à s’adapter ».

La face visible de l’aménagement du territoire.

Kaiser Kuo a d’abord été frappé par l’évidence des changements physiques de la Chine, résultats d’un immense effort d’aménagement du territoire.

Aucun domaine n’a échappé à ces rapides métamorphoses d’infrastructures, qu’il s’agisse du réseau ferré de TGV long de 22 000 km représentant 60% des lignes mondiales dont la ligne Pékin Shanghai exploitée à 350 km/h, des autoroutes, des aéroports et du transport aérien et maritime, des aménagements portuaires, de l’urbanisme, des ponts, des routes, des métros, de l’électrification du pays ou des télécom avec ou sans fil.

Alors qu’en 1988 seul l’immeuble de la Banque de Chine à l’ouest du 2e périphérique dans le quartier de Fuchengmen avait plus de 30 étages, et que – (note de la rédaction) l’aéroport de Pékin avait la taille d’un petit aéroport provincial français avec une salle d’arrivée pas plus grande que la gare de La Roche sur Yon - , aujourd’hui on ne compte plus les gratte-ciels d’acier de verre et l’aéroport de Pékin - premier aéroport asiatique, classé au 2e rang mondial pour le nombre de passagers, géré par une société cotée en bourse - dispose de 3 vastes terminaux. Il sera bientôt complété par l’aéroport n°2 de Daxing 大兴 situé à 40 km au sud de la capitale.

Conçu par Aéroport de Paris Ingénierie (ADPI) en coopération avec Zaha Hadid pour desservir Pékin et Tianjin, sa mise en service est prévue en 2018.

L’architecture avant-garde des grandes villes.

Un aspect significatif et très visible du changement urbain est l’évolution du style architectural des métropoles chinoises.

Il y a 30 ans, la qualité des constructions, pour la plupart recouvertes, comme les murs d’une salle de bain, de très laides tuiles blanches, était médiocre. Le milieu des années 90 qui suivit fut, dit Kuo, une « lamentable » période où fleurirent les immeubles au style occidental surmontés de « chapeaux chinois », comme rajoutés à la va-vite, par des architectes saisis par un scrupule culturel. Heureusement ajoute t-il, le style et les standards ont progressé, les « tuiles de salle de bains » ont disparu et plus personne ne coiffe les immeubles des « caractéristiques chinoises » produisant ces horribles toits hybrides.

Aujourd’hui, les grandes métropoles sont devenues le vaste terrain d’expression artistique des plus grands architectes de la planète.
Citons le siège de CCTV de Rem Koolhas, sur le 3e périphérique, haut de plus de 240 m, défi architectural et esthétique de structures horizontales et verticales entrecroisées que les Chinois appellent le « grand pantalon » - Da kucha 大裤杈 , le Terminal n°3 de l’aéroport de Pékin par Norman Foster, l’Opéra de Canton à la structure asymétrique en acier et l’ensemble de gratte-ciels curvilignes du complexe Galaxy du groupe Soho dans le quartier de Chaoyang à Pékin, deux créations du célèbre cabinet d’architectes fondé par l’Irakienne Zaha Hadid décédée à Miami en 2016.

Ajoutons y – mais la liste est bien plus longue - « la goutte de titane posée sur l’eau » de l’opéra de Pékin, grand œuvre du Français Paul Andreu construite en face de Zhongnanhai que les Chinois appellent « l’œuf géant 巨蛋 - Ju dan - ».

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Frugalité, consommation de masse et luxe tapageur.

En 30 ans la vie quotidienne a également connu de considérables bouleversements. Alors que les carrioles à légumes et à choux ou chargées de briquettes de charbon compressé tirées par des mules ont disparu, que les vélos noirs ont été remplacés par les tout terrains modernes aux couleurs vives des lycéens de la classe moyenne et que les embouteillages congestionnent les centre-ville, les banques, autrefois lentes et procédurières, offrent des services en ligne à leurs clients qui payent tous leurs achats par téléphone portable, depuis le café à « Starbuck » à la Toyota hybride dernier modèle.

Quand les anciens petits, étroits et instables « minivans » que les Chinois appellent les « mianbao che 面包车 – combi – baguette » produites par Daihatsu à Changchun se font plus rares, Kuo constate, au milieu des voitures occidentales aux noms imagés qui sont autant de slogans publicitaires, Volkswagen Jetta, (大众 捷达 dazhong jieta- “grand triomphe populaire“ –) Mercedes 奔驰 (benche, “galop rapide“) et des BMW (宝马- Baoma “cheval précieux”), que les Citroën 雪铁龙 (Xue Tie Long, Dragon de neige d’acier) tentent laborieusement de concurrencer, la prolifération anormale du très grand luxe signé Ferrari ou Maserati, tandis que les Audi noires de l’administration sont devenues les symboles de la corruption bureaucratique.

Par son ampleur et sa puissance, la révolution des télécom fut plus étourdissante que partout ailleurs dans le monde, évidemment articulée à la démographie et à l’engouement irrépressible de la classe moyenne.

La bourrasque des nouvelles technologies.

