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›› Editorial

Le brouillard stratégique de la relation Tokyo – Pékin – Washington

En avril les médias du Japon où se trouvait une équipe de Question Chine, commentaient en boucle trois événements :

1) La future rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump, précédée le 27 avril par la rencontre préliminaire entre Kim Jong-un et Moon Jae-in à Panmunjom, portant l’espoir d’un règlement de la question nucléaire nord-coréenne, 48 heures après la nouvelle rendue publique le 25 avril par l’Université des Sciences et de Technologies de Pékin, de l’effondrement du site de Punggye-ri à 100 km de la frontière chinoise provoqué par l’accumulation de tests nucléaires à forte capacité, dont le dernier avait 7 fois la puissance de l’explosion d’Hiroshima.

2) La reprise des échanges militaires avec Pékin, interrompus depuis qu’en 2012 Tokyo avait « nationalisé » les Senkaku (Diaoyu Tai en Chinois). Concrétisée par la visite le 15 avril au Japon de 25 officiers de l’APL conduits par le Général Ci Guowei, n°2 du bureau de la coopération militaire internationale de la Commission Militaire Centrale, elle avait été décidée en janvier dernier par les deux ministres des Affaires étrangères, prudemment engagés sur la voie du réchauffement diplomatique en dépit des lourds contentieux de l’histoire (lire à ce sujet : Les braises mal éteintes des rancoeurs sino-japonaises.)

3) La visite aux États-Unis du 17 au 19 avril d’un Shinzo Abe affaibli par un scandale foncier et à la recherche d’un succès diplomatique pour redorer son blason.

La presse japonaise s’est félicitée des résultats d’une visite moins humiliante pour le premier ministre que prévue par les critiques, marquée par un attention particulière accordée par D. Trump à la question des Japonais enlevés par le régime nord-coréen dans les années 70 et 80 et un affichage ostensible d’une connivence stratégique à propos du programme nucléaire de Pyongyang, recommandant de ne pas abandonner les pressions pour un arrangement illusoire (voir la note de contexte), insistant sur la nécessité « d’une dénucléarisation irréversible et vérifiée ».

Ebranlement des anciens repères stratégiques.

Il n’en reste pas moins que subsiste « l’éléphant dans la pièce » manière du Japan Times du 18 avril de désigner le mauvais traitement fiscal infligé au Japon par la Maison Blanche ayant refusé dans la tourmente de sa guerre commerciale contre la Chine d’accorder à Tokyo la même exemption de taxes sur l’acier et l’aluminium que celle octroyée au Canada et à l’Union Européenne.

Au-delà des bonnes paroles diplomatiques, restent les traces humiliantes de la férocité nationaliste de la Maison Blanche.

C’est peu dire que Shinzo Abe aura été choqué par la brutalité commerciale de Washington. Les effets de la douche froide administrée publiquement auront à peine été atténués par la promesse de Washington de placer les négociations tarifaires dans le cadre du dialogue économique tenu entre Mike Pence, le vice-président et le vice-premier ministre Taro Aso.

En administrant à son allié la même potion amère qu’à Pékin, alors que le Premier ministre nippon fut le plus grand et le premier partisan international de Trump, tandis que, souligne le Japan Times, Tokyo ne s’est jamais livré comme Pékin à des provocations militaires anti-américaines, Washington trouble l’alchimie des alliances qui, depuis l’après-guerre, rythment la situation stratégique en Asie Pacifique et les rapports des États-Unis avec la Chine.

Tokyo entre Pékin et Washington.

La vérité est que tout dans la situation internationale du Japon renvoie non seulement aux États-Unis, mais également à la Chine, aux réminiscences douloureuses de l’histoire du Japon impérial, aux rivalités d’influence avec Pékin et aux querelles territoriales, fortement teintées de nationalisme.

Au point que, dans une très large mesure, c’est à l’aune des stratégies de Pékin que Tokyo calibre aujourd’hui, ses initiatives extérieures dans la région, presque partout conduites sur les talons de la Chine.

C’est le cas en En Asie du Sud-est, en Indonésie, aux Philippines, en Thaïlande, au Cambodge, au Myanmar et même en Afrique, à Djibouti où une unité des forces d’auto-défense émancipées est installée à 12 km à vol d’oiseau de la nouvelle base chinoise abritant 10 000 homme, petite enclave japonaise à deux pas de l’ancienne base française du Camp Lemonnier - ironie tragique de l’histoire, le camp porte le nom du commandant français de la base de Lang Son décapité par l’armée niponne en mars 1945 -.

La référence à l’omnipotence chinoise est telle que récemment, le Japan Times expliquait même que les mauvaises manières commerciales faites par Trump à Tokyo avaient été favorisées par l’ampleur des déficits des échanges américains avec la Chine, analysant même, que sans la Chine, la Maison Blanche aurait pu s’accommoder de ses vastes déficits avec le Japon.

Vues de Tokyo, conséquence des événements en cours sur la péninsule coréenne, l’ombre chinoise et la puissance de l’Oncle Sam envahissent aussi l’horizon de la question nord-coréenne.

Les incertitudes de la rencontre Kim – Trump.

S’il est vrai que lors de la venue à Pékin de Kim Jong-un, Xi Jinping lui avait clairement rappelé que, tout comme Moon Jae-in et D. Trump, il plaçait l’abandon des programmes nucléaires et balistiques au sommet de ses priorités, il n’en reste pas moins que la volonté de la Chine de rester dans le jeu alors que s’annoncent les rencontres bilatérales de Pyongyang avec Séoul et Washington, d’où Pékin est exclu, crée une zone d’ombre dont Shinzo Abe se méfie autant que des stratégies de la Maison Blanche devenues parfois illisibles.

