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›› Technologies - Energie

L’énergie globale, selon China State Grid

S’il fallait un exemple concret illustrant la pensée chinoise diffusant à partir d’un centre politique une vision globale et normative du monde, articulée à des intention morales édifiantes, on citera le discours du 8 septembre 2016 de Liu Zhenyua (刘 振 亚), 66 ans, membre suppléant du Comité Central et, à l’époque, président de China State Grid Corporation CSGC– 中国国家电网 –.

A la tête du plus grand gestionnaire de réseau et de distribution d’électricité de la planète, Liu enveloppait la présentation des projets globaux de son groupe dans une vision humaniste de portée planétaire où la puissance d’interconnexion énergétique chinoise capable de distribuer l’électricité globale à partir de centres de production propres, excentrés, comme les barrages amazoniens, les champs d’éoliennes en mer ou les vastes fermes de panneaux solaires dans l’arctique, jouerait un rôle pilote.

Dessinant l’image d’un monde idéal et apaisé où la Chine apporterait une contribution essentielle à la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique, Liu avait notamment évoqué « Un monde qui deviendrait pour toute l’humanité un village planétaire civilisé et harmonieux (文明 和 和谐 的 地球村), une communauté liée à la nature par un destin commun (自然界共同的命运) sous un ciel d’azur 蓝天下. »

On notera que Liu utilisait pour désigner le monde la vieille expression « 天下, Tianxia, sous le ciel » exprimant la centralité politique chinoise au milieu des terres civilisées connues.

L’hyperbole humaniste de portée planétaire fait sourire les cyniques. Mais l’examen des stratégies du groupe chinois devrait inciter à plus de circonspection.

Les succès de « Sate Grid » en Chine.

Issu en 2002 de la réforme séparant les activités de production électrique de la distribution, le groupe qui compte près d’1 million d’employés, est le 3e mondial en taille après l’Américain Walmart et le Chinois CNPC, mais, selon magazine Fortune, le premier en termes de revenus avec 329 Mds de $ et 9,5 Mds de bénéfices (2016). En chiffre d’affaires, il est dans les 10 premiers mondiaux.

En Chine, il assure avec son petit concurrent de la China Southern Power Grid (中国 南方 电网), la distribution électrique dans les 26 provinces chinoises sur près de 90% du territoire. L’enjeu est d’importance dans un contexte où, même si la facture d’électricité par habitant n’est aujourd’hui que le tiers de celle des pays développés, le besoin en énergie de la Chine, première consommatrice de la planète, aura doublé en 20 ans, attisée par l’urbanisation et les politiques de lutte contre la pollution.

Le groupe doit son succès à la mise en place progressive des lignes à très haute tension, allant de 800 000 à 1 million de volts sur une vingtaine de lignes quadrillant le pays par un réseau de plus de 37 000 km dont les 7 dernières ont été connectées entre 2016 et 2018. La plus spectaculaire venant d’être achevée est longue de 3200 km et relie Wannan dans l’Anhui, 320 km au nord-ouest de Shanghai aux deux centrales thermiques de Zhundong au Xinjiang (1320 Mégawatts), à l’est d’Urumqi.

Un moment controversées parce qu’elles contrevenaient aux limites écologiques des normes de puissance des centrales à charbon – en septembre 2017, elles figuraient encore sur une liste des centrales arrêtées par Pékin -, elles alimentent aujourd’hui la plaine centrale à l’autre bout de la Chine.

La réduction des pertes en ligne et des gaspillages – estimées à 1000 Mds de Yuan (134 Mds d’€) entre 2002 et 2005 - grâce à la très haute tension a encore été améliorée à partir de 2011 par la généralisation du système de pilotage intelligent du réseau (smart grid) et des « compteurs communicants » programmables à distance dont le nombre est passé de 30 à 300 millions entre 2011 et 2015.

Une vaste stratégie globale.

Le développement international du groupe s’est accéléré à partir de 2010, avec l’investissement de 11 Mds de $ dans l’État malaisien de Sarawak pour la construction de plusieurs barrages critiqués par les ONG protectrices de l’environnement et les défenseurs du mode de vie traditionnel des communautés déplacées par les travaux.

La même année, China State est, grâce à un investissement d’un milliard de $ dans 7 sociétés au Brésil, devenu le principal gestionnaire de réseau du sud-ouest du pays et des régions de Rio de Janeiro et de Sao Paulo.

En 2012, CSGC a, pour 387 millions d’€, acheté 25% des parts des réseaux électriques et de distribution de gaz portugais gérés par Redes Energeticas Nacionais au Portugal. L’année suivante voilà le groupe en Australie où il fait l’acquisition de 19,9% de SP AusNet et de 60% de Jemena, principaux distributeurs d’électricité de l’État de Victoria. En 2014, nous sommes en Italie où, pour 2,4 Mds d’€, CSGC achète 35% de CDP RETI, gestionnaire des parts minoritaires de SNAM (distribution de gaz) et TERNA (réseau électrique haute tension).