Alors qu’à la fin des années 80 l’installation d’un téléphone fixe pouvait prendre des semaines et coûtait une petite fortune très au-dessus des moyens d’une famille moyenne, réservant le téléphone uniquement aux privilégiés de l’élite, la mode des « smartphones » et d’Internet a ébouriffé la société chinoise de plus en plus « connectée » avec 900 millions de portables et près de de 800 millions d’abonnés à Internet et aux réseaux sociaux Tencent, Sina.com, Sohu, 163.com, ce qui porte le taux de pénétration d’Internet à 53,2% (chiffres 2016).

Leur prolifération, cependant étroitement surveillée par le régime, est une réponse à la censure des sites étrangers comme Facebook, Youtube, Twitter, Instagram, Snapchat, Picasa, Google et quelques autres. Le régime les tolère tant que leur arrière plan reste ludique ou ne dépasse pas un niveau d’échanges d’idées politiquement acceptable et ne se fourvoie pas dans la consultation de sites politiquement ou moralement « toxiques ».

Consommation, restauration, pollution.

L’autre tourbillon accentuant encore le puissant marquage consumériste de la Chine fut l’accès des chinois à une grande variété de produits alimentaires et de consommation courante. Alors que dans les années 80 les Chinois étaient tenus à distance des « magasins de l’amitié » réservés aux étrangers et que le choix de légumes se limitait aux choux et aux oignions stockés dans les cours et les escaliers d’immeubles, aujourd’hui la classe moyenne envahit les supermarchés, centre commerciaux et galeries marchandes n’ayant souvent plus rien à envier aux enseignes occidentales ou japonaises.

Les marchés et les innombrables restaurants, au moins dans toutes les villes de premier rang, proposent de vastes assortiments de denrées allant de la viande importée au Whisky en passant par les fromages, le lait et les yaourts.

Alors que jusqu’à la fin des années 80, la grande majorité des restaurants était pilotée par la puissance publique et gérée de manière bureaucratique avec un sens commercial voisin de zéro et des horaires administratifs fixes, aujourd’hui il n’y a pas qu’une profusion des restaurants de luxe, mais également un large assortiment d’établissements accessibles à la classe moyenne où le service et la cuisine sont excellents.

Mais la dérive consumériste aggrava encore les conséquences de la prévalence accordée à l’industrie et eut de considérables conséquences négatives pour l’environnement.

Quelques effets indésirables.

Pour autant, bien que moins directement visibles, les changements les plus radicaux depuis moins de 30 ans eurent lieu dans les domaines des mutations sociales et culturelles. Leur échelle est si vaste et si brutale que la plupart des peuples en auraient subi de graves conséquences psychologiques. Mais en Chine, s’il est vrai que tout le monde ne semble pas être sorti mentalement intact de ces bouleversements, la majeure partie des gens s’est montrée étonnamment stable, résiliente et souple.

Une des raisons est probablement que, pour la majorité des moins de 40 ans (environ 800 millions), la vie n’a cessé de s’améliorer au fil des années et tout au long de leur expérience vécue, produisant une sorte d’optimisme dynamique mêlé au sentiment que tout leur est du, conduisant à une hypertrophie des attentes. Rares sont par exemple les pays de la planète où de jeunes diplômés de l’université se plaindraient, comme c’est aujourd’hui le cas en Chine, de ne pouvoir acheter un appartement à la fin de leurs études.

Enfants gâtés, « petits empereurs » et désert moral.

La politique de l’enfant unique a également produit toute une génération de jeunes citadins dont les plus âgés ont aujourd’hui à peine plus de trente ans, ayant grandi sans frères ni sœurs avec autour d’eux 6 adultes (2 parents et 4 grands parents) très indulgents, souvent trop complaisants. Les conséquences sont disparates et parfois contradictoires.

S’il est vrai que les généralisations trop hâtives autour du syndrome du « petit empereur - 小霸王 xiao bawang - » peuvent être trompeuses, il est néanmoins exact qu’on rencontre souvent des jeunes émotionnellement infirmes, dépendants, trop gâtés, et à la fois insatiables et pleurnichards. D’autres sont indépendants – parfois de manière excessive -, égocentriques sûrs d’eux-mêmes et bien plus dénués de complexes que leurs aînés.

En même temps on ne peut nier que leur état d’esprit est comparativement plus préoccupé de consommation que de spiritualité. S’il est vrai que les jugements sur le « vide spirituel et moral » de la société chinoise sont en partie outrés, force est de reconnaître que nombreux sont les jeunes chinois dont les références morales sont fragiles.

L’attrait obsessionnel de l’argent est manifeste comme ailleurs, mais en Chine il atteint un niveau déprimant. Les vertus de la frugalité y ont dérivé vers la cupidité et la tendance aux combines au point que souvent l’éthique des affaires a disparu et que dans la société le niveau de confiance est faible.

Dans les zones urbaines, la règle est de jouer des coudes accélérant considérablement le rythme de la vie quotidienne avec, de surcroît, attisée par une frénésie de voyages à l’étranger, une mutation de l’ancien état d’esprit insulaire à la limite de la xénophobie il y a moins de 40 ans vers une sorte de dévotion sans limites aux nouvelles manifestations techniques de la culture occidentale.

Allant du piratage généralisé des musiques, des films et des logiciels à la dépendance totale à Internet et au portable, l’engouement va aussi à la découverte assez récente du tourisme de masse qu’il s’agisse de celui de l’extérieur vers la Chine ou de celui des Chinois vers l’étranger.

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

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