Récemment un professeur d’études coréennes à l’université de Nagoya se félicitait que, lors de son voyage aux États-Unis, Abe avait rappelé à D. Trump les exigences japonaises à ne pas oublier lors de la rencontre au sommet Trump – Kim.

En même temps, il mettait en garde contre « l’imprévisibilité » du président américain. La crainte de Tokyo est en effet que, dans les négociations, la Maison Blanche se focalise seulement sur la menace posée au territoire américain par les missiles balistiques à longue portée et fasse l’impasse sur l’arsenal à moyenne portée pouvant frapper l’archipel.

L’œil sur le risque chinois, Tokyo se rapproche de Pékin.

Placé dans le brouillard stratégique d’une situation en mouvement dont les incertitudes nord-coréennes sont encore augmentées par les impondérables américains et le quant-à-soi de Pékin bien décidé à rester dans la course du règlement de la question coréenne, Tokyo explore aujourd’hui la voie d’un rapprochement avec la Chine.

Le signe le plus spectaculaire en est la reprise du dialogue militaire, il est vrai prudemment placé sous le label « non officiel » des échanges lancés en 2001 entre la fondation Sasakawa pour la Paix et le Centre de recherches Internationales et Stratégiques, sous la coupe du ministère des Affaires étrangères chinois.

En même temps surnage la conscience de la menace chinoise dont le Japan Times a rappelé les termes dans un article du 18 avril qui semblait directement écrit à l’intention de la Maison Blanche.

On pouvait y lire que « les différends sino-américain n’ont plus rien à voir avec le commerce », mais bel et bien avec la question de savoir si « dans les décennies à venir, le monde serait toujours dominé par un système capitaliste démocratique ou par Pékin ».

Dix sept années après son entrée dans l’OMC, la Chine, ajoute l’article, n’ayant jamais tenu ses promesses, rompue au mercantilisme d’une stratégie qui ne se conforme pas aux règles du marché, à la tête de fortes réserves de « cash », affirme à la face du monde, « qu’elle n’est pas intéressée par les règles des institutions occidentales ».

« Aucune négociation », assène l’article « ne modifiera cette donne. ».

Plus loin après avoir laissé entendre que Pékin ne cèderait qu’aux pressions, l’auteur soulignait que Shinzo Abe ne pouvait que se réjouir de l’arrivée au pouvoir à Washington de conservateurs durs comme John Bolton à la sécurité et Mike Pompeo au Département d’État.

Note de contexte.

Douglas Paal, Docteur en histoire de Harvard, ancien n°2 de JP Morgan Chase International et ancien Directeur de l’Institut Américain de Taïwan (A.I.T) l’ambassade officieuse des États-Unis à Taïwan, aujourd’hui vice-directeur des études du Carnegie Endowment for International Peace, craint un piège.

Dans un article paru le 20 avril dernier, il mettait en garde contre le risque « d’un accord piégé » avec Pyongyang favorisé par la soif de légitimité interne du Coréen Moon Jae-in et de Donald Trump qui pourraient, l’un et l’autre, être tentés de « rechercher une caution publique de court terme au détriment des enjeux de sécurité à long terme ».

Au passage, Paal décryptait l’implication de la CIA et de Mike Pompeo dans les prémisses cachées puis ostensiblement dévoilées de la rencontre Trump – Kim.

Décrivant l’ancien et éphémère patron des renseignements américains, - « facilement » confirmé dit le New York Times au poste de Secrétaire d’État par le Sénat le 26 avril -, comme l’homme d’une situation exceptionnelle dont la proximité avec le Président Trump était de nature à apaiser la quête de légitimité de Kim Jong-un, soucieux d’être mis en présence d’un représentant crédible de la tête de l’exécutif américain, Paal signalait que le canal de la CIA avait souvent été utilisé pour des missions diplomatiques sensibles.

Et, dans ce cas, ajoutait-il, la question importante n’était pas le « canal », mais bien les chances de réussite des efforts de la Maison Blanche. « Kim a t-il vraiment l’intention d’abandonner ses capacités nucléaires conquises de haute lutte, en échange d’un relâchement des sanctions imposées par D. Trump ? Ou s’agit-il d’une nouvelle manœuvre de déception dont le régime est coutumier ? ». Pire encore, « Kim n’est-il pas en train d’attirer D. Trump dans un piège exigeant la fin de l’alliance avec Séoul ? ». `

Pékin observe les événements en répétant que la détente en cours depuis les JO d’hiver avait été obtenue grâce à l’éphémère moratoire accepté par les forces conjointes ayant décidé de retarder les manœuvres sur la péninsule. Ce qui n’est vrai qu’en partie. Il est en effet raisonnable d’attribuer la volte-face de Kim Jong-un à l’accident géologique ayant en partie détruit le site de tests nucléaires de Punggye-ri.

Quoi qu’il en soit, si la détente de confirmait jusqu’à la signature d’un traité de paix mettant fin au conflit coréen, Pékin continuera à s’opposer à une réunification des deux Corée aujourd’hui très improbable. En même temps, le régime chinois arguera avec Pyongyang de la disparition de la menace pour réclamer la dissolution de l’alliance militaire et le départ des Américains.

 

 

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