La même année, retour au Brésil, pour construire avec Electrobras une ligne ultra haute tension de plus de 2000 km entre les barrages de l’Amazone et le sud-ouest du pays. En 2015, toujours au Brésil, le State Grid remporte l’appel d’offres pour la construction, estimée à 1,9 Mds de $, de 2500 km de ligne UTH entre le barrage de Bello Monte et Rio de Janeiro. Deux ans plus tard, la CSGC qui contrôle déjà 10 000 km de ligne au Brésil, se paye pour 5 Mds de $, 54,64% du capital de CPFL Energia (production et distribution).

En 2017, après le détour brésilien et argentin, 5 années après avoir ciblé le Portugal, et 3 années après l’Italie, 中国国家电网 est de retour en Europe et met 320 millions d’€ sur la table pour acheter 24% des parts de l’opérateur du réseau électrique grec ADMIE.

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Méfiances politiques allemandes.

Le 22 mai, après un premier échec en mars dernier, CSGC aujourd’hui encore absent du continent nord-américain et de l’Afrique est revenu à la charge pour acheter 20% des parts du petit gestionnaire du réseau allemand 50Hertz à l’effectif de 760 employés.

Un des 4 opérateurs allemands, 50Hertz est la propriété d’Eurogrid lui-même appartenant à l’opérateur belge Elia Systems qui, pour contrer l’offre chinoise en mars, avait porté sa part de 45,37% à 80% en rachetant une partie des parts du fond d’investissements immobilier australien IFM pour près d’1 milliard d’€ (six fois plus que leur valeur à l’achat en 2010). Cette fois China Grid vise les parts restantes mises sur le marché par IFM.

Réticent à laisser faire une nouvelle acquisition chinoise dans une ambiance déjà crispée par la succession d’achats de 2016 (lire : La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective., et La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France.), le ministre allemand de l’industrie Peter Altmaier a tenté de persuader Elia Systems d’exercer son droit de préemption. Mais après la première passe à près d’1 milliard de $ et, compte tenu de la puissance de frappe financière de la Chine, les enchères risquent d’être difficiles à suivre.

En Allemagne, l’affaire est devenue politique autour de débats sur les moyens juridiques de l’exécutif permettant de refuser l’intrusion dans un secteur stratégique d’un acteur non européen dont la plupart des observateurs considèrent que les intentions sont la captation de technologies.

En l’occurrence, l’intérêt du groupe public chinois porte sur les projets des 4 opérateurs allemands inscrits dans la prochaine phase de la révolution verte allemande financée par des milliards d’Euros, de construire des lignes capables de transporter l’énergie éolienne des régions venteuses du nord de l’Europe vers le sud.

Une autre inquiétude allemande porte sur la capacité chinoise de pénétration oblique. La filiale du Shandong de China Grid subventionnée par l’État et fabriquant des équipements de réseau n’aurait en effet aucune difficulté à être la mieux-disante d’un appel d’offre face à des concurrents européens privés, ce qui lui donnerait directement accès aux technologies convoitées.

Le 19 avril dernier, moins de 2 ans après avoir exprimé sa vision futuriste de réseaux intégrés planétaires connectant les sources d’énergie verte aux principaux foyers de consommation de la planète, Liu Zhenya aujourd’hui à la retraite donnait une conférence à Harvard devant un parterre d’universitaires, d’hommes d’affaires, d’hommes politiques et d’ingénieurs.

Liu à Harvard. Un quadrillage du monde.

Abandonnant son discours sino-centré de PDG public chinois, Liu a, après avoir rappelé la percée et les performances capacitaires de la très haute tension en Chine, exprimé sa vision du futur énergétique de la planète d’un réseau global intégré et interdépendant reliant les centre urbains voraces en énergie aux gisements d’énergie hydraulique, éolienne et solaire.

A cet égard, il a donné quelques chiffres édifiants, comme par exemple celui du potentiel solaire du Sahara dont seulement 7,7% de la surface équipée en panneaux suffiraient à satisfaire les besoins énergétiques du monde.

La solution technique serait d’abord l’harmonisation des réseaux existants aujourd’hui incompatibles par exemple entre les États-Unis, le Canada ou le Mexique. Il s’agirait ensuite de construire un quadrillage planétaire de 18 lignes à très haute tension (9 dans le sens Est-Ouest, 9 nord-sud) permettant aux pays en développement de sauter d’emblée l’étape de l’énergie carbone.

Les sommes nécessaires donnent le vertige, mais, dit Liu, elles contribueraient à réduire le prix de l’énergie et seraient le moyen de solutions globales et pérennes à la pauvreté et à la pollution. 38 000 Mds de $ dont 70% seraient consacrés à la production d’énergie et le reste à la construction des lignes.

Avec un optimiste proche de l’utopie, Liu qui n’évoque pas le principal verrou du stockage de l’électricité et dont la vision semble héritée de la vieille légende du vieux Gong déplaçant les montagne – 愚公移山 – , a même considéré que les problèmes techniques, politiques et de sécurité sources de la vulnérabilité globale d’un système à ce point intégré finiraient par être surmontés en vertu des nécessités auxquelles le monde sera bientôt confronté.

 

 

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